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Données probantes en éducation : pour en finir avec l’évaluation formative

par André-Sébastien Aubin

L’évaluation des apprentissages en contexte universitaire est un sujet aussi délicat que complexe. Romainville (2006) soulignait à quel point, bien que les avancées scientifiques sur la question soient nombreuses, «la coutume tient lieu de compétence» et les avancées ne percolent que très peu dans la pratique. Dans le présent texte, nous donnons l’exemple de ce phénomène avec le concept d’évaluation formative.

Au Québec, Séguin, Parent et Burelle (1993) ont montré que si la majorité des enseignants sont convaincus de la nécessité de l’évaluation formative, son articulation dans les pratiques varie beaucoup. […] Des pratiques souvent peu conformes à l’esprit de l’évaluation formative telle qu’elle a été définie dans les années 1980 par les chercheurs francophones (Allal, 1979; Scallon, 1988) expliquent peut-être que, dans la perception de beaucoup d’étudiantes et d’étudiants, l’évaluation formative n’est rien de plus qu’une forme d’entraînement en vue de l’évaluation sommative (Lusignan et Goupil, 1997). (Laurier, 2003, p. 51)

Contexte : détournement de sens

En effet, on présente souvent les différents rôles de l’évaluation des apprentissages en utilisant le couple «évaluation formative» et «évaluation sommative». Ces termes, du moins chez certains spécialistes de l’évaluation des apprentissages, tombent de plus en plus en désuétude à cause de la dérive soulignée par Laurier dans la précédente citation. Pour plusieurs personnes, l’évaluation formative signifie donner aux étudiantes et aux étudiants un essai qui ne compte pas (ou peu), une chance de répéter avant la vraie évaluation : l’évaluation sommative. Cette utilisation est un détournement de l’idée initiale de l’évaluation formative et c’est pourquoi il est maintenant proposé de nommer les différents rôles de l’évaluation des apprentissages sans recourir à ces termes.

En remontant le fil du temps, on s’aperçoit que le concept de l’évaluation formative n’est pas récent. Au Québec, Scallon publie en 1988 un ouvrage en deux volumes sur la question de l’évaluation formative qui propose une réflexion et une instrumentation pertinente. Cela établit, au Québec du moins, une source de réflexion permettant de ramener dans l’espace francophone des éléments sur lesquels travaillent les Américains depuis de nombreuses années. Dans cet ouvrage, l’évaluation formative n’est pas disjointe du processus d’évaluation, mais sert à aider les étudiantes et les étudiants à apprendre de leurs erreurs.

Le processus d’évaluation des apprentissages

La discussion sur l’évaluation formative nous amène donc à déterminer, dans le cadre universitaire, le processus même de l’évaluation des apprentissages. Une des propositions les plus simples pour décrire le processus de l’évaluation des apprentissages est celle de Linn et Gronlund, (2000) qui séparent l’évaluation des apprentissages en deux étapes :

  1. obtenir de l’information et
  2. former un jugement (en s’appuyant sur l’information recueillie).

Cette proposition met de l’avant l’importance de séparer deux éléments souvent confondus. C’est Blais et coll. (1997) qui soulignaient, à partir d’une recherche auprès de 642 enseignantes et enseignants de l’Université de Montréal, que la plupart des répondants amalgamaient ces deux étapes en ne distinguant pas la correction de l’évaluation. Pourtant, l’acte d’évaluer dans le contexte de la classe universitaire est l’acte de porter un jugement sur le ou les niveaux des étudiantes et des étudiants. Et comme pour un juge siégeant à la cour, ce jugement doit s’appuyer sur des faits. Dans le contexte scolaire, ces faits sont les informations obtenues lors de la réalisation de différentes tâches par les étudiantes et les étudiants. Il faut donc d’abord obtenir toutes les informations et, dans un second temps, évaluer (soit porter un jugement). Louis (2004) propose un processus comprenant plus d’étapes et accorde une importance très grande au traitement que l’on doit faire des données afin de s’assurer qu’elles soient pertinentes en vue de l’étape du jugement.

L’idée d’information ou de données en évaluation?

Laurier (2003) ajoute donc que toutes les informations recueillies sur les étudiantes et les étudiants lors de différentes activités d’évaluation doivent servir à l’évaluation des apprentissages. Évidemment, toutes les informations recueillies n’ont pas la même valeur et lors de l’étape du jugement, il faut accorder un poids plus important aux informations les plus pertinentes et les plus récentes. Ainsi, lors des premières activités servant à l’évaluation, un premier jugement est porté sur les forces et les faiblesses de chaque étudiante et de chaque étudiant. Ce premier jugement s’appuie sur un nombre restreint d’informations et il ne sert qu’à aider l’apprenant dans sa progression. Lors de la seconde activité servant à l’évaluation (et portant sur le même objectif), on ajoute l’information recueillie lors de la correction de la performance de l’étudiante ou de l’étudiant. On peut à nouveau inférer le niveau de l’étudiante ou de l’étudiant, mais cette fois, le jugement s appuyant sur un nombre plus grand de données, il est plus solide.

La qualité des données sur les étudiantes et les étudiants est donc primordiale si l’on veut obtenir des jugements de qualité. C’est pourquoi il est recommandé de vérifier la qualité des données avant de s’en servir pour porter un jugement sur les étudiantes et les étudiants. De nombreuses techniques existent pour nous aider à systématiser notre regard sur les données obtenues. Un exemple de technique servant à cette analyse dans le cas d’un examen écrit est de regarder la concordance entre les résultats au test de l’ensemble des étudiantes et des étudiants et les résultats à chaque question de l’examen. En plaçant une ligne de césure marquant la réussite et l’échec (par exemple à 70 %), on peut déterminer pour chaque question si ce sont réellement les étudiantes et les étudiants les plus forts qui ont réussi une question difficile. De telles analyses permettent d’augmenter notre confiance dans les données sur les étudiantes et les étudiants, et donc de porter des jugements plus appuyés.

Et l’évaluation formative?

L’évaluation formative devrait donc être aussi importante que l’évaluation sommative, elle a seulement un objectif un peu différent. Pour qu’une activité dans le cadre d’un cours soit considérée comme de l’évaluation, elle doit être systématique et instrumentée. Cela est aussi vrai pour l’évaluation formative que pour l’évaluation sommative. Conséquemment, pour qu’une activité soit considérée comme de l’évaluation formative, il faut que l’étudiante ou l’étudiant reçoive un retour (une note, une rétroaction ou les deux). Cependant, l‘objectif principal de cette évaluation est d’aider l’étudiante ou l’étudiant à déterminer ses forces et ses faiblesses en vue d’une remédiation.

C’est pourquoi, devant une confusion qui ne semble pas près de disparaître, plusieurs auteurs offrent des propositions de remplacement. L’une des plus souvent utilisées au Québec et reprise par Durand et Chouinard (2012) est celle choisie pour le primaire et le secondaire, soit

  • l’évaluation servant à l’aide à l’apprentissage et
  • l’évaluation servant au bilan des apprentissages.

Cette proposition a l’avantage d’identifier clairement les buts recherchés par l’évaluation sans être affectée par la dérive de sens de l’évaluation formative.

Conclusion : l’évaluation comme source d’apprentissage

Traditionnellement, l’évaluation permettait de déterminer quelles étudiantes et quels étudiants suivaient la progression attendue dans le cours. Les activités servant à l’évaluation étaient séparées des activités d’apprentissage et avaient une durée déterminée. L’évaluation concluait chaque section du cours et donc, l’utilisation de l’évaluation comme source d’apprentissage n’était pas nécessaire. D’ailleurs, il est fréquent de constater que les étudiantes et les étudiants ne voient que peu d’intérêt dans la consultation de leurs performances corrigées puisque, pour eux, l’évaluation constitue chaque fois la fin d’une étape, et non pas un tremplin vers des apprentissages plus complexes.

Aujourd’hui, plusieurs programmes cherchent à développer des capacités plus complexes, plus proches des actes posés par les professionnels du domaine de formation. Ces capacités complexes peuvent être des compétences, des situations professionnelles, des habiletés cliniques, mais elles ont toutes la volonté de demander aux étudiantes et aux étudiants de prendre des décisions dans des situations où il n’existe pas une seule bonne réponse, mais plutôt des caractéristiques de réponses appropriées.

Dans les programmes de génie, il existe souvent des projets de fin de baccalauréat. Pour une même problématique, il existera autant de solutions que d’équipes d’étudiantes et d’étudiants. Il n’est donc pas possible, dans ce cas, de segmenter le travail en toutes petites parties que l’on pourrait corriger avec un solutionnaire. Il faut plutôt recueillir des informations sur la progression des projets et aider ces équipes à vaincre les difficultés et à tabler sur leurs forces. Afin d’obtenir cette information en vue des jugements, on recueille les journaux de bord, on rencontre les étudiantes et les étudiants en équipe et individuellement, on demande de faire des présentations orales du projet et de sa progression. Jusqu’à la fin, on cherche à utiliser les informations pour appuyer les équipes dans leur projet et finalement, un jury de professeurs examine le produit final afin de constater la qualité de la réalisation.

Toutes ces étapes sont importantes, autant les moments d’évaluation formative que sommative, et ce, autant pour le progrès des étudiantes et des étudiants que pour celui du projet.

Pour en savoir plus

Durand, M.-J., et Chouinard, R. (2006), L’évaluation des apprentissages : de la planification de la démarche à la communication des résultats, Montréal, Hurtubise HMH.

Laurier, M. D. (2003), Évaluation et communication (p. 306), Montréal, Québecor.

Scallon, G. (1988), L’évaluation formative des apprentissages, volumes 1 et 2, Québec, Presses Université Laval.

Scallon, G. (2008), «Évaluation formative et psychologie cognitive : mouvances et tendances», dans Évaluer les apprentissages (p. 158-173), Bruxelles, De Boeck Université.

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