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Les compétences interculturelles : essentielles mais difficiles à évaluer

Selon le cadre conceptuel développé par l’UNESCO en 2013 : « Les compétences interculturelles évoquent le fait de disposer de savoirs adéquats au sujet de cultures particulières, ainsi que de connaissances générales sur les questions qui peuvent se poser dans les contacts entre personnes de cultures différentes, de manifester une attitude réceptive qui encourage l’établissement et le maintien de relations avec divers “autres” et d’avoir acquis l’aptitude à utiliser ces connaissances et cette réceptivité dans les interactions avec les individus appartenant à des cultures différentes. »

Est-il utile de rappeler le contexte qui rend le développement de ces compétences plus essentiel que jamais? Qu’il s’agisse de l’internationalisation des marchés, des vagues d’émigration et d’immigration, mais aussi de la révolution numérique qui permet des connexions entre des personnes « physiquement séparées par la moitié du monde », les compétences interculturelles deviennent capitales. L’UNESCO en parle comme d’« une nouvelle compétence de base, tout aussi importante que la lecture, l’écriture ou la maîtrise du calcul ». L’enjeu n’est ni plus ni moins que la collaboration entre collègues, entre citoyens d’origines diverses, voire entre les peuples, alors que la diversité culturelle est perçue comme une source de richesse, au sens économique du terme.

Qu’il s’agisse de l’internationalisation des marchés, des vagues d’émigration et d’immigration, mais aussi de la révolution numérique qui permet des connexions entre les personnes. les compétences interculturelles deviennent capitales.
Compétence communicationnelle interculturelle, compétence de communication transculturelle, compétence culturelle, compétence multiculturelle, compétence cosmopolite, etc. Les définitions sont « multiples et non convergentes » (Bartel-Radic, 2009), mais la plupart des auteurs s’entendent sur le fait que cette compétence compte plusieurs dimensions (pas toujours les mêmes). « Afin de tenir compte des relations mutuelles complexes entre les différents éléments en jeu, le terme “compétences” est généralement utilisé au pluriel. » (UNESCO, 2013) Toutefois certains articles continuent à mentionner une « compétence interculturelle » unique. Nous avons respecté le choix de chaque auteur dans nos citations.

Par ailleurs, pour Viviane Fournier, enseignante en soins infirmiers au Cégep de Saint-Laurent, un enjeu fondamental de professionnalisme apparaît également :

« La compétence culturelle permet d’envisager objectivement le fondement culturel sur lequel s’appuie notre vision des choses. Il devient alors possible de s’en distancier afin de s’assurer que tout geste professionnel s’appuie bel et bien sur des valeurs professionnelles. Rappelons enfin que la compétence interculturelle donne également des outils pour respecter et mieux servir les personnes qui bénéficient de services rendus par les professionnels. » (citée dans Giguère, 2013)

Anne Bartel-Radic, professeure à Sciences Po Grenoble, rappelle qu’il arrive que ces compétences soient réduites à l’« adaptation à une autre culture ». Selon elle, « il s’agit plutôt de simultanément comprendre la culture d’autrui et de garder cohérence avec sa propre culture » (2009). Cette dimension réflexive sur ses a priori apparaît incontournable : « [O]n ne peut prétendre connaître l’autre que par un questionnement sur le pourquoi de ses réflexes et de ses réactions, afin de réduire les malentendus. » (Dumais, 2017)

Après une revue de littérature concernant les différentes façons de définir ces compétences, Bartel-Radic fait la liste des traits de personnalité des personnes qui réussissent bien en situation interculturelle, selon une majorité d’auteurs :

  • l’empathie;
  • l’ouverture d’esprit (absence d’ethocentrisme, tolérance, flexibilité);
  • la stabilité émotionnelle (et la confiance en soi);
  • l’esprit critique face à soi-même;
  • le sens du contact (capacités de communication, orientation vers la personne);
  • la précision de l’observation.

« Il s’agit clairement d’un concept multidimensionnel et systémique », écrit-elle. Elle en conclut qu’une compétence interculturelle « est une capacité complexe et difficile à acquérir », mais même si certains traits de personnalité peuvent en faciliter le développement, « elle peut être apprise, avec de la motivation, lors de situations d’interaction interculturelles ».

Dans un article paru en 2014, Bartel-Radic affirme que le fait d’avoir voyagé à l’étranger ne suffit pas : « [L]’expérience internationale a une influence positive, mais très faible (5 %) sur les connaissances interculturelles et uniquement sur certains traits de personnalité considérés comme liés à la compétence interculturelle. » C’est donc qu’on ne saurait négliger la formation tant formelle qu’informelle; ainsi le coaching s’avère une piste intéressante à explorer (Dumais, 2017).

En ce qui concerne la mesure des compétences interculturelles, les modalités d’évaluation répandues dans les organisations (bilan de compétences, autoévaluation, verbalisation, etc.) comportent toutes leurs limites : d’une part, les tests écrits « ne mesure[nt] pas vraiment la capacité de la personne à observer, s’adapter, se mettre en question, mais plutôt sa connaissance de plusieurs autres cultures ». Les autoévaluations ne tiennent « pas compte de l’écart qui existe, la plupart du temps, entre les comportements “déclarés” et les comportements réels. » Quant au bilan, « [u]ne évaluation de la compétence interculturelle par la conformité à des spécifications ou des standards suppose qu’il existe des “recettes” à appliquer pour la communication interculturelle » (Bartel-Radic, 2009).

Notons enfin qu’un colloque qui s’intitule L’interculturel dans les formations de l’enseignement supérieur : conceptions, pratiques, enjeux et perspectives vient de se tenir à Le Mans Université, les 22 et 23 novembre derniers.

« [D]ans la mesure où l’éducation interculturelle est conçue comme transversale à toutes les matières scolaires (Beacco, 2011), il semble peu pertinent de l’associer aux seuls cours de langue et de réserver un “enseignement à l’interculturel” uniquement aux étudiants inscrits dans les filières dédiées aux langues étrangères. […] S’agit-il de “former à la différence” (Gohard-Radenkovic, 2009)? Peut-on former à l’interculturel, ou s’agirait-il plutôt de former par (Castellotti, 2006) l’interculturel? Jusqu’où peut-on formaliser cette compétence sans la réduire, et quels seraient les enjeux de sa réduction? » (CREN, 2018)

Nous resterons à l’affût des actes de ce colloque.

Sources

« Compétences − L’expatriation, un atout pour comprendre les différences culturelles », Courrier international, 24 août 2018.

Bartel-Radic, Anne, « La compétence interculturelle : état de l’art et perspectives », Management international, vol. 13, no 4, été 2009, p. 11-26.

Bartel-Radic, Anne, « La compétence interculturelle est-elle acquise grâce à l’expérience internationale? », Management international, vol. 18, 2014, p. 194-211.

Centre de recherche en éducation de Nantes, « “L’interculturel” dans les formations de l’enseignement supérieur : conceptions, pratiques, enjeux et perspectives » (appel de communications), in Fabula, « Actualités », 8 mars 2018.

Dumais, Sandra, « L’intelligence collective pour réussir l’intégration multiculturelle au travail », Thot Cursus, 3 octobre 2017 (m. à j. 9 octobre 2017).

Giguère, Martine, « Développer la compétence interculturelle », Pédagogie collégiale, vol. 26, no 2, hiver 2013, p. 25-29 [document PDF].

UNESCO, Compétences interculturelles : cadre conceptuel et opérationnel, 2013, 47 p. [document PDF].

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