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Vous avez dit « soft skills »? Compte-rendu de la table-ronde du jeudi 7 février 2019

La formation universitaire est parfois perçue comme étant davantage axée sur l’acquisition des connaissances et des habiletés permettant de former des experts qui pourront occuper un emploi. Toutefois, outre les connaissances et habiletés techniques nécessaires pour effectuer un métier, les employeurs évoquent la nécessité de développer les compétences relationnelles pour qu’un candidat puisse bien s’intégrer à l’équipe au sein de leurs entreprises. Comment peut-on soutenir les étudiants ou les travailleurs en exercice dans le développement de ces « soft skills » et comment évaluer leurs apprentissages afin de leur permettre de mieux s’intégrer au marché du travail? Est-ce que les enseignants et les conseillers en ressources humaines ont un rôle à jouer dans l’accompagnement et la formation à ces compétences? Ces diverses questions étaient au menu de la table ronde « Vous avez dit ‘soft skills’? » qui réunissait des formateurs universitaires et des conseillères en ressources humaines agrées (CRHA), le 7 février dernier, à l’Agora du Carrefour de l’information.

M. Luc Sauvé, directeur de la section développement et santé organisationnels au Service des ressources humaines de l’Université de Sherbrooke, est venu mettre la table en soulignant l’intérêt des différents participants à l’évènement autour de la question des « soft skills ». Il a également souligné la demande croissante chez les employeurs pour le développement de compétences qui dépassent l’acquisition des savoirs disciplinaires en référant à une enquête en 2018 menée par le réseau LinkedIn auprès des employeurs, où 57 % des répondants identifiaient comme première priorité le développement des « soft skills » chez des candidats potentiels. Mme Chantal Lamoureux, directrice du développement professionnel et de la qualité de la pratique à l’Ordre des conseillers en ressources humaines agréés (CRHA), a enchaîné en posant une question toute simple : comment les étudiants et futurs employés pourront se distinguer dans un monde où les savoirs sont maintenant accessibles partout? Est-ce que le développement des « soft skills » chez ces derniers pourrait faire partie de la solution?

En introduction à la discussion – qu’il a ensuite animée – , M. Jean-Sébastien Dubé, coordonnateur veille et gestion des connaissances au Service de soutien à la formation, a présenté quelques éléments de contexte pour définir ce que l’on entend par « soft skills »… et sur le fait que l’on ne semble pas s’entendre sur la façon de les nommer en français. Attitude, savoir-être (par opposition à savoirs et savoir-faire), intelligence émotionnelle, relationnelle ou comportementale ainsi que des compétences variées (sociales, relationnelles, interpersonnelles, etc., par opposition aux compétences plus techniques et disciplinaires) sont autant de termes pour désigner les « soft skills ».

Éthique, communication, professionnalisme, travail d’équipe, etc., ces compétences sont souvent définies par les différents référentiels utilisés par les ordres professionnels afin de faciliter l’identification des compétences requises pour exercer une profession, mais également par les employeurs en lien avec la gestion de leurs ressources humaines. La recherche vient apporter un certain éclairage à la question en définissant trois dimensions aux soft skills : Cognitive (règles, prescriptions, etc.), affective (valeurs, états d’esprit) et comportementale (attitudes, manifestations observables), selon Isabelle Nizet de la Faculté d’éducation, à partir de Lussier et Gosselin (2015).

Un panel été rassemblé pour tenter de répondre à différentes questions :

  • Nadi Braidy, professeur à la Faculté de génie de l’Université de Sherbrooke, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les nanomatériaux multifonctionnels
  • Julie Gauthier, CRHA, Directrice des ressources humaines et santé sécurité au travail chez Plastube inc.
  • Claudia Therrien, CRHA, Directrice des ressources humaines à la Caisse Desjardins du Nord de Sherbrooke
  • Alain Mélançon, chargé de cours et conseiller en communication, Agence des relations internationales, Université de Sherbrooke

Le panel s’est penché sur le sujet des « soft skills » en abordant quatre questions principales :

Question #1 : Quelles sont les compétences en lien avec les « soft skills » les plus importantes à développer chez les étudiants ou chez les travailleurs?

Selon Alain Mélançon, qui enseigne la production multimédia, c’est avant tout l’humain derrière la machine qui doit être valorisé. Ce dernier doit chercher à mieux communiquer et à user de créativité pour se distinguer : l’effet d’entrainement direct ainsi que l’influence des pairs sont également importants pour que les étudiants développent leurs « soft skills ». Pour Julie Gauthier, développer son sens de l’écoute, s’ouvrir à l’autre, partager dans un contexte de travail d’équipe sont des priorités. De plus, l’évaluation par le biais des stages et de différents tests psychométriques peuvent contribuer à guider les efforts de formation et de suivi de la part des superviseurs auprès de leurs employés. Pour Nadi Braidy, les étudiants en génie doivent prendre conscience de l’importance de développer leurs « soft skills » en accord avec les exigences de leur ordre professionnel, qui encadre le développement et l’évaluation des différentes compétences : le travail d’équipe dans un contexte de projet et les stages ont été mis de l’avant comme des façons d’encadrer le développement de ces compétences chez ces étudiants. Selon Claudia Therrien, l’écoute active, l’empathie et apprendre à bien saisir et comprendre les besoins des clients sont importants dans une entreprise de services comme la sienne. Celle-ci a également souligné l’importance pour l’employeur de créer des occasions pour que les candidats prennent conscience de l’importance de développer les « soft skills » et de s’ouvrir à la rétroaction des collègues et des patrons.

Question #2 : Comment peut-on évaluer les « soft skills » chez les candidats à un emploi ou chez les étudiants en formation?

Les panélistes étaient d’accord sur le fait qu’il faut utiliser différentes stratégies pour faciliter l’évaluation des « soft skills ». En ce qui concerne l’embauche, les entrevues traditionnelles sont maintenant considérées comme étant insuffisantes pour bien mesurer le niveau atteint par les candidats et doivent de plus en plus être complétées par d’autres moyens, incluant les tests psychométriques, les simulations, un processus d’accueil et faire participer des travailleurs dans le processus d’évaluation des candidatures. Du côté académique, l’évaluation par les pairs en contexte de situation authentique, les simulations, les ateliers de cocréation en équipe ainsi que les grilles d’évaluation critériées sont ressortis comme étant des moyens intéressants à exploiter dans un contexte d’évaluation des « soft skills ».

Question #3 : Quel est le bon dosage à atteindre dans la formation entre les connaissances disciplinaires et les « soft skills », tant chez les étudiants que chez les travailleurs?

Encourager les étudiants à participer à des activités parascolaires et à des concours, vivre des expériences de travail dans des organisations ainsi qu’en tant que travailleurs autonomes, prendre soin d’arrimer les différents types de personnalités au sein des équipes de travail. Ces stratégies ont été mentionnées par l’ensemble des panélistes comme autant d’occasions d’atteindre un équilibre entre les connaissances disciplinaires et le développement des « soft skills », autant au bénéfice des étudiants que des employeurs. Déterminer des seuils minimaux de maîtrise des différentes compétences à développer est une voie qui est privilégiée par l’Ordre des ingénieurs, selon le professeur Braidy.

Question #4 : Quelles sont vos prédictions pour le futur des « soft skills »? Quels impacts sont à prévoir en lien avec l’automatisation?

Préparer les étudiants pour des emplois qui n’existent pas encore est une grande préoccupation des panélistes, et celle-ci devrait être partagée par les étudiants qui devraient comprendre l’importance de s’y préparer. Mme Therrien croit que les processus qui peuvent être automatisés devrait l’être, mais aussi qu’il est important de se préoccuper des relations interpersonnelles entre individus. Pour Mme Gauthier l’intégration de nouvelles technologies en entreprise apporte son lot de problèmes. C’est donc le travail des individus qui fait toute la différence entre la réussite et l’échec d’un tel projet. D’après le professeur Braidy, former les étudiants à développer des habiletés leur permettant de s’adapter à des situations nouvelles et les encourager à effectuer un retour réflexif sur leur pratique sont des exemples de pistes à explorer. Inviter les enseignants à s’ouvrir au mentorat et à accompagner les étudiants dans la réflexivité en est une autre.

Questions des participants et réponses du panel

Q : Comment tenir compte de l’apprentissage continu (lifelong learning) dans le développement des « soft skills »?

R : La formation continue devrait être obligatoire pour les professionnels et inclure le développement des soft skills en plus des mises à jour technologiques. L’intérêt des personnes pour le sujet est variable, et les entreprises de plus grande envergure tentent d’encadrer ce développement en identifiant d’entrée de jeu les candidats à haut potentiel de promotion pour suivre ces formations.

Q : Quel est l’importance de développer les compétences interculturelles dans le développement des « soft skills »?

R : De toute évidence, cet aspect a un impact important et ne serait pas suffisamment développé dans les entreprises. Le respect des individus dans un contexte de travail d’équipe demeure important, le dialogue et la compréhension mutuelle doivent être encouragés.

Q : Comment évaluez-vous les soft skills dans vos contextes de travail respectifs (discussion entre panélistes)?

R : La formation expérientielle, les échelles descriptives, les évaluations autant sommatives que formatives (surtout de forme qualitative) ont été évoquées comme principaux moyens utilisés dans l’évaluation de ces compétences.

Q : Qu’en est-il des « soft skills » chez les gestionnaires?

R : La culture d’entreprise doit inclure la volonté de donner l’exemple et d’encourager une certaine ouverture à la critique constructive et ce, à tous les niveaux.

Q : Comment créer des ponts entre le monde universitaire et le monde du travail afin de favoriser l’embauche de nouveaux diplômés et les aider à développer leurs « soft skills »?

R : Les stages et les projets de fin d’étude en contexte réel de pratique ont été évoqués comme des exemples de pratiques à encourager. La principale difficulté vécue par les entreprises c’est le temps requis pour que le nouveau diplômé devienne un employé efficace.

Q : Est-ce que la contribution des personnes aînées pourrait venir soutenir le développement des « soft skills » chez les plus jeunes?

R : Certainement, peut-être dans un contexte de parrainage et de diversité qui peut amener une nouvelle dynamique dans les équipes de travail.

Q : Avez-vous des conseils à donner aux stagiaires afin qu’ils profitent au maximum de ces opportunités de développement des « soft skills »?

R : Développer ses habiletés relationnelles. Ne pas craindre de donner son opinion au sein de son milieu de stage, dans la mesure où cela se fait dans le respect d’autrui.

Q : Quelles formations sur les « soft skills » sont disponibles pour les étudiants aux cycles supérieurs?

R : Consulter l’offre de formation du Centre universitaire d’enrichissement de la formation à la recherche (CUEFR). Il serait souhaitable d’intégrer certaines compétences relationnelles à la formation régulière, quoique cet aspect soit actuellement développé de manière inégale selon les programmes. Souvent, cette intégration est laissée au bon vouloir de l’enseignant responsable des différentes activités pédagogiques.

Source

Lussier, Silvie et Raymonde Gosselin, « Une démarche pour l’évaluation des attitudes », dans Leroux, Julie Lyne (dir.), Évaluer les compétences au collégial et à l’université : un guide pratique, Éditions Chenelière − Association québécoise de pédagogie collégiale, 2015, p. 627-648.

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