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Quand des étudiants en pédagogie parlent… de pédagogie

En novembre 2011, des membres de la cellule de veille du Service de soutien à la formation ont rencontré huit étudiants inscrits aux études de maîtrise en pédagogie à l’Université de Sherbrooke. Parce qu’ils sont encore «tout nouveaux» dans cette spécialisation, ils nous semblaient à même d’avoir un regard frais sur leur discipline en même temps qu’un certain recul quant à leurs expériences à titre d’étudiants universitaires.

Le groupe rencontré était assez hétérogène : certains étudiants en étaient encore au début de leurs études supérieures, alors que d’autres se situaient plutôt en fin de parcours et disposaient d’une expérience de formateur à titre de chargé de cours ou parce qu’ils effectuaient un retour aux études après une pratique d’enseignement. Si l’on ne peut généraliser à la population étudiante de l’Université de Sherbrooke les opinions émises lors de cette discussion, la teneur des échanges nous est apparue d’intérêt pour le personnel enseignant.

Ce qu’ils disent des enseignants à l’université

Les participants à cette discussion jettent tous un regard sans complaisance sur les formateurs universitaires. S’ils reconnaissent l’expertise disciplinaire théorique des professeurs, ils constatent de manière générale un manque de compétences sur le plan pédagogique. Ces étudiants estiment que plusieurs professeurs admettent volontiers ces lacunes. Il s’agirait davantage d’un «manque d’outils que de volonté de s’améliorer».

S’ils apprécient la connaissance pratique de plusieurs chargés de cours, des membres du groupe remarquent que d’aucuns ont parfois de la difficulté à formaliser les savoirs provenant du terrain. Un participant se demande : «Jusqu’où peut-on aller avec des anecdotes?» Un autre affirme avoir beaucoup appris d’un cours basé sur des simulations, sauf que cette phase de décontextualisation et d’induction lui aura manqué. Idéalement, il souhaiterait un aller-retour entre pratique et théorie.

Ce qu’ils disent des méthodes pédagogiques

Les étudiantes et étudiants rencontrés semblent ambivalents par rapport aux cours magistraux. Ils en reconnaissent la pertinence, mais semblent les voir comme la «position de repli» d’un formateur qui
manquerait de temps pour développer des méthodes plus «actives»  Pour eux le «bon» formateur n’est manquerait de temps pour développer des méthodes plus «actives». Pour eux, le «bon» formateur n est pas le spécialiste capable de transmettre un maximum de connaissances à ses étudiants. Certains se montrent sensibles à ce qu’ils considèrent comme «un deuil à faire pour enseigner autrement», alors que le formateur ne pourra conserver de la matière que ce qu’il veut vraiment que les étudiants retiennent.

Un consensus ressort assez clairement quant à la préférence des participants pour des méthodes d’enseignement qui s’approchent des situations authentiques vécues dans la pratique (approche par problèmes, approche par projets, études de cas, simulations, jeux de rôles, etc.). Les étudiantes et étudiants rencontrés se montrent cependant conscients du temps qu’implique un tel virage. Ils savent que les formateurs n’ont «pas toujours les conditions optimales pour “faire autrement”», mais croient que cela s’avère essentiel afin qu’il en reste quelque chose une fois la formation complétée.

Ce qu’ils disent des étudiants universitaires

Les participants à notre discussion conviennent que leurs condisciples ne sont pas tous ouverts aux méthodes actives. Ils constatent que si certains se plaignent des cours magistraux, d’autres critiquent les formateurs qui leur demandent un plus grand investissement. «Insécures», ces étudiants préfèrent ce qui est connu et ne sont pas toujours prêts à s’impliquer dans les discussions en classe ou à faire les lectures qu’on leur demande. Ils viennent à l’université afin d’obtenir le papier qui leur permettra de travailler, ce qui, de l’avis d’un étudiant en pédagogie, rend l’évaluation pour le moins problématique.

Dans ce contexte, on comprend que les innovations pédagogiques ne soient pas toujours bien reçues ou comprises même si elles visent à mieux adapter la formation aux étudiantes et étudiants. Nos interlocuteurs croient qu’en général les étudiants sont prêts à travailler davantage, mais seulement dans la mesure où ils y perçoivent une valeur ajoutée. Les participants à notre discussion rappellent d’ailleurs que l’arrivée imminente à l’université de la première cohorte d’étudiants issus de la réforme au secondaire sera intéressante à suivre à cet égard.

Ce qu’ils disent de l’arrimage entre les études et la pratique

Pour les étudiants interrogés, les apprentissages peuvent rester «théoriques» s’ils ne sont pas mis à l’épreuve de la réalité. À leurs yeux, même des projets dont on pourrait penser qu’ils sont forcément significatifs parce que plus concrets peuvent «ne servir à rien» et être remisés «dans de petites boîtes» (au propre comme au figuré). On perçoit ici le grand besoin de sens des étudiantes et étudiants; besoin de se voir prouver la pertinence d’une activité pédagogique pour qu’ils s’y investissent et en retirent des apprentissages.

Une étudiante parle de son mémoire professionnel comme de l’expérience la plus enrichissante de son baccalauréat : elle a bâti un projet, est allée en stage mettre à l’épreuve ce qu’elle avait développé, a retravaillé le document grâce à la rétroaction de son professeur, etc. Cela renforce l’idée du stage comme un «laboratoire» pour évaluer et consolider les acquis, pour tester les projets réalisés dans le cadre des cours. Y aurait-il lieu d’y voir une façon de mieux arrimer les stages aux programmes?

Certains participants ont évoqué l’intégration de la formation dans les milieux de travail, le service learning et la multiplication des microprogrammes à vocation pratique comme des modèles intéressants. Ils y voient des façons d’apprendre «dans le concret», avec des «problématiques proches du terrain», tout en recevant le «feedback de gens du milieu». Devant cette avidité à entrer dans l’action, on peut se demander si l’idée des études comme un temps et un lieu préparatoires privilégiés, loin de la cohue et des responsabilités qu’impose le monde du travail, fait encore partie des mentalités.

Ce qu’ils disent des finalités de la formation universitaire

De fait, certains de ces étudiants à la maîtrise perçoivent que la mission de l’enseignement universitaire est de développer les connaissances professionnelles des futurs travailleurs. Quelques-uns notent que les parcours de professionnalisation permettent un tel enseignement plus proche de la pratique, ainsi que de «cartographier» les diverses situations d’apprentissage que rencontreront les étudiantes et étudiants.

Dans ce contexte, l’évaluation des apprentissages dans le cadre de programmes professionnalisants leur apparaît représenter un réel défi, vu la difficulté de mettre en place des modalités d’évaluation qui soient pertinentes, efficaces et représentatives des habiletés professionnelles des étudiantes et étudiants. Un étudiant se demande d’ailleurs si un professeur ou un chargé de cours peut évaluer complètement la professionnalisation des étudiants, au sens où elle repose parfois sur des compétences difficiles à appréhender en contexte universitaire.

Pour un autre étudiant, le défi de l’enseignement universitaire se résume ainsi : «Comment développer un expert à la fois réflexif et social?». Former quelqu’un d’autocritique par rapport à ses gestes et à ses décisions professionnelles, mais aussi quelqu’un qui sait travailler en équipe et partager le savoir.

Manifestement, ces étudiantes et étudiants sont intéressés par les questions de pédagogie, observent beaucoup et disposent d’un sens critique développé. Que l’on soit d’accord ou non avec les points de vue qu’ils expriment, leur témoignage nous offre un certain regard sur une réalité dont ils sont partie prenante.

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