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Données probantes en éducation – Remplacer les examens : oui, mais par quoi?

Sous cette question très concrète que se posent plusieurs enseignantes et enseignants se cache un changement de vision du cycle enseignement-apprentissage-évaluation. Cet article propose une réflexion pour accompagner cette transition.

Depuis mars 2020, la formation à distance s’est imposée mondialement et, conséquemment, de nombreux examens à distance ont été tenus. Bon nombre d’enseignantes et d’enseignants ont fait ce choix par dépit – en sachant très bien que ce moyen était risqué, car qui dit examen, dit tricherie potentielle ou réelle. L’examen en présence donne l’impression que la tricherie est sous contrôle, alors qu’à distance plusieurs sont convaincus qu’elle aura lieu. La tricherie a été abordée dans plusieurs médias dans les derniers mois, y compris dans L’éveilleur, notamment dans cette dépêche. Le retour au présentiel ne règlera pas les problèmes entrainés par l’examenau contraire : l’examen en présence génère son propre lot de difficultés. Nous avons rédigé un article sur ce sujet en octobre 2019

L’examen influence la manière d’apprendre

Les évaluations, peu importe le type, influencent fortement les stratégies d’étude des étudiantes et des étudiants. Par exemple, un examen final composé de questions à réponse courte sans accès aux notes de cours incitera les personnes étudiantes à mémoriser les contenus, ce qui résultera en des apprentissages de surface (non durables). Une évaluation articulée autour de la production d’un dossier pour un vrai client comprenant différentes pièces et un rapport final invitera les personnes étudiantes à travailler dans la continuité et à exercer des compétences d’analyse et de synthèse ainsi que des compétences en communication donnant lieu à des apprentissages en profondeur (durables). (Rege Colet et Berthiaume, 2013). 

Considérant cet état de fait, les évaluations peuvent-elles être mises au service de l’apprentissage (Scallon, 2004) en les utilisant comme levier pour favoriser les apprentissages en profondeur?   

« Dans l’enseignement supérieur, il n’est pas rare que l’enseignement, l’apprentissage et l’évaluation soient conçus comme trois activités distinctes qui se suivent chronologiquement. Les modèles usuels qui valorisent le rôle de l’enseignant et privilégient les contenus permettent d’entretenir cette vision linéaire: l’enseignant prépare ses contenus et ses ressources pédagogiques et les délivre. L’enseignement se déroule, dans ce cas, sans effets intentionnels par rapport aux apprentissages. L’étudiant s’applique à ingérer et maîtriser les contenus: il n’est pas rare que l’apprentissage soit concentré sur une courte période de révision pour les examens. En fin de parcours, l’évaluation intervient pour juger des apprentissages effectifs. » (Rege-Colet et Berthiaume, 2013; nos emphases)

L’évaluation au service de l’apprentissage repousse cette vision linéaire pour mettre de l’avant un cycle intégré enseignement-apprentissage-évaluation où l’évaluation n’est jamais à part. L’emphase est mise sur l’apprentissage et la progression et non pas sur l’évaluation seule, réduisant du même coup l’anxiété associée à certaines pratiques d’évaluation employées actuellement. À ce sujet, voir notre article de juin 2019.

L’évaluation au service de l’apprentissage propose de changer le visage de l’évaluation en s’appuyant sur deux solides contreforts soit (1) en intégrant des situations d’apprentissage et d’évaluation authentiques et (2) en créant un équilibre entre évaluation formatrice et évaluation certificative.

1.  Proposer des situations d’apprentissage et d’évaluation authentiques

L’authenticité d’une situation d’apprentissage signifie qu’elle tend vers le réel, qu’elle est vraie ou pourrait l’être. L’introduction de l’authenticité au cœur des situations d’apprentissage et d’évaluation les met non seulement au service des apprentissages, mais elle leur permet d’appuyer l’engagement et la motivation des étudiantes et étudiants, deux puissants moteurs pour l’apprentissage (Bédard, 2020).

L’évaluation en situation authentique consiste en une tâche complexe réalisée par la personne étudiante qui permet le développement d’une ou de plusieurs compétences en cour de réalisation. . Pour qu’une tâche complexe soit authentique, plusieurs critères entrent en ligne de compte, voici les principaux points de repère à ce sujet de Leroux, Hébert et Paquin (2015). 

Caractéristiques d’une situation d’apprentissage et d’évaluation authentique
(selon Leroux, Hébert et Paquin (2015))

  • mène à la réalisation d’une production ou d’une performance qui comporte des contenus originaux ayant une valeur hors des murs de l’école, soit par la pertinence de la problématique ou parce qu’il y a un véritable public (ou client) en jeu;
  • propose une démarche disciplinaire structurée fondée sur des savoirs reconnus par les spécialistes;
  • utilise, autant que faire se peut, les ressources et les outils normalement en usage dans le milieu professionnel ou hors scolaire;
  • prévoit formellement des moments de discussion et de rétroaction pour une progression optimale des apprentissages;
  • favorise un rythme de travail constant propice à l’apprentissage en profondeur;
  • représente un défi pour la personne étudiante, tout en étant réalisable;
  • amène les personnes étudiantes à collaborer entre pairs; 
  • permet la flexibilité temporelle.

Ces caractéristiques des situations authentiques sont autant de moyens de responsabiliser l’étudiante et l’étudiant face à son apprentissage. Cette responsabilité devra également être partagée pour l’évaluation où on tentera de créer un équilibre entre évaluation formatrice et certificative. 

2.  Partager la responsabilité : l’équilibre entre évaluation formatrice et évaluation certificative

C’est une idée reçue de croire qu’il n’y a que l’enseignant ou l’enseignante qui soit en mesure de poser un regard évaluatif sur une production étudiante. La démarche d’évaluation utilisée peut être en soutien au processus d’apprentissage quand elle fait l’équilibre entre évaluation formatrice et évaluation certificative. Quand cet équilibre est au rendez-vous, la démarche d’évaluation peut être un réel élan qui fait progresser les apprentissages. 

Pour que l’évaluation soit un soutien à l’apprentissage, il importe d’abord de bien cibler quels sont les apprentissages évalués et d’en faire part aux personnes étudiantes. De même, il faut très bien définir les exigences attendues au terme des situations d’apprentissage et d’évaluation. Ces exigences seront exprimées sous forme de traces observables compréhensibles pour tous. 

Voici une liste de moyens concrets qui faciliteront la progression des étudiantes et des étudiants vers les exigences attendues.

  • Utiliser une grille d’évaluation critériée descriptive où sont explicitées les traces observables des apprentissages
  • Montrer des exemples de productions antérieures, les commenter et les faire commenter par les étudiants (avec la grille d’observation critériée)
  • Prévoir des moments pour de l’évaluation entre pairs (en utilisant la grille d’évaluation critériée)
  • Faire participer les personnes en cours d’apprentissage au développement des critères de la grille d’évaluation
  • Bâtir (ou faire bâtir) une liste de vérification pour faciliter l’intégration d’une démarche systématique
  • Faire développer des cartes conceptuelles évolutives qui permettent à chaque personne étudiante d’exprimer sa vision des savoirs à construire et les relations entre les concepts; 
  • Guider l’autoévaluation pour faciliter l’autorégulation des apprentissages (notamment en utilisant la grille d’évaluation critériée)

Dans le cadre de l’évaluation au service des apprentissages, il incombe à la personne enseignante, bien sûr, d’exercer le jugement final et de conduire le processus d’évaluation, notamment en développant de bons outils pour soutenir de manière rigoureuse l’autoévaluation et l’évaluation entre pairs. Le jugement final sera sans véritable surprise, car, quel que soit le moyen d’évaluation utilisé, la manière d’interpréter (juger) les productions étudiantes est transparente et accessible à tous. L’enseignante ou l’enseignant joue le rôle d’expert dont la posture est d’outiller les novices (les personnes étudiantes) à développer graduellement leur autonomie professionnelle.

Le rôle et la place de l’évaluation formatrice ont été abordé dans cet article d’André-Sébastien Aubin. 

L’évaluation au service de l’apprentissage comme une démarche de recherche

L’évaluation des apprentissages s’apparente à une démarche de recherche, plusieurs auteurs ont fait cette comparaison, comme Rege-Collet et Berthiaume (2013). La démarche de recherche diffère d’un « objet scientifique » à un autre mais, de manière générale, elle requiert d’abord de définir un problème et de formuler des objectifs de recherche. Bien circonscrire le problème de recherche permet de choisir la méthode la plus pertinente pour amasser des données. Ces données seront collectées puis analysées rigoureusement pour en dégager des résultats venant répondre au problème de recherche initialement défini. 

De même, la démarche d’évaluation au service de l’apprentissage exige d’abord de (1) clarifier quel apprentissage évaluer pour connaitre précisément ce qui sera évalué. Cette clarification permettra plus aisément de déterminer le ou les moyen(s) pertinent(e) pour obtenir des traces de l’apprentissage visé. En effet, l’apprentissage étant un phénomène interne, pour (2) observer les apprentissages, il faut le faire de manière indirecte. Nous demandons à l’apprenant ou l’apprenante de réaliser une tâche ou une production dont la réalisation sous-tend certains acquis. Comme en recherche, les données obtenues (appelées ici « traces ») doivent être de qualité et en quantité suffisante pour permettre d’inférer l’intégration de certains apprentissages ou le développement d’une compétence. Enfin, (3) vient l’étape de l’interprétation du jugement. Le jugement doit permettre de faire ressortir le degré de développement de la compétence ou le niveau d’intégration des apprentissages. Comme en recherche, l’interprétation doit être bien instrumentée pour être le plus valide et le plus fiable possible.

Cadre de référence de la démarche d’évaluation d’après Pellegrino, Chudowsky et Glaser (2001) décrit dans Rege-Collet et Berthiaume (2013). Clic pour agrandir.

Plusieurs enseignantes et enseignants assimilent à tort l’étape d’évaluer (collecter des informations sur les apprentissages) et l’étape de poser un jugement sur la production réalisée, couramment appelée correction. (Aubin, 2014) La correction est généralement mal aimée par le personnel enseignant. 

Utopie?

Ce que vous venez de lire n’est ni un rêve ni une utopie théorique. Ce changement de vision est possible et peut être mis en œuvre par quiconque croit qu’un virage est nécessaire pour 

  • contrer la tricherie dans les évaluations, 
  • augmenter la pertinence des études universitaires, 
  • favoriser l’autonomie et la professionnalisation des personnes étudiantes, 
  • …pour ne nommer que ces raisons.

Ce changement ne se fera pas sans peine, il faudra y mettre du temps et de l’énergie. Mais est-ce une raison pour ne pas l’amorcer, un pas à la fois? Le développement de deux examens par session et la correction d’une pile de copies identiques n’exigent-ils pas eux aussi du temps et du travail, sans compter que ces activités sont généralement perçues comme peu stimulantes et fastidieuses. Alors, pourquoi ne pas transformer le visage de l’évaluation en changeant sa vision du cycle enseignement-apprentissage-évaluation?

Nous remercions la professeure Isabelle Nizet de ses commentaires en vue de la réalisation de cet article. 


Sources

Aubin, André-Sébastien, « Données probantes en éducation : pour en finir avec l’éducation formative », Perspectives SSF, février 2014

Beaulieu, Maryse, « Les examens et les mesures d’accommodement : duo inséparable », Perspectives SSF, octobre 2019

Beaulieu, Maryse, « Alléger le stress des étudiantes et étudiants en adaptant nos pratiques d’évaluation », Perspectives SSF, juin 2019

Bédard (2020). Motivation et engagement des étudiants: quelques incidences pédagogiques. Le Tableau, Échanges de bonnes pratiques entre enseignants de niveau universitaire. Vol. 9, no 4. Université du Québec.

Leroux, J. L. (dir.) (2015). Évaluer les compétences au collégial et à l’université : un guide pratique. Montréal, Canada: Chenelière (Collection Performa). 

Leroux, J.L., Hébert, A. et Paquin, J.(2015). Concevoir des tâches d’évaluation en situation authentiques. Dans Leroux, J.L. (dir.). Évaluer les compétences au collégial et à l’université : un guide pratique. (p. 157-196). Montréal, Canada: Chenelière (Collection Performa).

Morin, Sonia, « Stopper la tricherie en ligne sans jouer à la taupe », L’éveilleur, 26 août 2020

Rege-Colet, N. Et Berthiaume, D. (2013) « Chapitre 16 – Comment choisir des méthodes d’évaluation adaptées? » dans Berthiaume, D et Rege-Colet, N. (dir.). La pédagogie de l’enseignement supérieur : repères théoriques et applications pratiques, Tome 1, Bruxelles, Peter Lang, p. 241-254.

Scallon, G. (2004) L’évaluation des apprentissages dans une approche par compétences. Montréal : Renouveau pédagogique.

Références complémentaires

Conseil supérieur de l’éducation. (2018). Évaluer pour que ça compte vraiment: le système d’évaluation au cœur du Rapport sur l’état et les besoins de l’éducation 2016-2018. Québec, Le Conseil, 95 p. 

Leroux, J.L., Mastracci, A.(2015). Concevoir des grilles d’évaluation à échelle descriptive. Dans Leroux, J.L. (dir.). Évaluer les compétences au collégial et à l’université : un guide pratique. (p. 197-249). Montréal, Canada: Chenelière (Collection Performa).

Programme de collaboration universités-collèges (PCUC). Processus d’évaluation des compétences en formation à distance : site qui donne accès à un ensemble de ressources qui ont été élaborées par plusieurs acteurs de manière à soutenir le processus d’évaluation des compétences en formation à distance. Les ressources sont regroupées selon les cinq étapes du processus : analyser, planifier, concevoir, mettre en œuvre et valider.

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