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L’Europe changera-t-elle les MOOC?

L’année 2012 a été consacrée Year of the MOOC (Massively Open Online Course) par le New York Times, compte tenu de l’engouement des institutions américaines pour ces cours en ligne gratuits. L’automne 2013 confirme que le phénomène devient mondial puisque la plupart des grands pays européens se mettent de la partie. L’impératif avoué : «rattraper» les États-Unis et offrir de la formation aux économies en développement. Mais le fait que certains cours permettent d’accumuler des points du Système européen de transfert et d’accumulation de crédits (ETCS) pourrait changer la donne.

Voici un tour d’horizon des MOOC en France, au Royaume-Uni, en Allemagne et en Espagne, une offre en pleine croissance.

France

Le 28 octobre 2013 débutaient les inscriptions en ligne pour les 22 premiers cours (non diplômants) de l’initiative France université numérique (FUN), financée à hauteur de 12 M d’euros par le ministère français de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. «L’objectif de ce plan université numérique : faire en sorte que chaque étudiant ait accès à des cours en ligne d’ici cinq ans et pouvoir obtenir à terme une certification et, pourquoi pas, un diplôme», explique la ministre Geneviève Fioraso (Brafman, 2013). La plateforme sera déployée par l’Institut national de recherche en informatique et automatique (INRIA) pour une entrée en fonction dès janvier 2014.

Les cours touchent sept disciplines : environnement (2), juridique (3), management (2), numérique et technologie (6), santé (4), sciences (3) et sciences humaines (2). Ils ont été réalisés par une vingtaine d’établissements d’enseignement supérieur français (universités, école d’ingénieurs). (Bergé, 2013)

Des sommités dans leurs domaines respectifs ont été recrutées pour les développer. Par exemple, Cédric Villani, mathématicien détenteur de la médaille Fields, prépare deux MOOC (un cours d’introduction et un cours avancé). Le gouvernement français est très ambitieux quant à la qualité des MOOC qu’il soutiendra :

«Si rien n’est imposé, il faudra néanmoins que chaque projet proposé soit créatif. Il s’agit d’aller au-delà du professeur qui parle derrière son micro… Au-delà des étudiants, c’est toute la formation professionnelle qui est visée […] Enfin, le ministère vise évidemment tous les pays francophones. Là encore, l’enjeu est gigantesque. En sciences et en technologies, par exemple, les élites africaines envoient aujourd’hui leurs enfants dans des universités anglo-saxonnes.» (Brafman, 2013; nos emphases)

Déjà plusieurs critiques ont été adressées au projet FUN (Roberge, 2013) :

  • L’acronyme de la plateforme ne fait pas particulièrement sérieux. On y voit un frein à l’exportation des MOOC français vers d’autres langues.
  • «… [C]ertains regrettent que le ministère de l’Éducation supérieure ait exclu du projet de nombreuses jeunes entreprises de MOOC.» Par ailleurs, «il reste encore des questions sur la possibilité de partenariat public-privé».
  • «La ministre [Fioraso] parle d’une création de 500 emplois sur cinq ans, mais certains pensent qu’ils seront en sous-nombre face aux demandes des établissements [universitaires].»
  • «Le montant alloué semble modeste si on le compare aux sommes investies par les géants américains du MOOC comme Coursera (65 M$) et edX (60 M$).»
  • Sur son blogue, Mathieu Cisel évoque la difficulté de sélectionner des projets porteurs :
    «… Si des appels à projets sont lancés, comment trier le bon grain de l’ivraie? Tout s’appelle MOOC en ce moment, et la qualité des différentes propositions est pour le moins hétérogène; or nous sommes trop en retard vis-à-vis des Américains pour nous permettre de gaspiller le denier public. L’image de la France à l’international est en jeu après tout, et il s’agit d’apporter une réponse à la hauteur de l’enjeu.»
  • David Meulemans, un commentateur au blogue de Cisel, souligne certaines difficultés pédagogiques : «[J]e me demande comment former les enseignants à cette nouvelle façon d’enseigner. Et je me dis que certains des professeurs que j’ai eus, bien qu’excellents, passeront mal dans un format MOOC.»

Royaume-Uni

C’est aussi en octobre 2013 que démarraient les premiers cours de FutureLearn. De 12 institutions britanniques (incluant Bristol et Warwick) qui s’étaient regroupées autour de la plateforme à la fin 2012, on est passé à 29 dont la British Library, le British Museum, des universités irlandaises, une australienne et une néo-zélandaise.

Le ministre David Willetts, responsable de l’enseignement supérieur et de la science, s’est dit «frustré» que FutureLearn ait été lancée aussi longtemps après les plateformes américaines, mais il considère qu’avec ses learning analytics et ses établissements de qualité, la plateforme britannique peut encore espérer se faire une place dans le marché. Dans son communiqué de décembre 2012, Willetts indiquait assez clairement que le marché visé était celui des pays émergents :

«Moocs present an opportunity for us to widen access to, and meet the global demand for, higher education. This is growing rapidly in emerging economies like Brazil, India and China. […] New online delivery tools will also create incredible opportunities for UK entrepreneurs to reach world markets by harnessing technology and innovation in the field of education.»

Le directeur général de FutureLearn, Simon Nelson, mentionne être très satisfait de la version de lancement – n’ayant bénéficié que de neuf mois de développement et limitant la participation à 10 000 inscrits par cours – mais la considère encore comme «very much a beta». FutureLearn inclura tout ce que l’on s’est habitué d’attendre des MOOC (vidéos, diapositives, texte, audio, quiz à choix multiples, etc.), mais aurait une dimension sociale plus importante : «… a “very powerful social architecture” that will be familiar to users of social networking sites such as Facebook and Twitter […] Students will have their own profile pages and will be able to “follow” others studying on the platform.»

Derrière FutureLearn, il y a notamment la Open University. Avec l’expérience et la crédibilité de cette institution en formation à distance, on serait en droit d’espérer des innovations pédagogiques significatives qui pourraient faire avancer les MOOC. Dans ce qui semble une tentative de gérer les attentes, la direction promet essentiellement de se distinguer par des développements techniques… futurs. Déjà, si l’évaluation par les pairs pouvait être plus intéressante que sur les plateformes américaines, ce serait un pas dans la bonne direction.

Un entrefilet du Globe and Mail de décembre 2012 rappelle par ailleurs qu’Oxford et Cambridge semblent résister à la vague MOOC (Chiose, 2012). Dans les commentaires, des lecteurs font l’hypothèse que ces vénérables institutions préféreront possiblement établir des MOOC d’élite (à la manière de edX pour Harvard, MIT, Berkeley, etc.) plutôt que de «ternir» leurs marques en s’associant à des universités de moindre réputation.

Allemagne

Fin octobre étaient aussi lancés les six premiers cours d’iversity, une dynamique entreprise allemande qui a atteint les 220 000 inscrits au début novembre. Son catalogue de 24 cours en anglais et en allemand, son offre disciplinaire très large (philosophie, physique, architecture, économie, politique et génie), les titres accrocheurs de ses cours (The Future of Storytelling, Dark Matter in Galaxies, Cyber Security and Human Rights, etc.) et son interface simple contribuent à rendre iversity très attrayante.

Afin de développer des contenus, la compagnie compte sur les contacts privilégiés qu’elle a établis avec 21 universités allemandes et européennes, ainsi que sur un concours où 10 projets (sur 250 dossiers) ont obtenu 25 000 euros de financement chacun. Pour monétiser ses opérations, elle envisage que les étudiants paient pour de la certification (les ETCS) et que des employeurs paient pour la mise en contact avec d’éventuels finissants.

Les ambitions d’iversity : devenir le Coursera de l’Europe d’ici la fin de 2014, avec une centaine de MOOC et un million d’utilisateurs. Comme ils ont déjà le vent dans les voiles…

Espagne

Même si elle a déjà une année d’avance sur les autres plateformes européennes, on s’en voudrait de passer sous silence Miriada X, créée par l’Université de Madrid. Une vingtaine d’établissements hispanophones et lusophones y ont adhéré, dont sept universités latino-américaines. Miriada X compte plus de 250 000 inscrits et offre plusieurs cours de formation continue aux enseignants ou aux entrepreneurs.

Une offre en pleine croissance

D’après le site Open Culture, plus de 600 MOOC de niveau universitaire auraient été offerts depuis septembre 2012, un peu partout dans le monde et dans tous les domaines. Selon Hannes Klöpper, cofondateur et directeur des études chez Iversity, l’Europe pourrait contribuer à légitimer les MOOC puisque son système de ETCS basé sur les acquis d’apprentissage place le fardeau de prouver la «non- acquisition» des connaissances sur les universités (Palin, 2013).

Qu’on le veuille ou non, sans être la révolution annoncée, le phénomène des MOOC est en pleine croissance et semble là pour rester. Il devient difficile d’ignorer ces cours en ligne, souvent assez bien faits, ne serait-ce que pour en tirer du matériel utile à son propre enseignement…

Sources

Bergé, Frédéric, «L’État soutient une plateforme ouverte de cours d’université sur Internet», 01Net, 2 octobre 2013.

Brafman, Nathalie, «L’université française passe de l’amphi au cours en ligne», Le Monde, 2 octobre 2013.

Chiose, Simona, «Education Ticker: Learning on iPad an oxymoron», The Globe and Mail, 18 décembre 2012.

Cisel, Mathieu, «MOOC : lancement de la plateforme nationale, ça va être FUN», La révolution MOOC, 4 octobre 2013.

Gibney, Elizabeth, «FutureLearn plans to stand out from Mooc crowd», Times Higher Education, 19 septembre 2013.

Lomas, Natasha, «Berlin-Based iversity Relaunches As MOOCs Platform, Sets Its Sights On Becoming The Coursera Of Europe», TechCrunch, 11 mars 2013.

Lomas, Natasha, «Europe’s iversity Launches 1st MOOCs With 100k+ Students & Curriculum Of 24 Courses», TechCrunch, 14 octobre 2013.

Oui, Mathieu, «MOOC : l’Europe contre-attaque», Educpros.fr, 19 novembre 2013.

Palin, Adam, «On course to become a credit worthy qualification», Financial Times, 24 novembre 2013.

Parr, Chris, «Open University launches British Mooc platform to rival US providers», The Times Higher Education, 14 décembre 2012.

Parr, Chris, «FutureLearn is go, but it is not quite the finished article», The Times Higher Education, 24 octobre 2013.

Roberge, Alexandre, «Marché des MOOC : les Européens entrent dans la danse», Thot Cursus, 16 novembre 2013.

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