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Collèges et universités : tensions près des frontières

Autrefois bien balisées, les formations collégiales et universitaires offertes aux États-Unis ainsi qu’en Ontario se ressemblent de plus en plus. Jusqu’ici les missions des collèges et des universités de ces États étaient clairement distinctes les unes des autres : le collège offrait des formations courtes, appliquées, formant à un métier, alors que l’université visait des formations plus poussées, formant des professionnels ainsi que des chercheurs.

Or la transformation des besoins de formation a amené les frontières entre ces institutions à s’amenuiser, avec pour conséquence qu’on assiste aujourd’hui à une certaine rivalité entre les deux types d’établissements. Les universités doivent défendre leur territoire face aux collèges qui réclament une place plus importante en matière d’enseignement supérieur.

L’enjeu? La possibilité pour les collèges d’offrir des formations plus poussées dans des domaines qui leur sont traditionnellement dévolus, voire de décerner des diplômes de baccalauréat dans des domaines jugés «pratiques».

Front sud : les États-Unis

La volonté de certains community colleges américains va clairement en ce sens : offrir des programmes où la formation de nature technique se doublerait d’un volet critique et réflexif, menant à un grade de baccalauréat (qu’on désigne sous le vocable d’Applied Baccalaureate). L’émergence de ce type de diplôme fait d’ailleurs l’objet d’une recherche de l’Université d’Illinois financée par la Lumina Foundation for Education, dont les principaux résultats sont rapportés dans un numéro spécial du bulletin de l’Office of Community College Research and Leadership.

Les chercheurs ont notamment dégagé trois modèles de développement de ce type de programmes :

  • Career Ladder Model : modèle juxtaposant à la formation technique initiale une formation plus poussée orientée vers les besoins de l’industrie;
  • Upside-Down Model : modèle juxtaposant à la formation technique initiale une formation plus poussée composée de formation générale et de cours au choix;
  • Management Model : modèle juxtaposant à la formation technique initiale une formation plus poussée axée sur la gestion et l’administration.

Tous ces modèles se rejoignent sur un point : le développement d’habiletés intellectuelles de haut niveau (higher-order thinking skills). En pratique cependant, ces modèles semblent peu respectés : les chercheurs constatent surtout le développement de programmes de formation hautement individualisés de façon à s’adapter au mieux aux besoins du milieu et à la clientèle qui leur est propre.

La multiplication de tels programmes hybrides, offerts par des institutions dont l’offre de formation se caractérisait jusque-là par son caractère technique (les community colleges), ne va pas sans faire réagir des universités traditionnelles, qui y voient une intrusion dans un créneau leur étant traditionnellement réservé.

La tension entre les deux ordres d’enseignement s’en trouve d’autant renforcée, ce dont témoigne l’éditorial de Stephen J. Handel paru dans le Chronicle of Higher Education du 19 septembre 2010, «Silent Partners in Transfer Admissions». L’auteur, directeur du College Board’s National Office of Community College Initiatives, un centre visant à favoriser la réussite étudiante dans les colleges, y insiste sur l’importance de faciliter le passage des étudiants du collège à l’université.

Front ouest : l’Ontario

La volonté des collèges américains d’offrir des «baccalauréats appliqués» et d’investir ainsi le territoire des universités trouverait écho en Ontario, où la mission de certains établissements se transforme, ainsi que le rapporte un récent article d’Alex Usher publié par le Globe and Mail.

Le plus récent rapport du Conseil ontarien de la qualité de l’enseignement supérieur ( Rapport 2009- 2010) témoigne d’ailleurs de cette préoccupation quant à la remise en question du mandat des institutions d’enseignement en place et de la nature des programmes qu’elles offrent.

Les recommandations du Conseil rappellent notamment l’importance de différencier et de spécialiser la vocation des collèges, signalant que certains d’entre eux pourraient offrir des baccalauréats fondés sur une solide formation générale, alors que d’autres gagneraient à se concentrer sur la préparation des étudiants à l’apprentissage d’un métier. Ils évoquent également la possibilité de mettre en place des établissements spécialement dédiés à l’enseignement universitaire de 1 er cycle qui n’offriraient que des baccalauréats, sans que n’y prennent place des activités de recherche.

On voit d’ailleurs émerger un phénomène parallèle : la formation de plus en plus avancée offerte au niveau collégial pousse à la hausse les qualifications exigées des enseignants qui y interviennent. Macleans.ca OnCampus rapporte à cet effet que la demande de plusieurs collèges ontariens de devenir des institutions autorisées à décerner des diplômes de grade amène effectivement un besoin de formation additionnelle (de niveau maîtrise) pour les enseignants de ces institutions.

On remarque la même chose aux États-Unis : un article du Inside Higher Ed fait état de programmes de certificat offerts aux étudiants souhaitant enseigner dans les community colleges (ils prévoient notamment un stage comme assistant d’enseignement dans un tel établissement) ou alors visant des enseignants œuvrant déjà dans ces collèges mais souhaitant se former davantage.

Des leçons à en tirer?

La situation prévalant aux États-Unis et en Ontario se caractérise donc par un certain antagonisme entre
les deux ordres d’enseignement Au delà des domaines d’activité qui se transforment et qui viennent modifier les créneaux de formation autrefois étanches de chacune des institutions, il est clair que l’importance que revêt le recrutement d’étudiants dans le climat économique actuel contribue à attiser cette rivalité.

Ces constats ne se transposent pas nécessairement au Québec, où cégeps et universités se présentent volontiers comme deux réseaux d’institutions complémentaires. Face à des problématiques communes, on a même assisté à la mise en place de solutions concertées visant un meilleur arrimage entre les deux niveaux de formation (des programmes conjoints DEC-bac comme en sciences infirmières, par exemple).

Or, dans un contexte où la transformation des besoins de formation amène une augmentation de l’offre quant à la formation continue et à la formation à distance offerte de part et d’autre, on peut se demander à quel point les frontières autrefois étanches entre les deux paliers d’enseignement ne se retrouveront pas éventuellement remises en question.

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