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Parlerez-vous « dégenré » dans votre classe cette année?

L’International Society for Exploring Teaching and Learning relayait en août dernier un article initialement publié par Teen Vogue à propos du langage neutre à utiliser pour faciliter l’intégration des personnes non binaires, c’est-à-dire qui ne s’identifient ni au genre féminin, ni au genre masculin. Au sein de la société comme au sein des établissements d’enseignement, tous ordres confondus, l’ouverture à la diversité sexuelle et de genre fait l’objet d’une réflexion entamée il y a déjà quelque temps. Différents acteurs mettent en lumière le principe selon lequel le langage, voire les pratiques enseignantes, peut avoir un impact important sur les personnes transgenres (abrégé comme « trans » ci-dessous) ou non binaires.

L’impact du langage et des pratiques enseignantes sur la communauté LGBTQIA+1En avril dernier, « plusieurs doctorant-e-s de différents départements de l’UQAM » ont écrit un Petit guide des enjeux LGBTQIA+ à l’Université, à l’intention des professeur.e.s et chargé.e.s de cours. Ce guide a été distribué dans le pigeonnier de plusieurs membres du personnel enseignant et a fait l’objet d’une certaine couverture médiatique. D’une part, les propositions de néologismes ont fait réagir. Depuis quelques années, la communauté trans fait des propositions quant à l’utilisation de nouveaux pronoms et mots dégenrés (ex. : ille au lieu de il ou elle, par exemple) ou de nouvelles règles d’accord non genrés (ex. : de nombreuxes étudiant e s, un e contributeurice informé e, iel est heureuxe et motivé e). Le français pose un défi supplémentaire à cet égard dans la mesure où tout est soit féminin, soit masculin, comme le relatait Geneviève Proulx dans un article paru sur Radio-Canada en 2015. Le moment où le français s’accordera au neutre semble encore bien loin. Selon Guy Bertrand, premier linguiste à Radio-Canada : « C’est absolument souhaitable pour le respect de ces gens d’avoir un ″genre neutre″. Sur le plan linguistique, c’est absurde parce qu’on ne peut pas décider, un moment donné, de changer la langue pour inclure un nouveau genre. » C’est à l’usage que la langue évolue. D’autre part, le guide prend une posture critique fondamentale en affirmant que « de nombreuses pratiques professionnelles, telles qu’enseignées à l’université, peuvent être nuisibles pour les personnes LGBTQIA+ ». Pour Gabrielle Bouchard, du Centre de lutte contre l’oppression des genres de l’Université Concordia, la détresse quant à l’utilisation d’un pronom genré est bien réelle pour les personnes non binaires : « Près de la moitié des personnes trans vont tenter de se suicider. De 70 % à 80 % ont ou ont eu des pensées suicidaires. Ce n’est pas dû à leur identité, mais bien aux barrières auxquelles elles font face. » (Proulx, 2015) Outre le langage, les interventions binaires ont non seulement un impact sur la communauté trans, mais aussi sur les personnes qui souhaitent rompre avec cette façon binaire de communiquer.

Des bonnes pratiques dans le respect de la Charte des droits et libertésDès 2015, la Chaire de recherche sur l’homophobie, grâce à un financement du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur, publiait un Guide des pratiques d’ouverture à la diversité sexuelle et de genre en milieu collégial et universitaire, fruit d’un travail de recherche visant à mettre en évidence les bonnes pratiques déjà en place dans plusieurs établissements pour en inspirer d’autres :

  • attitudes à adopter (reconnaissance de la diversité);
  • politiques institutionnelles;
  • procédures pour le suivi des incidents de nature hostile;
  • aide et soutien institutionnel;
  • mesures administratives spécifiques relatives au dossier étudiant et à la carte d’identité;
  • mesures pour assurer la confidentialité;
  • accès aux salles de bain et vestiaires;
  • prévention et formation.

Le postulat de base de ces mesures : créer un climat accueillant et sécuritaire qui facilite le cheminement scolaire pour tous. En 2017, la Table nationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie des réseaux de l’éducation a également publié un guide dont les principes fondamentaux trouvent leur source dans la Charte québécoise des droits et libertés de la personne. On y apprend à cet égard que « [l]e refus intentionnel ou persistant de respecter l’identité ou l’expression de genre du jeune trans ou du jeune non binaire peut être considéré comme une forme de harcèlement ou de discrimination pouvant entraîner des conséquences légales ».

À l’Université de SherbrookePlus près de chez nous, Séré Beauchesne Lévesque, qui a rédigé un « Guide de survie pour personnes trans arrivant à l’UdeS » (paru dans le journal Le Collectif du 30 août 2017), témoigne de l’immense stress lié à son arrivée à l’UdeS. C’est une personne qui a été pionnier.e dans les mesures qui sont en train d’être réfléchies et mises en place à l’UdeS. Un groupe de travail a été mis sur pied afin d’analyser plus à fond les besoins des personnes transgenres et non binaires. On imagine que des changements suivront d’éventuelles recommandations de ce groupe. Pour l’instant, les membres de la communauté LGBTQIA+ qui souhaitent bien réussir leur rentrée peuvent se référer au Groupe d’action trans de l’UdeS, un regroupement étudiant qui consacre une page Info-trans UdeS indiquant les façons de faire changer le nom sur sa carte étudiante, par exemple, ou donnant la liste des quelque 50 toilettes et douches non genrées sur les campus. 1 Lesbiennes, gaies, bisexuelles, trans, queers, intersex(ué)es, asexuelles, entres autres.

Sources

N.d. (plusieurs doctorant e s de différents départements de l’UQAM). Petit guide des enjeux LGBTQIA+ à l’intention des professeur.e.s et chargé.e.s de cours à l’UQAM, 2017.

Beauchesne Lévesque, S. « Guide de survie pour personnes trans arrivant à l’UdeS », Le Collectif, 30 août 2017.

Chamberland, Line et Puig, Ami. Guide des pratiques d’ouverture à la diversité sexuelle et de genre en milieu collégial et universitaire. Montréal, Chaire de recherche sur l’homophobie, Université du Québec à Montréal, 2015.

Dion-Viens. D. « L’Université Laval se tourne vers le ″français neutre″ », TVA Nouvelles, 3 mai 2018.

Nouvelles UdeS. L’UdeS salue les initiatives en appui à la diversité sexuelle et de genre, 17 mai 2018.

Ortiz, L. « How to Use Gender Neutral Words », Teen Vogue, 27 août 2018.

Proulx, G. Un français plus neutre : utopie?, Radio-Canada, 3 décembre 2015.

Table nationale de lutte contre l’homophobie et la transphobie des réseaux de l’éducation. Mesures d’ouverture et de soutien envers les jeunes trans et les jeunes non binaires, guide pour les établissements d’enseignement, 2017, 29 p.

Tardif, D. « Iel s’appelle Séré », La Tribune, 27 décembre 2016.

Teisceira-Lessard, P. « Un groupe propose aux profs de l’UQAM d’adopter un ″français dégenré″ », La Presse, 17 avril 2018.

Teisceira-Lessard, P. « UQAM : les militants pour un français dégenré font fi des critiques », La Presse, 18 avril 2018.

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