Prof tout cours

Un bras dans le tordeur… pédagogique

Je viens d’une famille d’enseignantes et d’enseignants dans toute sortes de domaines (arts plastiques, musique, économie) et à différents niveaux (primaire, secondaire, cours individuels, conservatoire, cégep). J’ai moi-même commencé à enseigner un instrument de musique au début de ma vie d’adulte. J’ai toujours baigné dans un espace où les apprentissages de toutes sortes étaient valorisés, faits pour et dans le plaisir. J’ai toujours aimé l’école et j’avais un excellent profil pour être une bonne étudiante à l’université: motivée, travaillante, disciplinée… J’aime apprendre de nouvelles choses et, évidemment, mon travail de professeure me comble à ce niveau.

Marie-Flavie Auclair-Fortier

Reproduire ce qu’on a vécu en enseignement

Au niveau universitaire, lorsqu’on embauche un nouveau professeur ou une nouvelle professeure, il est indispensable de viser à recruter la meilleure personne en recherche dans son domaine. Depuis mon arrivée à l’Université, dans mon Département, c’est toujours ce critère qui a primé. C’est vrai qu’on regarde aussi les habiletés en enseignement, mais en seconde préoccupation. J’ai l’impression que c’est la même situation partout à l’Université. Nous avons, les professeures et professeurs, une excellente formation en recherche et une expérience variable en enseignement : nous ne sommes pas recrutés pour notre formation pédagogique, que nous n’avons que peu ou pas.

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Je ne suis pas en train de dire que les profs sont de mauvais enseignants. C’est loin d’être le cas. Je dis simplement qu’on n’a pas toujours les outils en main en début de carrière et que, faute de connaissances et faute de temps ou d’intérêt particulier pour aller chercher ces outils – début de carrière en recherche oblige – on ne fait que reproduire ce qu’on a vécu comme personnes étudiantes.

Personnellement, c’est ce que j’ai fait pendant des années : donner des cours magistraux basés sur des notes manuscrites, très bien structurées, données au tableau et accompagnées de beaucoup d’exemples multimédias; donner des travaux pratiques d’implémentation de méthodes vues théoriquement en classe; évaluer par des examens (un intra, un final) visant à distinguer les bonnes étudiantes et étudiants des mauvais et à avoir un bon écart-type pour pouvoir assigner des cotes sans trop de problème.

Dans ma tête d’ancienne bonne étudiante, récemment passée de l’autre côté de la clôture, tout ça découlait parfaitement. J’avais toujours eu des cours enseignés de la sorte et, comme ce type d’enseignement m’avait bien convenu, je ne voyais aucune raison de le changer. J’avais travaillé fort pour faire les liens entre la théorie et l’application. Je déduisais le lien entre les questions d’examen et ce qu’on avait vu en classe et, si je ne le voyais pas, c’est sans doute parce que j’avais manqué quelque chose. J’étais même satisfaite lorsque les questions d’examen débordaient un peu du cadre du cours pour vérifier une compréhension plus poussée. Pas de raison de donner plus que cela à mes étudiants et à mes étudiantes; s’ils ou elles n’étaient pas capables de faire ces raisonnements, peut-être devrait-ils, devraient-elles changer de plan de carrière?

Ça a bien marché, jusqu’à ce que ça fonctionne moins bien…

Lacunes observées dans la compréhension de textes et l’autonomie

Depuis que j’ai fait mes études de 1er cycle, et même depuis que j’ai commencé à donner des cours à l’université il y a plus de 15 ans maintenant, j’observe que les personnes étudiantes me semblent, en moyenne, moins bien préparées aux études universitaires. Je suis bien consciente que je ne m’appuie ici que sur mon expérience personnelle et sur des discussions avec des collègues mais, de temps en temps, cette impression est aussi confirmée par des interventions dans les médias et un peu partout. Et, on va se le dire, la pandémie risque de ne pas avoir amélioré la situation.

En sciences, une des lacunes que j’ai constatées est que les personnes étudiantes ont des problèmes de compréhension de textes. Je trouve (de façon complètement empirique) que de plus en plus d’étudiantes et d’étudiants n’arrivent pas à répondre correctement aux questions d’examens et ce, malgré le fait que les interactions en classe laissent supposer qu’ils comprennent. La compréhension d’une mise en contexte, si elle est le moindrement longue, ou une analyse d’un texte pour en faire ressortir les éléments essentiels, leur demandent tellement de jus qu’ils n’ont plus le temps de répondre correctement à la question ou bien ils répondent carrément à côté. C’est peut-être encore plus présent dans les programmes d’informatique que dans les programmes de sciences plus classiques (physique, chimie ou mathématiques) parce qu’un plus grand nombre de personnes en informatique provenant de DECs techniques et non préuniversitaires, elles ont une moins grande culture des sciences en général.

L’autre gros problème que je perçois est que les étudiantes et les étudiants sont moins autonomes et débrouillards qu’avant. Il faut leur dire plus précisément ce qui est à faire et préciser comment les travaux demandés sont liés à la matière théorique. Par exemple, dans un travail pratique pour un cours de 1ère session, j’ai dû inclure une étape de « surlignage » du texte avec différentes couleurs (bleu pour les actions à faire, rouge pour les informations à traiter, jaune pour les entrées, orange pour les sorties, etc.) afin de donner une certaine méthode de travail aux personnes étudiantes pour les aider à faire ressortir les éléments importants du texte. Il y a 15 ans, avouons qu’il n’était pas nécessaire de préciser ce genre de méthode de travail intellectuel. Tout ça couplé au fait qu’ils ont autre chose à faire de leur vie que de travailler à la réussite de leurs cours, ce qui les rend moins enclins à mettre du temps sur de la théorie qui leur semble inutile. La curiosité et l’envie d’approfondir la compréhension me semblent devenues des denrées rares.

Dans un monde de technologies en évolution de plus en plus rapide, où la mise à jour des connaissances et la débrouillardise sont des éléments essentiels du domaine informatique, ce sont des lacunes qu’il nous faut, en tant que personnes enseignantes, tenter de combler le mieux possible avant la fin de leur formation universitaire.

Prise de conscience

Il y a quelques années, je me suis un peu cassé les dents sur un cours de programmation de base où j’avais affaire à des profils d’étudiantes et d’étudiants auxquels je n’étais pas habituée et qui répondaient moins bien à mes méthodes pédagogiques apprises sur le tas.

À la même période, on m’a offert l’occasion de soumettre un projet dans le cadre de la première itération du Programme d’appui à la pédagogie selon une approche inclusive. Ce programme était accompagné d’une formation offerte par le SSF. J’ai participé à cette formation avec en tête l’idée d’essayer d’améliorer un point précis dans le cours de programmation en question.

Oh boy! Avec cette formation, on peut dire que je me suis mis le bras dans le tordeur. L’approche utilisée pour nous aider à développer notre solution était de nous faire travailler en codéveloppement par sous-groupes d’une dizaine de personnes. Nous présentions notre problème. Il s’ensuivait une ronde de questions pour nous faire préciser notre problème. Puis, d’autres personnes participantes nous suggéraient des solutions possibles.

Ce que j’ai particulièrement apprécié de cette façon de travailler est le fait d’être en contact avec des personnes enseignantes de plusieurs domaines, de plusieurs niveaux d’expériences et de connaissances pédagogiques. Il faut bien constater que les problèmes auxquels nous sommes confrontés en enseignement sont souvent semblables peu importe les facultés et programmes et qu’il existe une grande diversité d’approches pour tenter d’y remédier.

Bref, j’ai été beaucoup confrontée dans ma façon de faire les choses. J’ai fini par faire un gros travail de restructuration de toute la matière du cours et j’ai un peu découvert le concept de cohérence et d’alignement pédagogique. J’ai aussi découvert l’intérêt d’utiliser la notion de cibles d’apprentissage dans mon organisation de cours, ainsi que dans mes évaluations.

Au final, je n’ai pas tant travaillé l’approche inclusive comme telle mais plutôt la cohérence de mon enseignement. …Quoique celle-ci soit la première étape pour atteindre celle-là. Après une telle prise de conscience, je me pose des questions sur tout. Aucun moyen de m’asseoir sur mes lauriers, c’est un travail d’amélioration constant. Et ça, ça demande du temps : du temps de réflexion, du temps pour la réalisation et aussi du temps pour s’approprier des environnements numériques d’apprentissage.

Mais ça adonne bien, car j’aime ça apprendre…

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