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Un campus sans Facebook pendant une semaine

Le magazine en ligne Inside Higher Ed rapportait récemment une expérience de la Harrisburg University of Science and Technology de Pennsylvanie qui a causé un certain émoi sur la Toile : du 13 au 17 septembre 2010, on y a interdit l’accès aux populaires sites de réseautage social Facebook, MySpace et Twitter, aux outils collaboratifs accessibles dans la plateforme Moodle, de même qu’à certains logiciels clients de messagerie instantanée.

Les quelque 800 étudiants et 170 membres du personnel enseignant et administratif ont tous été affectés, qu’ils utilisent ces réseaux en lien avec leurs études, avec la formation ou même avec le recrutement : d’une part, l’accès à ces sites à partir du réseau institutionnel était bloqué; d’autre part, tout usage de ces outils était interdit sur le campus.

L’initiative est le fruit d’une réflexion qu’Eric Darr, vice-recteur principal (provost) de Harrisburg, a faite à la suite de l’observation des habitudes de communication de sa fille sur son téléphone cellulaire. L’expérience avait pour objectif d’encourager les étudiants et membres du personnel à prendre du recul afin de réfléchir à l’utilisation qu’ils font de ces réseaux dans leurs activités quotidiennes. L’exercice a été à la fois applaudi et critiqué par les personnes directement touchées dans cet établissement et par des milliers d’internautes réagissant à la nouvelle… diffusée par des messages lancés sur ces réseaux sociaux, de même que par les nombreux commentaires qu’il a suscités dans la blogosphère.

Plusieurs voix étudiantes ont vivement décrié l’initiative, la qualifiant même d’atteinte aux droits et libertés :

«When word arrived last week, via news reports, that Harrisburg would be blocking social-media access, the outcry was swift and loud […] At one point, the Bill of Rights was invoked. “Some people started talking free speech and stuff,” Mr. [Jason] Hyers [un étudiant en sécurité informatique] says. “But if you think about it, this is a private network. The university can do whatever it wants to.”» [notre emphase]

Pourtant, selon le vice-recteur Darr, 68 % des étudiantes et étudiants auraient répondu positivement à l’expérience (chiffres provenant d’un sondage effectué après la levée de l’interdiction). Plusieurs auraient affirmé qu’ils ont réussi à se concentrer davantage sur leurs études en l’absence de distractions causées par la consultation des sites de réseautage social.

«Student Ashley Harris, 22, said the blackout has freed her to concentrate on her classwork instead of toggling on her laptop between social networks and the lesson at hand. “I feel obligated to check my Facebook. I feel obligated to check my Twitter. Now I don’t,” Harris said. “I can just solely focus.”» [notre emphase]

De nombreux observateurs ont toutefois souligné que l’interdiction aurait surtout encouragé des étudiants à utiliser le réseau cellulaire 3G pour se connecter à leurs sites de réseautage favoris (plutôt que de passer par le réseau de l’université), à sortir du campus plus souvent dans le seul but d’accéder à des réseaux sans fil publics, ou encore à tenter de déjouer la sécurité du réseau interne dans ce même but…

À la suite des réactions négatives des médias, qualifiant l’expérience d’échec, et face à la résistance de certains étudiants et membres du personnel, la professeure Rene Massengale s’est sentie obligée de défendre l’expérience :

«I am a biotechnology/science professor who actively uses social networking to connect with students and achieve learning goals, to promote academic programs, and engage in discussions with industry partners about relevant food safety and science issues. I have been teaching for 12 years and have embraced these emerging technologies both in and out of the classroom. They can be productive methods for teaching and academe; and, if misused, can also detract from the educational process.

«In all fairness,the intent of the social media “blackout” week was not to prohibit free speech or activities on the part of students, staff, and faculty. We are an institution of science and technology of course; and as such, we embrace technology usage. This short-term “experiment” was simply a way to get us all to think about what we used to do “in the old days” before all this virtual networking was possible, NOT to censure activity, take away rights or privileges of individuals, or limit academic freedom of faculty. I am a strong supporter of academic freedom as are my colleagues at Harrisburg University. In the end, a reassessment of how we communicate with others and spend our time was exactly what this week was intended to do. So in terms of purpose, this week has succeeded. To term it an activity that has, as the title of this article says, “failed” misrepresents the
actual event and does not reflect the reason we did it in the first place. Ultimately, we are exploring ways to encourage and promote the success of our students and all of us by helping increase awareness of the competing demands on our productivity and time.» [notre emphase]

Par ailleurs, en visite sur le campus de Harrisburg, Sherrie Madia, directrice des communications à la Wharton School of Business et coauteure du livre The Social Media Survival Guide: Everything You Need to Know to Grow Your Business Exponentially with Social Media, a dû subir les effets de l’interdiction en étant privée du réseau Twitter qu’elle devait utiliser dans le déroulement d’une présentation prévue au même moment. Elle a toutefois réagi de façon nuancée :

«…Taking time away from routine technologies in order to assess their benefits and drawbacks is nothing to sniff at, says Sherrie Madia […].  While Madia says she was initially skeptical about a panel that forbade a dedicated Twitter hash tag where audience members could log opinions about the session in real time – standard practice at many academic conferences, especially tech-oriented
ones – she supported the spirit behind scrutinizing social media use at an individual and institutional level. “There are tremendous benefits to it, but it’s also causing side [effects] that aren’t so great,” Madia says.  “And I think that the beauty of this is it forces us to ask, “Why are we doing all this in the first place?”” People at Harrisburg will inevitably miss some uses of social media a lot, and others not so much – and that might teach them which habits are worth keeping and which are worth shedding, Madia says.» [notre emphase]

Que cette initiative soit simplement un coup de publicité, comme certains l’ont prétendu, ou bien qu’il s’agisse d’une authentique occasion de réflexion critique quant à l’impact des réseaux sociaux sur la vie de leurs utilisateurs, une question demeure : au final, les membres de la communauté universitaire de Harrisburg sont-ils plus en mesure d’évaluer s’ils sont devenus dépendants des réseaux sociaux?

Sherrie Madia apporte un éclairage intéressant sur la question : «Do we really want to be enslaved to Facebook or Twitter? Once you create anything in social media, you have to feed the beast. When you stop adding content, you disappear. [notre emphase]

L’expérience de Harrisburg le démontre, il est devenu difficile de bloquer l’accès aux multiples réseaux auxquels ont accès les étudiantes et étudiants. Certains formateurs évoquent parfois la possibilité d’interdire l’utilisation d’appareils mobiles en classe, car ils espèrent ainsi aider les étudiants à se concentrer davantage sur ce qui se passe dans leurs cours, plutôt que d’interagir avec l’extérieur via Facebook ou par d’autres médias sociaux.

Y aurait-il là une occasion de revoir cette utilisation et de la recadrer dans un contexte pouvant appuyer l’apprentissage plutôt que de l’en distraire? Toutes ces «fenêtres sur le monde» pourraient-elles être mises à profit par les enseignants?

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