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Comment apprend-on… et comment en tenir compte en enseignement?

Depuis le déploiement encore assez récent des sciences cognitives, nous comprenons davantage le fonctionnement du cerveau humain et des mécanismes de l’apprentissage. Conséquemment, l’objectif prioritaire de l’enseignement est désormais de maximiser les mécanismes qui permettront à la personne d’apprendre.

Puisque le rôle de l’enseignant est de favoriser l’apprentissage, pourquoi en savons-nous si peu sur le processus d’apprentissage? Outre le fait d’être nous-mêmes des apprenantes et des apprenants, notre compréhension du sujet est pour la plupart d’entre nous assez limitée.

Cette chronique résume les quatre piliers du processus d’apprentissage identifiés pour les sciences cognitives, selon l’éclairage de Stanislas Dehaene (2013), titulaire de la Chaire de psychologie cognitive expérimentale au Collège de France, desquels nous tentons de tirer quelques leçons pour notre enseignement.

Les 4 piliers de l’apprentissage

  • l’attention
  • l’engagement actif
  • le retour d’information
  • la consolidation

L’attention : un mécanisme de filtrage

L’attention nous permet de sélectionner l’information. Elle module l’activité cérébrale et facilite l’apprentissage. Dehaene insiste sur ces deux limites de l’attention : 1) lorsque nous sommes engagés dans une tâche, les stimuli non pertinents peuvent devenir littéralement invisibles; 2) le filtrage implique que réaliser deux tâches simultanément est très difficile. De fait, on a observé un phénomène de goulot d’étranglement dans la zone du cerveau responsable des fonctions cognitives (cortex préfrontal) au moment de l’apprentissage.

L’apprenant multitâche n’existe pas

Certains d’entre nous se disent multitâches. En réalité, ce qui se produit quand nous faisons deux choses « à la fois » est que nous déplaçons simplement notre attention d’une tâche à l’autre. Ainsi, momentanément, les signaux d’une tâche sont mis en veilleuse, au détriment de l’acquisition des signaux de l’autre tâche.

S’il s’agit d’une situation très habituelle et sans surprise ou s’il n’y a pas d’acquisition de nouvelles informations qui sont en jeu (comme faire la vaisselle), cela est réalisable. Mais répondre à un courriel ou suivre les réseaux sociaux en s’initiant aux différentes théories des révolutions industrielles durant un cours de sociologie n’est pas possible. L’apprentissage de l’une ou de l’autre tâche va nécessairement en souffrir, la plus complexe étant le plus en péril. Les apprentissages requièrent toute notre attention. Ainsi, réduire au maximum toute distraction environnante est une condition gagnante!

LEÇONS POUR NOTRE ENSEIGNEMENT

En considérant cette dernière limite, le rôle de l’enseignant est alors d’attirer l’attention sur le bon périmètre d’apprentissage. Par exemple, toujours proposer un guide de lecture pour éviter que l’attention du lecteur ne se disperse dans l’ensemble des nouveaux concepts du texte. Même chose pour une conférence, une exposition, un film ou un spectacle, et fournir les questions préalables à l’événement. Une question ouverte comme « quel lien pourrez-vous faire entre le premier acte de la pièce et la nouvelle que nous avons lue en classe? » pourra maintenir l’attention du novice sur les concepts requis pour les apprentissages visés. Plusieurs manuels proposent également des guides de lecture. N’hésitons pas à les mettre à profit.

L’engagement actif : un être passif n’apprend pas

Pour qu’il y ait apprentissage, l’apprenant doit nécessairement être mobilisé. La recherche en psychologie cognitive a démontré que l’engagement est favorisé par deux éléments sur lesquels l’enseignement a de l’influence, soit : 1) l’apprentissage est facilité quand l’apprenant est exposé en alternance à l’acquisition de connaissance et ensuite à un test sur ses nouvelles connaissances, et ce, de manière rapprochée dans le temps; 2) rendre les conditions d’apprentissage (raisonnablement) plus difficiles permet d’aboutir à un surcroît d’engagement et à un plus grand effort cognitif, tous deux synonymes de meilleure attention.

LEÇONS POUR NOTRE ENSEIGNEMENT

Avez-vous remarqué que les étudiants en général aiment les quiz? Ceux-ci permettent aux étudiants d’évaluer leurs apprentissages, de se mesurer à eux-mêmes ou entre eux. Raisons qui, en ellesmêmes, favorisent l’engagement. Être exigeant dans nos enseignements en offrant des défis à tous les apprenants est aussi une condition qui favorise l’engagement. Il ne faut pas sombrer dans l’excès, car l’effet sera inversé. Le bon dosage est de mise.

Le retour d’information : l’erreur est humaine mais aussi… indispensable

En vue d’un apprentissage, notre cerveau utilise des modèles internes afin de générer des prédictions sur le monde extérieur. L’apprentissage se déclenche lorsqu’un signal d’erreur montre que cette prédiction n’est pas parfaite. Autrement dit, il n’y a pas d’apprentissage si tout est parfaitement prévisible. Le signal d’erreur peut venir de plusieurs sources, comme une correction externe de la part de l’enseignant, d’un pair ou d’un quiz ou par le sujet lui-même s’il détecte un décalage entre la prédiction et l’observation. Les signaux d’erreur se propagent dans le cerveau, sans que nous en ayons nécessairement conscience, et ajustent sans cesse nos modèles mentaux.

LEÇONS POUR NOTRE ENSEIGNEMENT

L’erreur et l’incertitude sont normales, elles sont même indispensables à tout apprentissage. Considérant cela, accordons-leur une place dans nos enseignements. D’abord voyons les erreurs comme des traces d’apprentissage, encourageons leur dévoilement, valorisons le doute et le débat.

La consolidation : le transfert de l’explicite vers l’implicite

Au début d’un apprentissage, le cortex préfrontal − la zone du cerveau responsable des fonctions cognitives − est fortement mobilisé par un traitement explicite, conscient et avec effort. Progressivement, grâce à la pratique, l’automatisation transfère les connaissances vers des réseaux non conscients, libérant ainsi des ressources de traitement.

Rappelez-vous la toute première fois que vous avez conduit une automobile. Souvenez-vous de toutes ces manœuvres qu’il vous fallait réaliser une à une. À ce stade, il était bien difficile de conduire en même temps que d’écouter les infos à la radio, n’est-ce pas? Avec le temps et l’expérience, la consolidation a permis que ces apprentissages deviennent implicites. Cette automatisation est essentielle, c’est ce qui vous permet maintenant de pouvoir conduire efficacement dans un trafic dense, tout en réfléchissant à autre chose.

Le sommeil intervient dans la consolidation des apprentissages. Pour favoriser cette consolidation, il faut avoir un sommeil de qualité, mais aussi distribuer les apprentissages tous les jours. Ainsi, l’alternance veille/sommeil permet d’optimiser l’intégration des éléments appris.

LEÇONS POUR NOTRE ENSEIGNEMENT

L’enseignement universitaire a très peu de prise sur le sommeil des étudiantes et étudiants. Toutefois, définir étape par étape la réalisation d’une tâche facilitera grandement l’apprentissage à la phase du traitement explicite. Des étapes nommées et décrites seront d’autant plus utiles si elles se rapportent à la réalisation d’une tâche complexe. Vous demandez aux étudiantes et étudiants de collaborer en équipe à la réalisation d’une tâche complexe : peuvent-ils se référer à une procédure qui énonce les balises de la collaboration telle qu’elle est attendue?

La pratique est la clé de la consolidation de tout apprentissage. Lorsqu’il s’agit de concepts abstraits ou de compétences complexes, l’enseignement doit tout autant tenir compte de cet enjeu. La répétition et la révision sont des stratégies courantes, mais la consolidation sera aussi favorisée en mélangeant les questions soumises ou les problèmes au lieu de les présenter de manière linéaire. Cela pourra permettre de revoir les concepts appris, de les comparer, et favorisera l’apprentissage.

Alors, quelle stratégie d’enseignement mettez-vous en œuvre pour soutenir l’apprentissage?

Références

Collège de France, Les grands principes de l’apprentissage par Stanislas Dehaene, vidéo (37 min 6), YouTube, 20 novembre 2012.

Dehaene, Stanislas (2013), « Les quatre piliers de l’apprentissage, ou ce que nous disent les neurosciences », Paris Innovation Review, 7 novembre 2013.

Autres sources

Coffman, Sara, « Teaching Strategies That Help Students Learn How to Learn », Faculty Focus, 15 novembre 2010.

Grabau, Christopher, « Incorporating Principles in Cognitive Psychology to Improve Student Learning », Faculty Focus, 2 octobre 2017.

Weimer, Maryellen, « How Do You Learn? », Faculty Focus, 12 août 2015.

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