Le SSF Veille

La littératie informatique : pour faire face aux données

« The illiterate of the 21st century will not be those who cannot read and write, but those who cannot learn, unlearn, and relearn » 

— (Alvin Toffler)

De quoi parle-t-on ?

Les définitions de littératie informatique sont nombreuses. Toutefois, la plupart d’entre elles semblent faire une distinction entre des formes de littératie élémentaires et d’autres plus fonctionnelles référant à l’acquisition des connaissances ainsi qu’à la maîtrise de diverses compétences pour intégrer efficacement les technologies de l’information et des communications dans une discipline, dépassant la simple maîtrise technique du fonctionnement des outils :La littératie [informatique] se concentrait [à la fin des années 1980] sur l’utilisation de ces nouveaux logiciels et la définition de la littératie informatique portait davantage sur des compétences que des savoirs de spécialistes. Enfin, la phase réflexive s’est développée après l’émergence de jeunes étudiants ayant amené des innovations technologiques majeures depuis les années 1960. Il y a eu une prise de conscience que les pédagogies devaient avoir une vision plus large que la simple maîtrise technique et qu’il fallait se doter d’une approche plus critique, réflexive et basée sur l’évaluation. La notion de méta-compétence est introduite dans le concept de la littératie informatique » (Wikipédia)La professeure des sciences de l’information et de la communication à l’Université Sorbonne Nouvelle Divina Frau-Meigs (2017) présente la littératie informatique comme étant l’une des trois cultures de l’information qui convergent vers la translittératie. Dans le cas de la littératie informatique, l’information est comprise en tant que « donnée, qui fait appel à ces compétences opératoires telles que connaître le fonctionnement des appareils, créer et modifier des données, concevoir un logiciel (analyse et programmation)…»Beyers (2010) propose de distinguer la littératie informatique de la littératie numérique avec le concept plus utilitariste d’échelle technologique, où l’accès aux technologies par les élèves encourage à la fois l’innovation technologique au niveau sociétal et la possibilité d’acquérir les compétences technologiques requises pour accéder à un marché du travail en évolution.  Cette échelle peut alors servir de levier pour éliminer la fracture numérique, notamment dans les pays en voie de développement.   

(Beyer, 2010)

Béatrice Drot-Delange (2014) souligne pour sa part l’absence de consensus autour de la maîtrise des compétences et fait référence plutôt à l’émergence d’un nouveau mode de pensée informatique, guidé par le développement d’algorithmes pour résoudre des problèmes à l’aide d’outils et de langages numériques. La pensée informatique permettrait non seulement de mieux cerner comment poser les problèmes et concevoir des systèmes pour les solutionner mais également d’adopter une posture facilitant la prise de recul nécessaire pour en évaluer la portée dans différents domaines d’application.

Un projet d’innovation pédagogique mené par la professeure Michèle Venet, ici même à l’Université de Sherbrooke, a pour objectif de définir un cadre conceptuel pour soutenir des pratiques d’enseignement intégrant la pensée informatique. Cela s’actualise dans le cadre d’une activité pédagogique intitulée Création d’un cours d’initiation à la pensée informatique, plus spécifiquement par l’apprentissage de la programmation dans une perspective multidisciplinaire. 

Des cadres pour baliser l’intégration de l’informatique à l’enseignement ?

Le Cadre de référence de la compétence numérique du Québec réfère au développement d’une seule compétence numérique, laquelle s’articule autour de douze dimensions dites « phares ».  Les dimensions

  • 2. Développer et mobiliser ses habiletés technologiques
  • 10. Résoudre une variété de problèmes avec le numérique
  • 11. Développer sa pensée critique envers le numérique
  • 12. Innover et faire preuve de créativité avec le numérique

…semblent faire plus particulièrement référence à l’utilisation d’outils et au jugement requis pour bien interpréter les données qui se situent au cœur du développement d’une littératie informatique.

Un exemple d’intégration de la pensée informatique au développement curriculaire est le projet Pathways de l’Université Virginia Tech, où sept concepts clés se retrouvent au centre du développement de l’ensemble des programmes offerts par l’institution :

  1. discours,
  2. pensée critique en sciences humaines,
  3. raisonnement en sciences sociales,
  4. raisonnement en sciences naturelles,
  5. pensée quantitative et computationnelle,
  6. critique et pratique du design et des arts,
  7. analyse critique de l’identité et de l’équité aux États-Unis.

Le concept 5 fait directement référence à la pensée informatique et constitue une voie intéressante de développement pour en assurer l’intégration transversale à l’échelle institutionnelle.

En guise de conclusion…

Il serait hasardeux de sous-estimer l’importance de la formation en vue de développer la littératie informatique chez nos étudiantes et nos étudiants. De considérer cette dernière comme accessoire au développement d’une littératie numérique serait aussi une erreur. En effet, comme le souligne Drot-Delange (2014), l’utilisation des appareils informatiques et des technologies sous-jacentes facilite grandement l’analyse et l’interprétation du monde qui nous entoure.  Alors que les données sont colligées à grande échelle dans tous les domaines disciplinaires et que des algorithmes exploitant ces données se substituent à l’humain (dans les processus décisionnels, notamment), il importe de bien préparer nos étudiantes et étudiants à coexister avec la « machine informatique » de s’assurer qu’ils ont développées les compétences opérationnelles pour en rester « maîtres ». Avec l’intelligence artificielle qui se développe à vitesse grand V, la littératie informatique est plus que jamais à consolider.

Sources

Drot-Delange, Béatrice. Littératie informatique : quels ancrages théoriques pour quels apprentissages ? Spirale – Revue de recherches en éducation, 2014, pp. 121-132

Frau-Meigs, Divina, La translittératie : vers la transformation de la culture de l’information, Université Nouvelle Sorbonne Paris 3, juillet 2017, 87 p. [document PDF]

Gouvernement du Québec (2019). Cadre de référence de la compétence numérique. Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, 34 p.

Morin, Sonia.  Littératie informatique : essai de compréhensionL’Éveilleur, 14 juillet 2019.

Articles Similaires

La formation de professionnels, d’hier à aujourd’hui

Perspectives SSF

Économie verte : des compétences transversales pour relever les défis de demain

Véronique Bisaillon

La Fabrique de ressources éducatives libres (REL) : l’UdeS participe à un projet phare pour l’enseignement supérieur au Québec

Jean-Sébastien Dubé

Ajouter un commentaire