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Cet apprentissage expérientiel dont vous êtes le héros : conceptions, caractéristiques et sens

En s’appuyant sur les travaux de Kolb et ceux de Charbonneau et Chevrier, Legendre (2005) définit l’apprentissage expérientiel (AE) comme un processus par lequel l’expérience d’une personne se transforme en connaissance ou savoirs (p. 94). Le présent article vise à approfondir diverses conceptions de l’AE, à prendre conscience des caractéristiques communes aux définitions importantes de l’AE, de même qu’à inférer le sens sociétal qu’on peut donner à cette approche à partir de documents provenant de différents établissements universitaires, de groupes d’intérêt et de sites gouvernementaux.

Différentes conceptions de l’apprentissage expérientiel

Derrière la définition générale de Legendre une variété de conceptions de l’AE coexistent (voir Legendre 2005 et Balleux 2000). Balleux note à cet égard qu’au cours de son évolution « la notion d’experiential learning glisse insensiblement au fil du temps vers la recherche de sens et entraîne avec elle dans cette direction la notion d’apprentissage ». Selon le contexte, l’AE peut référer à :

  • une conception ou une philosophie de l’éducation, voire de l’apprentissage selon laquelle l’expérience au sens large est jugée essentielle à un apprentissage significatif. Certains semblent distinguer l’éducation expérientielle de l’apprentissage expérientiel, la première étant davantage rattaché à la posture philosophique et l’autre davantage associée à sa mise en œuvre. Brock Universiy fait cette distinction alors que, dans d’autres établissements, cette distinction ne semble pas nécessairement faite.
  • de la formation pratique lorsqu’on définit l’AE comme « modèle d’apprentissage préconisant la participation à des activités se situant dans des contextes les plus rapprochés possibles des connaissances à acquérir, des habiletés à développer et des attitudes à former ou à changer » (Legendre, 2005, p. 95).
  • un « modèle d’enseignement centré sur l’apprenant, valorisant l’expérience passée des apprenants comme base d’apprentissages ultérieurs […] et préconisant l’apprentissage actif, significatif et relié à des situations réelles » (Legendre, 2005, p. 94) et ce, dans le contexte de la formation continue notamment.
  • l’apprentissage favorisant le développement personnel, i.e. « réalisé à partir d’une réflexion sur des expériences passées ou sur des expériences immédiates […] » (Legendre, 2005, p. 95).
  • l’expérience de vie des apprenants pouvant être valorisée dans le cadre d’une démarche de reconnaissance des acquis.
  • un modèle d’action communautaire et de changement social ou, du moins, d’éducation communautaire chez les personnes apprenantes.
  • un processus de l’apprentissage comprenant quatre phases : l’expérimentation concrète, l’observation réfléchie, la conceptualisation et l’émission d’hypothèses (Kolb, 1984) ou comprenant trois moments forts : l’action, la réflexion et le réinvestissement (Charbonneau et Chevrier, 1990, tiré de Legendre, 2005).

Quatre caractéristiques importantes de l’apprentissage expérientiel

Bien que plusieurs universités se soient dotées de leur propre définition de l’AE, la majorité de celles-ci comporte les quatre mêmes caractéristiques :

  • une conception de l’enseignement et de l’apprentissage centré sur l’apprenant,
  • une expérience authentique,
  • de la réflexivité et
  • une contribution à la société.

C’est le cas pour l’Association for Experiential Education (AEE), qui définit l’éducation expérientielle comme une conception de l’enseignement qui fonde de nombreuses approches pédagogiques dans lesquelles les enseignants s’engagent délibérément avec les apprenants dans une expérience directe et une réflexion ciblée afin d’enrichir des connaissances, de développer des compétences, de clarifier des valeurs et de développer la capacité des personnes à contribuer à leur communauté. (Traduit avec DeepL.com, puis ajusté)

C’est également le cas pour l’Université de Calgary qui définit l’AE comme un apprentissage par la pratique qui établit des liens entre les connaissances et l’expérience par le biais d’une réflexion critique. Les activités d’apprentissage expérientiel sont conçues et évaluées avec cette intention et, ce faisant, elles permettent aux apprenants d’améliorer des compétences individuelles et collectives comme que la résolution de problèmes complexes, des compétences liées à la pratique professionnelle et le travail d’équipe. La réflexion critique sur ces activités d’AE aide les individus à développer une pensée supérieure pour remettre en question et faire progresser leurs perspectives. Le processus de l’AE prépare les étudiants à assumer des rôles de citoyens actifs et à se réaliser  dans un monde de plus en plus complexe.  (Traduit avec DeepL.com/Translator).

Une pluralité d’approches pédagogiques basées sur l’expérience authentique

L’apprentissage expérientiel ne se réduit pas à une ou à quelques approches pédagogiques. En effet, il n’y a pas de consensus actuellement sur ce qui peut constituer une activité d’apprentissage expérientiel. Dans un effort de clarification, l’Université de Calgary a défini des critères qui permettent d’assurer la qualité des activités d’AE :  

  • la pédagogie : les activités d’AE sont intentionnellement intégrées au programme et reposent sur des objectifs pédagogiques ;
  • les activités d’AE sont des expériences pratiques qui soutiennent les cibles de formation du programme;
  • les apprentissages émanant des activités d’AE font l’objet d’une évaluation tout au long de leur réalisation;
  • les activités d’AE font l’objet d’une réflexion, elle aussi continue, par les étudiants.

De plus, elle a organisé les activités d’AE en 5 catégories :

  1. activités faisant partie d’un programme ou d’une activité pédagogique,
  2. activités extérieures à un programme d’études,
  3. activités de travail dans la communauté,
  4. activités réalisées dans le cadre de recherches,
  5. activités réalisées dans le milieu du travail.

L’Université de Calgary reconnait ainsi près d’une trentaine de formes d’AE et cette approche très inclusive n’est certes pas étrangère aux objectifs ambitieux qu’elle s’est fixés en matière de « participation de ses étudiants à des activités d’AE de qualité ». Du côté de l’Université Brock, on décline plus d’une quinzaine de types d’AE qui sont coordonnées par un service dédié à l’apprentissage coopératif, au développement professionnel et à l’éducation expérientielle (Co-op, Career & Experiential Education). L’Université York, l’Université Victoria et bien d’autres offrent aussi leur propre cartographie ou catégorisation des formes d’AE dans leur contexte : Éducation expérientielle pour York et Hands-on learning opportunities pour Victoria).

Voici une liste non exhaustive de types d’activités ou de formules pédagogiques que certaines universités associent à l’AE.

  • Apprentissage en milieu de travail
  • Apprentissage par projet
  • Assistanat de recherche
  • Bénévolat
  • Cliniques
  • Compétitions (ex. : disciplinaires)  
  • Éducation coopérative
  • Enseignement sur le terrain (Field School)
  • Études de cas
  • Expérience internationale ou interculturelle
  • Expérience pratique, expérience sur le terrain
  • Hackathon
  • Jeux de rôles
  • Laboratoires
  • Mandats à réaliser pour un tiers
  • Performances artistiques
  • Projets de conception, de création, de design
  • Programme de développement personnel immersif
  • Projets entrepreneuriaux et d’entrepreneuriat social
  • Projets intégrateurs
  • Service à la collectivité, service communautaire
  • Simulations
  • Stages (d’observation, en milieu de travail, de recherche)

Bien que chacun de ces mots mériterait d’être défini en tant que tel, ce qui dépasse le cadre du présent article, cette liste montre à quel point l’AE prend une grande diversité de formes selon l’établissement.  Le réalisme des situations et des environnements d’apprentissage forme un continuum sur lequel se positionnent différentes formes d’AE, depuis des situations simulées à des situations réelles où des étudiants interviennent « pour vrai » dans le cadre de leur apprentissage. Si l’apprentissage expérientiel est pour certains associé à un apprentissage qui se passe nécessairement en dehors des murs de la classe, cela n’est pas nécessairement le cas dans plusieurs établissements, mais toutes les différentes déclinaisons de l’AE ont en commun d’être centrées sur l’apprenant et d’exiger la présence d’une situation authentique.

Le niveau de participation, d’implication, ou d’engagement dans l’expérience

Si l’AEE utilise l’expression « expérience directe » (direct experience), elle reste floue sur le degré d’implication ou de participation de la personne étudiante dans l’activité d’AE. Un stage de « pure » observation en milieu réel peut-il être qualifié d’activité d’AE?  À l’Université Ryerson, c’est l’intention visant à s’assurer que l’expérience contribue bien à l’atteinte des cibles de formation qui détermine si elle peut être qualifiée d’AE ou non. Ainsi, dans cette perspective, l’AE est nécessairement un apprentissage actif, alors que l’inverse n’est pas nécessairement vrai. Au final, Ryerson n’associe pas les discussions actives (comme les études de cas), et les jeux de rôles à de l’apprentissage actif alors que d’autres, comme Calgary, le font.  

Un apprentissage réflexif

La réflexion est un élément incontournable de l’apprentissage expérientiel, car c’est elle qui permet de faire le lien entre l’expérience et les apprentissages qu’elle a offerts, de dégager une nouvelle compréhension qui peut ensuite être réinvestie dans d’autres expériences (Legendre, 2005). On peut identifier trois caractéristiques de la réflexion : « elle est assumée par l’apprenant, elle est intentionnelle et elle induit à la fois connaissance et sentiments » (Boud, Keogh et Walker 1985, p. 11 d’après Balleux 2000, p. 274).  Pour l’Université Brock, la réflexion est un processus continu (qui se fait avant, pendant et après l’expérience) qui permet d’identifier les apprentissages à faire, de les consolider et de les documenter. Témoignant de l’importance qu’accorde cette université au processus de réflexion autant que de l’importance que chacun trouve l’approche réflexive qui lui convient, elle propose des cadres de référence et une variété d’outils à sa communauté (voir encadré).

Le Centre d’innovation pédagogique de l’Université Brock offre une section de son site dédiée à soutenir les enseignants et les étudiants dans ce processus de réflexion. En plus de proposer les caractéristiques spécifiques de la réflexion, différentes façons de faire cette réflexion, ainsi que des domaines de réflexion (développement personnel, développement professionnel, etc.) Brock propose même une rubrique pour évaluer la qualité de la réflexion. Quatre cadres de référence favorisant le développement du processus réflexif sont aussi proposés sur le site de Brock : What? – So What? – Now What?( (Borton, 1970), DEAL (Ash & Clayton, 2009), ICE (Fostaty, Young et Wilson, 2000) et 4 R’S (Ryan’s , 2013).

Quel sens sociétal donner à l’apprentissage expérientiel?

Enfin, l’objectif premier de l’AE demeure toujours celui de la formation des étudiants. Pour l’AEE, comme pour plusieurs établissements, la clarification des valeurs ainsi que le développement des capacités chez les personnes étudiantes à contribuer à leur collectivité s’inscrivent aussi dans les buts visés. Pour certains, cette contribution se joue surtout en vue d’une insertion professionnelle réussie et, en ce sens, rejoint l’initiative du gouvernement ontarien dans le domaine de l’AE (voir Guiding Principles of Experiential Learning, 2017; qui incluent une liste de contrôle de l’apprentissage expérientiel)  Ces principes ministériels ont influencé plusieurs établissements d’enseignement supérieur ontariens comme les université de Ryerson et de Western, ainsi que le Durham College.

Toujours en Ontario, le Conseil provincial de partenariat (Provincial Partnership Council) a d’ailleurs été rebaptisé durant l’année 2016-2017 en Conseil pour l’apprentissage expérientiel (Council for Experiential Learning – CEL). Dans la planification stratégique du CEL, l’apprentissage expérientiel et l’apprentissage par l’expérience axé sur la communauté (Community-Connected Experiential Learning) y sont définis comme un concept unique :

…an approach to student learning that provides students with opportunities to participate actively in experiences connected to a community outside of school (local, national, or global); reflect on those experiences to derive meaning from them; and apply their learning to their decisions and actions in various aspects of their lives. (CEL, 2017, p. 3).

Sans nier l’importance de l’insertion professionnelle, certaines universités et associations élargissent la contribution à la collectivité pour y inclure la connexion avec la communauté, voire le changement social. C’est la position de Campus Compact, une association pour l’amélioration de la vie communautaire, qui vise à éduquer les étudiants à leur responsabilité sociale et civique. C’est également celle de l’AEE, qui fonde sa mission sur des valeurs de communauté globale, de leadership réflexif et de justice sociale. Les défis locaux, régionaux, nationaux ou même planétaires, comme les changements climatiques, sont des terreaux fertiles pour l’EA. Pour plusieurs établissements, l’AE est au cœur de leur stratégie de responsabilité sociale et de développement durable permettant de concevoir et de mettre en œuvre des solutions à l’échelle très locale des campus autant qu’à l’échelle de la collectivité élargie. C’est le cas notamment de l’Université de Calgary (ISCN 2021), de l’Université d’Alberta (Where could experiential learning take you?). Le très récent Campus de la transition écologique, dont plusieurs établissements d’enseignement supérieur sont partenaires, s’inscrit aussi dans cette vision de mettre à profit l’apprentissage expérientiel, au travers des activités de recherche et d’enseignement au service de la transition écologique.  

Conclusion : une variété de parcours à coordonner?

Comme un livre dont vous êtes le héros, l’apprentissage expérientiel offre une variété de parcours autant pour les personnes étudiantes que pour les établissements d’enseignement supérieur qui promulguent une diversité de définitions, de catégorisations et de visées de l’apprentissage expérientiel. On note que l’AE force au décloisonnement et à la transversalité entre les facultés et les services universitaires. L’Université Cornell a, à cet effet, annoncé en juillet dernier la fusion de deux unités en un nouveau centre de l’engagement communautaire (David M. Einhorn for Community Engagement). Dans certains établissements, les stages, le développement professionnel, l’éducation expérientielle et même les services pédagogiques en soutien à ces initiatives semblent être bien coordonnés et se renforcent comme à l’Université de Brock. Toujours centrées sur l’étudiant et en lien avec des situations authentiques, voire réelles, les définitions de l’AE endossées par les universités non seulement font bien souvent écho à leur mission mais témoignent tout autant du rapport souhaité avec la société. 

NOTE – Pour en apprendre davantage sur les arguments pour et contre entourant l’apprentissage expérientiel, consultez le Face et Pile sur l’apprentissage expérientiel.

  • On estime à quelque 5 600 personnes étudiantes de l’UdeS impliquées l’UdeS dans des activités de service à la collectivité correspondant à un total de 415 000 heures pour une année. (Selon un état des lieux mené sur les activités de service à la collectivité en 2018 tel que rapporté dans le dossier STARS.)
  • On dénombre près de 16 000 inscriptions réparties dans 492 activités pédagogiques offertes en 2020-2021 pouvant être qualifiées d’activités d’apprentissage expérientielle (soit des stages, des activités de préparation et synthèse de stage ou des stages terrain).
  • À cela s’ajoutent 4 813 stages coopératifs réalisés pendant l’année 2019-2020, dont 177 dans le secteur sans but lucratif et 1269 dans les secteurs publics ou parapublics. (Rapport annuel de 2019-2020 du Service des stages et du développement professionnel.

Référence

Association for Experiential Education. Site internet de l’organisation consulté le 17 septembre 2021.

Balleux, A. 2000. Évolution de la notion d’apprentissage expérientiel en éducation des adultes : vingt-cinq ans de recherche. Revue des sciences de l’éducation, vol. 26, no 2, p. 263-286.

Brock University. Experiential Education. Site internet consulté le 17 septembre 2021.

Campus de la transition écologique. 2021. Lancement du Campus de la transition écologique. 22 sept. Site internet de l’organisation.

Cornell University. Cornell. 2021. David M. Einhorn Center for Community Engagement. Site internet du Centre consulté le 22 sept 2021.

Council for Experiential Learning. Site internet de l’organisation consulté le 17 septembre 2021.

Council for Experiential Learning. 2017. CEL Strategic Plan 2017-2021. 15 p. Consulté le 17 septembre 2021.

Durham College. Experiential Learning is DC. Site internet consulté le 17 septembre 2021.

Kaipainen, E., R. Braun et R. Arsenault. 2020. Experiential Learning Plan for the University of Calgary (2020-25).   32 p.

Kelley, S. 2021. New center expands community engagement opportunities. Cornell Chronicle. Legendre, R. 2005. Dictionnaire actuel de l’éducation, 3e éd. Montréal, Guérin, 1554 p. Ministry of Advance, Education & Skills Development. 2017. MAESD’s Guiding Principles for Experiential Learning. Ontario.  8 p.

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