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La littératie informationnelle : des compétences mieux connues, mais non maîtrisées

Si la littératie informationnelle et les compétences qui la sous-tendent sont sans doute les plus connues des littératies numériques présentées dans ce numéro spécial, on doit constater que ces compétences restent loin d’être maîtrisées par la plupart des étudiantes et étudiants universitaires.

De quoi parle-t-on?

Selon Divina Frau-Meigs, professeure des sciences de l’information et de la communication à l’Université Sorbonne Nouvelle, la littératie informationnelle est celle par laquelle nous abordons l’information comme document (info-doc), plutôt que comme média ou en tant que donnée.  Elle suppose différentes compétences organisationnelles, notamment chercher, vérifier, naviguer, mais aussi en évaluer l’accessibilité, l’exactitude, la vérifiabilité de l’information, puis la trier, la classer, la référencer.

Dans le Cadre de référence de la compétence numérique du Québecon ne présente qu’une seule compétence numérique, qui compte cependant douze dimensions.  Parmi celles-ci, les dimensions 9 (Adopter une perspective de développement personnel et professionnel avec le numérique dans une posture d’autonomisation) et 11 (Développer sa pensée critique envers le numérique) touchent certainement à la littératie informationnelle.

Toutefois, c’est surtout la dimension 4 (Développer et mobiliser sa culture informationnelle), qui concerne directement l’information documentaire.


Les éléments de la dimension no 4 du Cadre de référence de la compétence numérique du Québec
  • Sélectionner et utiliser adéquatement l’information en tenant compte du contexte de surcharge informationnelle, par exemple des bulles de filtres;
  • reconnaître les situations qui nécessitent de l’information et agir en conséquence en planifiant et en mettant en œuvre une stratégie de recherche efficace et rigoureuse;
  • mobiliser l’ensemble des ressources disponibles, notamment les experts de contenu ou les spécialistes de l’information;
  • évaluer, à l’aide de critères rigoureux, l’information traditionnelle et l’information numérique, y compris celle publiée par son entourage et sur les médias sociaux, en faisant preuve de jugement dans la détermination de la crédibilité et de la fiabilité des sources et du contenu;
  • ajuster, au besoin, ses résultats de recherche en fonction de leur évaluation et organiser le contenu de ses recherches pour l’analyser;
  • adopter une attitude réflexive sur l’information et ses usages en étant conscient des contextes dans lesquels elle a été produite et reçue ainsi que des raisons pour lesquelles elle est utilisée.

Ce cadre de référence est notamment basé sur les travaux du Groupe de recherche interuniversitaire sur l’intégration pédagogique des technologies (GRIIPTIC) qui a analysé plus de 70 référentiels provenant de différents pays.  Des consultations ont également été menées auprès d’acteurs des milieux de l’éducation et de l’enseignement supérieur.

Par ailleurs, le Groupe de travail sur la promotion du développement des compétences informationnelles (GT-PDCI) au sein du réseau de l’Université du Québec a fait œuvre utile en traduisant en octobre 2016 le Framework for Information Literacy for Higher Education de l’Association of College Research Libraries (ACRL, 2015). Il s’agit du Référentiel des compétences informationnelles en enseignement supérieur.  ([NDLR : Le fait qu’« Information Literacy » ait été traduit par « compétences informationnelles » (CI) ne nous a pas échappé.])

On y présente une « définition élargie des compétences informationnelles, qui met en relief leur caractère dynamique, flexible, évolutif et collaboratif ».  D’après cette définition, les CI englobent…

  • la recherche éclairée et réflexive d’information,
  • la compréhension des procédés grâce auxquels l’information est produite et mise en valeur,
  • l’utilisation de l’information pour générer de nouveaux savoirs et
  • la participation éthique à des communautés d’apprentissage.

Selon l’ACRL, le développement des CI s’appuie sur six fondements :

  1. L’autorité est construite et contextuelle.
  2. La production de l’information est un processus.
  3. L’information a une valeur.
  4. La recherche savante est une démarche d’investigation.
  5. La production de savoirs résulte d’échanges.
  6. La recherche d’information est une exploration stratégique.

Des compétences encore à maîtriser

Les étudiantes et étudiants actuels ont grandi dans un monde où les ordinateurs sont omniprésents; ce sont des « natifs numériques » comme le veut l’expression.  Ils ont eu à effectuer des recherches en ligne et sur différentes plateformes pendant leurs parcours scolaires.  Certains enseignantes et enseignants pourraient donc croire qu’ils disposent déjà de la plupart des compétences précédemment évoquées.  Toutefois, comme le rappelle Frau-Meigs (2017) : « être connecté ne suffit pas à être compétent. »

Par exemple, Gabriel Dumouchel et Thierry Karsenti publiaient en 2018 « Comment les futurs enseignants sont-ils formés aux compétences informationnelles et comment prévoient-ils les enseigner? Une étude exploratoire menée au Québec (Canada) », les résultats d’une étude où ils ont interrogé 353 étudiantes et étudiants au baccalauréat en enseignement préscolaire et primaire de l’Université de Montréal.  Les auteurs confirment ce que d’autres ont observé avant eux : les compétences informationnelles de ces étudiantes et étudiants universitaires sont tenues pour acquises par certains enseignants et la formation à la recherche d’information vise surtout à préparer ces étudiantes et étudiants pour un éventuel passage aux cycles supérieurs.

Mais surtout, une

« …majorité des participants ont précisé avoir reçu une formation aux compétences en recherche d’information nettement insuffisante au cours de leurs quatre années de baccalauréat en enseignement. Nos résultats montrent que la formation s’est principalement déroulée en début de baccalauréat sous forme d’ateliers dans le cadre de certains cours, en plus d’avoir été centrée sur l’utilisation des outils de recherche de la bibliothèque de l’université… » [notre emphase]  

Parallèlement, le GT-PDCI du réseau de l’Université du Québec a produit récemment le Portrait des compétences informationnelles des étudiants du réseau de l’Université du Québec, 2018 à partir de l’analyse de 6 142 questionnaires complétés et valides, soit 17,6 % de la population étudiante du réseau.  Les questions présentaient des problèmes pratiques basés sur les six fondements de l’ACRL détaillés plus haut.

On y constate notamment que seules 6 des 22 questions ont été réussies par plus de 50 % des répondants. Les étudiantes et étudiants « utilisent certaines stratégies, mais ils pourraient développer des stratégies plus efficaces. »  Le GT-PDCI rappelle dans son rapport que « les compétences informationnelles peuvent avoir des répercussions sur…

  • la poursuite des études aux cycles supérieurs;
  • les résultats académiques des étudiants;
  • la persévérance et la rétention des étudiants;
  • le développement d’autres compétences essentielles au parcours académique, telles que la pensée critique, la communication écrite et les méthodes de travail (GT-PDCI, 2018) »

Par ailleurs, selon une recherche du Groupe de recherche sur l’intégrité académique (GRIA) à laquelle a participé l’Université de Sherbrooke, 87,4% des enseignants (N = 309) s’attendent à ce que les étudiants de 1er cycle aient développé suffisamment leurs compétences informationnelles pendant leurs études préuniversitaires pour être fonctionnels à l’université. En revanche, 94,1% des étudiants sondés (N = 1280) s’attendent à approfondir leurs compétences informationnelles pendant leurs études universitaires.

Intégrer encore davantage les CI à l’enseignement universitaire?

Selon le Cadre de référence, la compétence numérique…

« est primordiale dans le contexte actuel, marqué par des innovations technologiques qui transforment le marché de l’emploi et influent sur les compétences recherchées par les employeurs. En ce sens, il est nécessaire d’adapter la pratique enseignante et d’inclure la compétence numérique dans les programmes éducatifs pour préparer les futurs travailleurs et travailleuses aux défis de demain. »

De son côté, le Référentiel de compétences informationnelles en enseignement supérieur recommande notamment…

  • de bonifier l’offre de formation aux compétences informationnelles en s’appuyant sur les pistes d’amélioration décrites dans ce rapport,
  • de déployer des efforts supplémentaires auprès des étudiants au baccalauréat afin qu’ils puissent davantage développer leurs compétences informationnelles durant leur programme d’étude,
  • d’accompagner plus particulièrement les étudiants étrangers ou résidents permanents dans le développement de leurs compétences informationnelles,
  • de reconnaître l’importance d’intégrer le développement des CI tout au long des programmes d’études,
  • que les bibliothécaires-formateurs collaborent continuellement avec les équipes-programmes pour identifier les compétences informationnelles développées dans le cadre des programmes d’études et pour définir les actions à mettre en place pour atteindre les objectifs d’apprentissage ciblés. (GT-PDCI, 2018)

En 2019, les diplômées et diplômés universitaires, futurs professionnels et professionnelles, auraient tout intérêt à développer pendant leurs études une littératie informationnelle de niveau expert, afin d’être capables de naviguer avec discernement dans un univers numérique marqué par l’infobésité et les fausses nouvelles.  Pour ce faire, le développement de cette littératie doit être au cœur des cibles de formation de tous les programmes et les compétences qui la sous-tendent doivent être mobilisées tout au long du parcours de formation.

Sources

Dumouchel, Gabriel et Thierry Karsenti, Comment les futurs enseignants sont-ils formés aux compétences informationnelles et comment prévoient-ils les enseigner? Une étude exploratoire menée au Québec (Canada) , Revue internationale des technologies en pédagogie universitaire, vol. 15, no 2, 8 novembre 2018

Frau-Meigs, Divina, La translittératie : vers la transformation de la culture de l’information, Université Nouvelle Sorbonne Paris 3, juillet 2017. 87 p. [document PDF]

Frau-Meigs, Divina.  Les compétences numériques ne s’improvisent pas!  The Conversation.  5 octobre 2017.

Gouvernement du Québec. Cadre de référence de la compétence numérique. Ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. 2019. 34 p.

Groupe de travail sur la promotion et le développement des compétences informationnelles, Portrait des compétences informationnelles des étudiants du réseau de l’Université du Québec, 2018, Réseau de l’Université du Québec.

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