Ça se passe chez nous

Innover en enseignement collégial afin d’obtenir une maîtrise

Julie Lyne Leroux

Le Secteur PERFORMA de la Faculté d’éducation offre de la formation créditée aux enseignants en exercice du collégial depuis 1973 en partenariat avec des collèges. C’est dire que le besoin de perfectionnement chez ceux-ci n’est pas nouveau. Toutefois, il y a lieu de se demander pourquoi une enseignante ou un enseignant au collégial voudrait obtenir une maîtrise en enseignement. Après tout, l’embauche des enseignants dans les cégeps se fait essentiellement sur la base des connaissances disciplinaires et de l’expérience professionnelle de ceux qui postulent. La professeure Julie Lyne Leroux rappelle néanmoins que ces enseignants doivent soutenir le développement de compétences des étudiants du XXI e siècle, ce qui met une pression importante sur la formation qu’ils offrent. Ils ont rapidement besoin de notions de pédagogie, de didactique, besoin d’améliorer leur pratique enseignante et d’intégrer les technologies du numérique à leur enseignement. Elle souligne que les programmes des collèges sont formulés selon une approche par compétences depuis 1993. Les défis sont donc nombreux.

Une nouvelle façon de faire sa maîtrise

La professeure Leroux est responsable du cheminement francophone de la maîtrise en enseignement collégial (MEC), du microprogramme de 2 e cycle en insertion professionnelle en enseignement collégial (MIPEC), du microprogramme de 2 e cycle en conseil pédagogique au collégial (MCPC) et du Certificat de perfectionnement en enseignement au collégial (CPEC). Le MIPEC permet de passer au Diplôme de 2e cycle en enseignement au collégial (DE) qui peut mener à la MEC. Ces programmes s’emboîtent telles des poupées gigognes, permettant à l’étudiant qui le désire d’obtenir des reconnaissances au fur et à mesure qu’il progresse dans le cursus.

« Ces enseignants veulent innover dans l’action pour répondre à un besoin lié à leur pratique »

Julie Lyne Leroux

En 2006, la maîtrise en enseignement offerte à la Faculté d’éducation est scindée en trois volets: la maîtrise en enseignement au primaire, la maîtrise en enseignement secondaire et la MEC. C’est cette dernière, sous l’égide du Secteur PERFORMA, qui nous intéresse. De l’avis de la professeure Leroux, les essais professionnels réalisés dans le cadre de la MEC sont « volumineux ». Ils sont d’une grande qualité, mais cette ampleur (environ 150 p.) ne permet pas d’aller jusqu’à l’expérimentation. Est-ce pour cela qu’entre 25 et 50 % des cohortes abandonnent?

Suite à la plus récente évaluation périodique du programme, on a ressenti le besoin d’adapter davantage la formation aux besoins exprimés par des enseignants du collégial. C’est ainsi que l’on a développé une alternative au bloc essai et que l’on expérimente actuellement à titre de projet pilote : il s’agit d’un bloc innovation et développement professionnel.

Ce nouveau bloc suppose une démarche rigoureuse, mais permet de compléter la MEC en deux ans (ce qui correspond au maximum de la libération pour congé d’études à l’ordre collégial). Sinon, les études se prolongent. Actuellement, deux cohortes expérimentent ce bloc dans le cadre du projet-pilote : un groupe d’enseignants d’un peu partout au Québec suivent la formation entièrement à distance ou « en ligne » (Moodle, WexEx, MonPortfolio), alors qu’un groupe composé notamment d’enseignants du Collège Montmorency et du Cégep de Saint-Jérôme reçoit des cours selon la formule dite du « présentiel enrichi » (séminaires en présence, accès aux ressources sur Moodle, MonPortdolio, accompagnement et rétractions à distance).

De la vraie recherche?

Les étudiants de la MEC sont des enseignants en exercice en provenance de programmes préuniversitaires et techniques au collégial. Plusieurs d’entre eux sont moins enclins à rédiger un essai de recherche (qui représente les derniers 15 crédits du programme) qu’à régler un problème pédagogique rencontré dans leur pratique : « Ces enseignants veulent innover dans l’action pour répondre à un besoin lié à leur pratique, améliorer leur enseignement et améliorer les apprentissages et la réussite de leurs étudiants. Le bloc innovation et développement professionnel répond à ce besoin », explique la professeure Leroux.

Dans le nouveau bloc actuellement en expérimentation, les enseignants documentent leur propre développement professionnel, produisent un rapport et doivent communiquer oralement la démarche et les retombées de leur innovation pédagogique (environ 70 pages). Voici quelques exemples de projets menés pendant le projet-pilote:

  • Intégrer une méthode d’apprentissage par projets (APP) en chimie pour améliorer l’engagement des étudiants du collégial;
  • Utiliser la pédagogie inversée pour des cours d’éducation physique de manière à ce que le temps de classe soit vraiment consacré à l’activité;
  • Permettre aux étudiants de se filmer pour évaluer les compétences à la communication orale en situation authentique;
  • Soutenir le transfert de connaissances par l’utilisation de mannequins haute-fidélité mère-enfant en soins infirmiers, etc.

Julie Lyne Leroux est bien consciente que pour certaines personnes, une telle démarche d’innovation basée sur le Scholarship of Teaching and Learning (SoTL) n’est « pas de la vraie recherche ». Pourtant, cette démarche est bien documentée par de la littérature scientifique qui démontre toute la difficulté d’un processus d’innovation où l’on tente d’intégrer du nouveau à de l’existant. La démarche de recherche traditionnelle par essai est davantage connue : elle suppose une recension exhaustive des écrits pour développer ou analyser du matériel pédagogique, étudier un cas, répertorier des pratiques, etc. Les objectifs d’un projet d’innovation selon une démarche SoTL ne sont simplement pas les mêmes. Dans le cas de la MEC, on vise l’excellence en enseignement et la qualité de la formation collégiale. On veut à la fois…

  • améliorer les pratiques des enseignantes et enseignants,
  • améliorer les apprentissages des étudiantes et étudiants du collégial,
  • valoriser la profession et l’activité enseignantes.

Séminaires, communauté d’apprentissage professionnel et portfolio

Au plan logistique, plutôt que de suivre des séminaires sur les stratégies de recherche, la définition du projet (9 crédits) et l’essai (6 crédits), les étudiantes et étudiants du bloc innovation et développement professionnel suivent les séminaires et activité pédagogique suivants :

  • Séminaire 1 – Innovation et démarche SoTL (4 crédits)
  • Séminaire 2 – Mise en œuvre du projet d’innovation (4 crédits)
  • Séminaire 3 – Implantation et évaluation du projet d’innovation (4 crédits)
  • Stratégie de communication de l’innovation (3 crédits)

Au cœur de ce cheminement, on trouve lescommunautés d’apprentissage professionnel (CAP). Si le travail de recherche par essai est plutôt une démarche individuelle, le développement professionnel s’appuie sur le soutien de l’ensemble de la cohorte. Quelque part entre la communauté de pratique et le groupe d’étude, Julie Lyne Leroux nous en explique les particularités : « Une CAP, c’est une communauté qui a ses modes de fonctionnement, une culture de collaboration accompagnée par une conseillère pédagogique répondante locale PERFORMA ou une chargée de cours. Cette communauté permet de partager une vision, de discuter des projets, de cerner son sujet, elle favorise la motivation. Au fond, la CAP devient le lieu d’encadrement, un réseau, un accélérateur de l’innovation.»

En plus des traditionnels séminaires et de la CAP, le bloc Innovation et développement professionnel de la MEC repose sur l’usage du portfolio numérique. Ce dernier sert à recueillir les traces de développement professionnel en fonction de la compétence que l’étudiant a choisi de développer dans le cadre de son projet d’innovation. Les artefacts liés à son projet d’innovation pourront également être consignés dans son portfolio numérique (par exemple : plans de cours, descriptifs d’activités pédagogiques, mémos de réunion, échanges de courriel, photos d’étudiants en action, pourcentage de réussite, etc.) C’est un outil qui permet une réflexion soutenue par une collection qui propose des pistes de questionnements et de réflexions. Des rétroactions formatives sont formulées par les personnes qui accompagnent la CAP. Le portfolio qui est présentement en expérimentation a été développé dans le cadre d’un projet facultaire soutenu par le Fonds d’innovation pédagogique (FIP).

Enjeux et suites

La formation offerte par PERFORMA aux enseignants du collégial des quatre coins du Québec comporte des enjeux propres à l’enseignement à distance. De même, des enjeux de persévérance et de réussite surviennent lorsque l’on s’adresse à des enseignants en exercice qui se perfectionnent pendant leurs heures de travail. Toutefois, avec ce nouveau bloc à l’essai, l’équipe de PERFORMA confirme son rôle de partenaire de l’innovation pédagogique en enseignement supérieur au collégial.

Puisque les résultats du projet-pilote semblent concluants, on va en rendre compte dans différents forums (par exemple: l’Association québécoise de pédagogie collégiale (AQPC)). On veut également demander une modification de la MEC pour intégrer plus officiellement le bloc innovation et développement professionnel. Par la suite, la professeure Leroux explique qu’il faudra retourner en amont et adapter le microprogramme (MIPEC) et le diplôme (DE) pour tenir compte de ce nouveau bloc et assurer une cohérence. De même, on ira en aval pour réexaminer les liens existants avec les programmes offerts à la Faculté au 3 e cycle (exemple : le doctorat professionnel en éducation, cheminement innovation).

Avec ce projet-pilote, PERFORMA s’ancre encore davantage dans la pratique professionnelle, en collaboration avec les acteurs des collèges impliqués. Dans l’équipe, on se montre très satisfait de cette agilité à répondre aux besoins exprimés par les enseignants du collégial, ce qui permet d’obtenir des retombées concrètes sur la formation et la pratique dans les milieux. Se faisant, on propose une démarche qui vise à soutenir l’innovation et le développement de connaissances nouvelles par la confrontation des savoirs et de leurs mises en pratique en situation réelle. L’échange d’idées et de pratiques entre pairs dans la Communauté d’apprentissage professionnelle (CAP) est au cœur de cette démarche.

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