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Le pecha kucha, antidote à l’empoisonnement au PowerPoint?

Les expressions PowerPoint poisoning, death by PowerPoint et PowerPoint hell sont employées par nos voisins du sud pour évoquer les effets sur un auditoire de présentations assistées par ordinateur particulièrement fastidieuses, tant par l’abus d’effets multimédias que parce qu’un présentateur se contente de lire ses diapositives. Évidemment, ces effets sont décuplés lorsque de nombreuses présentations se suivent et se ressemblent, comme lors de colloques ou d’évaluations d’exposés oraux.

Dans The Cognitive Style of PowerPoint : Pitching Out Corrupts Whithin, Edward Tufte, professeur émérite de statistique, de politique et de conception graphique, retraité de l’Université Yale, a émis des critiques virulentes – dont on peut avoir un aperçu dans cet article de Wired – à propos du logiciel PowerPoint et de son utilisation.

Selon lui, entre autres :

  • le logiciel PowerPoint sert plus à guider et à rassurer le présentateur qu’à donner des indications à l’auditoire;
  • son gestionnaire d’idées (outliner) entraîne une hiérarchisation inutilement complexe de l’information;
  • il favorise une pensée réductrice alors que les idées, souvent simplifiées à outrance, sont diluées dans des listes séquentielles, donc habituellement décontextualisées;
  • ses modèles reposent sur des choix typographiques douteux et des mises en page malhabiles (au bout du compte, chaque présentation ressemble à celle du voisin, étant donné la pauvreté de la bibliothèque de modèles fournis).

Pour briser cet aspect répétitif et dynamiser les présentations, diverses formules ont été tentées,

notamment en comprimant le temps de présentation de manière à maximiser les périodes de questions et d’échanges. Le magazine Jobboom les associe à du «réseautage créatif», l’idée étant ici de réinventer la conférence traditionnelle. On pense aux conférences TED (TED talks; maximum de 18 minutes par des conférenciers de renom), aux événements Ignite (5 min/événement) ou Talk20, en passant par les soirées pecha kucha (6 min 40/présentation).

Qu’est-ce que le pecha kucha?

En japonais, pecha kucha signifie «le bruit de la conversation». Il s’agit d’un format de présentation original fondé sur la règle formelle suivante : chaque participant présente 20 images, chacune projetée pendant 20 secondes seulement (ce que l’on résume par l’expression «20 x 20»), ce qui totalise 6 min 40 de présentation. Les diapositives sont donc essentiellement composées de photos ou de mots-clés. Les présentations permettent l’exploration d’un projet à travers son processus de création. Évidemment, on est plus proche ici de la carte de visite ou de l’argumentaire de vente que du discours-fleuve… D’ailleurs, on parlera parfois de microprésentations.

Initiées à Tokyo en 2003 par deux architectes américains, les premières soirées pecha kucha ont permis à divers artistes, designers et graphistes de présenter leurs projets devant public, facilitant du même coup le réseautage avec d’autres créateurs. Le phénomène s’étend aujourd’hui à plus de 350 villes dans le monde.

Il existe un chapitre montréalais de l’organisation-mère.

Pecha kucha et formation

En formation, la formule est utilisée pour encourager l’esprit de synthèse lors de présentations étudiantes. C’est le cas de professeurs du Georgia Institute of Technology et d’autres universités américaines qui demandent à leurs étudiants d’utiliser ce mode de présentation de manière à demeurer concis; l’Université libre de Bruxelles et la Vrije Universiteit Brussel l’utilisent pour les CampusTalks, des rencontres de vulgarisation scientifique; à l’Université Concordia, elle sert à la présentation de projets aux études supérieures.

À ce sujet, Jason B. Jones, professeur spécialiste en littérature victorienne à la Connecticut Central University, explique sur son blogue qu’il a demandé à des étudiants aux cycles supérieurs de présenter leurs sujets de thèse de manière plus dynamique à l’aide d’un pecha kucha :

«Instead of asking for a presentation that previews their thesis, I’ve asked them to tell a story about their thesis, one that explains why they’re interested in it, and why people might care […] I can say, though, that the first couple of these have been great, very energetic, and it was always clear that there was an actual person doing the presentation. It’s not an assignment that would fit every presentation situation, but I do like it as a way of introducing, in a preliminary way (none of the students have completed even a single draft of a chapter yet), one’s work in class.»

La blogueuse et enseignante Joni Dunlap a expérimenté en 2008 ce format avec ses étudiantes et étudiants et a étudié des exemples de pecha kuchas disponibles en ligne. Elle a observé certaines limites de la formule et fait les constats suivants.

Les présentateurs tendent à parler plus vite pour remplir leurs 20 secondes plutôt que de laisser les images parler en y ajoutant de courts commentaires. Pour elle, ce format devrait au contraire permettre l’utilisation d’images évocatrices : «It doesn’t seem that folks use silence to their advantage (or music, for that matter), to allow the audience to process, reflect on, and explore an intellectual and emotional connection with the image (and this seems like a big loss because I perceive the format as a way to encourage us to present stronger visual images, instead of relying on our spoken words…).»

Elle croit qu’il s’agit d’un format intéressant pour mieux structurer l’information sous forme de récit, mais elle a trouvé peu d’exemples en ce sens sur le Web.

Les présentateurs ne sont pas portés à entrer en dialogue avec leur auditoire.

Compte tenu de l’aspect informel de ces présentations, les présentateurs sont parfois mal préparés, ce qui nuit à la qualité de leur communication.

À l’Université de Sherbrooke

Plus près de nous, des étudiantes et étudiants de la maîtrise en gestion du commerce électronique de la Faculté d’administration de l’UdeS ont expérimenté, en 2008, le pecha kucha lors d’une présentation de projets portant sur le marketing électronique.

Plus récemment, la professeure Martine Pelletier, de la Faculté de théologie et d’études religieuses, est venue témoigner, lors de l’activité de clôture du Mois de la pédagogie universitaire (30 avril 2010), de la façon dont elle avait utilisé le pecha kucha pour soutenir l’apprentissage et évaluer le travail des étudiants du cours Faits religieux et médias :

«C’est une forme d’apprentissage et d’évaluation à plusieurs niveaux : effort de synthèse, création d’une présentation à partir d’un mode technique, mais qui laisse place à l’originalité de chacun et chacune. Comme dans un travail de recherche, chaque pecha kucha est accompagné de tous les documents qui ont servi à son montage, bibliographie et webographie à l’appui. De plus, il y a toujours présentation en classe et échange avec le groupe, donc un apprentissage important au niveau de la communication verbale du sujet et de la soutenance des propos.»

D’ailleurs, cet automne la professeure Pelletier a renouvelé l’expérience avec les étudiantes et étudiants du cours Médias et représentations religieuses (2 e cycle). Dans ce cadre, il y aura portes ouvertes le samedi 11 décembre au Salon du Carrefour de l’information (B1-2018), de 13 h à 15 h 30, où 6 pecha kuchas seront présentés.

Si le pecha kucha ne convient pas à tous les types de présentation, il a le mérite de ramener PowerPoint à son rôle de simple support visuel (des images, quelques mots), laissant la présentatrice ou le présentateur au centre de sa communication. Par son format abrégé, le pecha kucha favorise les questions et l’interaction avec l’auditoire.

Une idée pour les formateurs : pourquoi ne pas démarrer un cours par un pecha kucha provocateur sur la matière ou la problématique du cours et laisser la place à des questions et réactions de la part des étudiants?

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