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Un bac unique… un cours à la fois : l’audacieux pari de Quest University

Nouvelle venue dans le paysage universitaire canadien, l’Université Quest (installée dans la petite ville de Squamish en Colombie-Britannique) est une université indépendante qui a été fondée en 2002 par David Strangway, ancien recteur de l’Université de la Colombie-Britannique. À son ouverture en septembre 2007, elle accueillait 74 étudiantes et étudiants dans le seul programme qu’elle offre : un baccalauréat en arts et sciences (Art and Science Degree) de quatre ans.

Cette université privée sans but lucratif compte maintenant 425 étudiantes et étudiants et vise atteindre sa pleine capacité de 800 étudiants dans quelques années. Pour s’y inscrire, chaque étudiant doit acquitter des frais de scolarité évalués à près de 29 000 $ par année. Les étudiants de la première cohorte ont obtenu leurs diplômes en avril 2011.

Un programme unique

Le profil de formation visé cible le développement de la pensée critique, de la créativité, des habiletés de base en communication et en recherche ainsi qu’une perspective internationale et éthique. Quest affiche clairement sa volonté de mettre de l’avant une formation généraliste actualisée, se présentant comme «a 21st-century liberal arts university».

Ce programme de baccalauréat se distingue des profils habituels en ce qu’il comprend deux ans de cours de base, pour un total de 16 cours. Tous les cours se donnent sous la forme de séminaires et acceptent un maximum de 20 étudiants.

Le tronc commun est suivi d’une spécialisation multidisciplinaire qui prend la forme d’un projet individuel d’envergure dont la réalisation s’étend sur deux ans.

Chaque étudiant doit ainsi approfondir un sujet de son choix :

  1. identifier une question (thème, problématique, etc.) à explorer;
  2. proposer un programme de cours à suivre;
  3. dresser une liste de lectures à faire en lien avec la question à explorer;
  4. réaliser une production finale.

Un cours à la fois

S’inspirant du Block Plan mis en place au Colorado College il y a plus de 40 ans, le programme de Quest University se caractérise par une formule où tous les cours sont offerts de façon intensive, à tour de rôle, plutôt qu’échelonnés en parallèle tout au long de chaque trimestre. Chaque cours se déroule sur trois semaines et demie (18 jours de classe), un peu à la manière des écoles d’été. De façon générale, l’horaire prévoit trois heures de temps de classe par jour pour ensuite laisser place à la recherche, à la lecture, au travail de groupe, à la rédaction… Pour David Helfand, le recteur actuel, c’est «le contraire du multitâche».

On veut clairement briser l’image de la formation magistrale souvent associée aux programmes de formation dits généralistes. Les documents promotionnels vantant les mérites du programme ne manquent d’ailleurs pas de mettre de l’avant les voyages d’études, les expériences sur le terrain, les approches pédagogiques novatrices et diversifiées qu’un tel calendrier rend possibles.

Formateurs et étudiants satisfaits

Cette flexibilité sur le plan pédagogique semble appréciée autant des étudiants que des professeurs, dont plusieurs sont invités à y enseigner en marge de leurs activités dans une université plus conventionnelle. Les impacts positifs sur le climat de la classe, sur la relation étudiant-professeur, sur la motivation et sur la discipline personnelle des étudiants qu’impose une telle formule sont également soulignés.

À ce chapitre, l’Université Quest a de quoi être fière : elle figure en tête des résultats à l’enquête NSSE (National Survey of Student Engagement) pour la satisfaction de ses étudiantes et étudiants. Les résultats de cette enquête du Center for Postsecondary Research at the Indiana University School of Education et menée au printemps 2011 sont éloquents : 58 % des étudiantes et étudiants de dernière année considèrent que leur formation les a bien outillés pour résoudre des problématiques concrètes et complexes, contre 21 % dans les autres universités canadiennes.

Toujours selon le NSSE, auquel ont participé 67 universités canadiennes, l’Université Quest arrive en tête dans les catégories suivantes :

  • le défi académique;
  • l’inclusion d’expériences éducatives enrichissantes;
  • l’intensité des interactions étudiantes;
  • le recours à des pédagogies actives et collaboratives;
  • l’existence d’un environnement soutenant.

Engouement et réserves

L’expérience − et le succès − de Quest suscite évidemment de l’intérêt. Ce programme sous forme de cours intensifs et successifs (plutôt qu’en cours parallèles suivis tout au long d’un trimestre) fait des petits, du côté des community colleges américains mais aussi au Canada.

L’Université Algoma en Ontario avait envisagé adopter à son tour la formule du Block Plan pour l’ensemble de ses programmes. Or, si le rapport d’un groupe de travail interne sur le sujet faisait état des avantages de cette formule, il relevait de fortes résistances à un tel projet : coûts supplémentaires engendrés et difficultés d’allier la disponibilité qu’exige une formation de ce type avec le travail ou les obligations familiales des étudiants, entre autres choses. Des réserves furent également émises par des responsables de programmes qui craignaient qu’une formule intensive ne convienne pas aux formations où les lectures occupent une grande place, ce qui entraînerait une surcharge de travail pour les étudiants. Finalement, Algoma n’offrira le Block Plan qu’à son campus de St. Thomas.

Le même rapport soulignait d’ailleurs que certaines institutions (on y cite la University of Northern British Columbia) envisagent une implantation plus localisée, dans le cadre d’un programme plutôt qu’à l’échelle de l’institution. À cet égard, les exemples d’adoption d’une formule similaire se font plus nombreux. À l’Université de Sherbrooke, par exemple, certains programmes offerts à temps plein (notamment en médecine, en génie électrique et informatique, en sciences infirmières) ont déjà adopté un mode de fonctionnement qui s’en rapproche afin de faciliter la mise en place d’approches pédagogiques novatrices.

Parce que Quest mise d’abord sur l’enseignement au premier cycle, les formateurs y sont appelés des «tuteurs» et n’ont pas à produire de recherche. Le fondateur David Strangway «wanted to create a school where professors are rewarded for teaching excellence rather than their number of published academic papers». (Millar, octobre 2012) Toutefois, les professeurs ne sont pas syndiqués et ne peuvent obtenir de permanence. Il n’y a pas non plus de départements à Quest. Pour le recteur Helfand, ceux-ci cloisonnent artificiellement les disciplines et nuisent à l’émergence de nouveaux modes de pensée (Lewin, 2012).

Des innovations de cette ampleur sont rares, notamment en raison des importantes ressources humaines, financières et matérielles qu’elles mobilisent et du risque inhérent à de telles entreprises. Pour Quest, le jeu semble en avoir valu la chandelle. Dans un contexte où les universités se cherchent des traits distinctifs et sont appelées à se réinventer, on peut penser que certaines se lanceront néanmoins, à diverses échelles. Reste à voir dans quelle mesure le souci d’une formation de qualité guidera ces initiatives.

Sources

Alphonso, Caroline, «What if you took one class at a time?», The Globe and Mail, 5 octobre 2012.

Dean Dad, «One course at a time», Inside Higher Ed, 24 avril 2012.

Dobson-Mitchell, Scott, «Canadian university considers radical change», Macleans on Campus, 1er décembre 2011.

Hemsworth, Kevin, «Algoma University Passes On Block Plan», Algoma University News, 11 avril 2012.

Lewin, Tamar, «David Helfand’s New Quest», The New York Times, 20 janvier 2012.

Macleans.ca, «How Students Rate their Experience at 62 Canadian Schools», Macleans on Campus, 8 février 2012.

MacQueen, Ken, «The student’s Quest», Macleans on Campus, 24 février 2011.

Millar, Erin, «Survival Skills Tested in the Canadian Wilderness», Times Higher Education, 1er novembre 2012.

Millar, Erin, «The Great Experiment: Quest University Radical Step in Higher Education», The Globe and Mail, 22 octobre 2012.

Millar, Erin, «The Creativity Gap: Quest University Takes an Unorthodox Approach to Learning», The Globe and Mail, 27 mars 2012 [mise à jour : 6 septembre 2012].

Radio-Canada − Première chaîne, «L’Université Quest : une université privée d’arts libéraux à flanc de montagne», reportage de l’émission Ailleurs, c’est ici, 15 juillet 2008 [entrevue avec Annie Prud’homme Généreux, directrice du Département de biologie, qui y présente l’Université Quest].

Purvis, Michael, «Block plan proposal hasn’t lost its lustre, says Algoma U president», The Sault Star, 11 novembre 2011.

Quest University [site web], consulté le 25 octobre 2012.

«Survey confirms Quest’s “leading position”:Helfand», Squamish Chief, 31 octobre 2011.

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