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Situations authentiques, recul critique et cohérence : l’évaluation en mode «parcours»

Depuis 2009, le Département de gestion de l’éducation et de la formation de la Faculté d’éducation offre un microprogramme de 2e cycle conçu sous forme de parcours de professionnalisation à l’intention de conseillers pédagogiques en exercice, notamment dans les commissions scolaires. Perspectives SSF s’est entretenu avec la professeure Louise Royal, responsable de ce microprogramme, pour discuter d’évaluation à partir de situations authentiques de travail, d’évaluation de la prise de recul critique des étudiantes et étudiants, ainsi que d’arrimage de l’évaluation des apprentissages dans les parcours de professionnalisation.

D’après la professeure Royal, la plus grande force du microprogramme, c’est qu’il favorise vraiment le transfert de connaissances et leur mise en œuvre. Alors qu’habituellement on ne retient environ que 10 % à 20 % d’une formation en milieu de travail, les contacts avec les étudiantes et étudiants dans le cadre de ce parcours permettent de constater des changements de pratique concrets sur le terrain.

Quant à l’évaluation des apprentissages, Louise Royal explique qu’il est difficile pour les enseignants du microprogramme de se rapprocher suffisamment des individus pour observer leur développement, compte tenu du fait que la formation est à la fois courte (quatre cours) et intensive (offerte habituellement en séances de deux journées consécutives). Les cibles pédagogiques se rencontrent sur un an et le nombre d’étudiants est important, puisque plusieurs cohortes parallèles suivent les cours.

La principale différence entre évaluer dans un programme conçu en parcours de professionnalisation et évaluer dans un programme plus traditionnel réside en ce que «nous devenons encore plus conscients que les situations professionnelles sont nos cibles de formation. Cela aide à faire des liens. On s’éparpille moins, mais cela nécessite de se centrer sur l’essentiel», dit la professeure. En même temps, un parcours n’est pas une formation technique : «On ne fournit pas de recettes ou de modèles à appliquer directement sur le terrain», dit-elle. Les situations issues du terrain deviennent cependant des moments privilégiés d’évaluation.

Évaluer en situations authentiques

Quand on lui demande ce qu’implique évaluer à partir de «situations authentiques» ou à partir de «situations réelles de travail», Louise Royal offre ces observations judicieuses :

«La situation doit être explicite, claire et pertinente. Les professionnels en exercice seront-ils placés dans ce genre de situation? Si c’est l’étudiant qui choisit la situation, ce choix doit être balisé par une description précise et comportant des caractéristiques précises. La situation doit être suffisamment complexe et présenter un caractère d’inédit qui amènera les étudiants à devoir faire des choix d’actions.»

Un important travail en équipe d’enseignants a permis d’imaginer une situation professionnelle «condensée», un scénario qui permettrait d’observer la mobilisation des ressources (connaissances, habiletés, etc.) par les étudiantes et étudiants. «Nous avons trouvé ensemble les critères d’évaluation, mais placer des seuils est difficile et requiert une application empirique à diverses reprises afin de s’ajuster», dit Louise Royal. Or, l’une des choses les plus difficiles à évaluer lors de ces situations-types, ce sont les réflexions qui accompagnent les interventions des étudiants.

Évaluer le recul critique

Dans le projet de programme, on mentionne que «la prise de recul critique au regard de la pratique professionnelle […] est une activité qui jalonne le parcours». Il y a lieu de se demander comment elle se manifeste. Par quels critères déterminer que X fait davantage preuve de «recul critique» que Y?

D’une part, la professeure Royal nous explique que la prise de recul dans le programme fait l’objet d’un guidage particulier : «On ne laisse pas aller l’étudiant. Les moments de réflexion sont assez structurés dans les quatre cours, mais on doit les évaluer de façon indirecte.» Par exemple, deux étudiants collègues de travail peuvent s’entraider par des observations croisées, suivies de discussions. On peut aussi simuler des cas et demander aux étudiants comment ils réagissent.

D’autre part, Louise Royal nous donne une idée de ce que l’on attend des étudiantes et étudiants :

«On ne fera pas d’eux des “professionnels réflexifs” du jour au lendemain, mais on peut amener les étudiants à voir que cette pratique de réflexion suit certaines règles, certains concepts et référents communs. S’ils parviennent à introduire ces référents dans la prise de décision, si des critères les guident dans leurs questions, on a fait un pas important… Ils doivent aller au-delà du premier niveau où l’on se contente de décrire ce que l’on fait. En définitive, on cherche à savoir si leur prise de recul est consistante ou pas. Peuvent-ils justifier pourquoi ils ont posé telle ou telle action avec un argumentaire théorique, des référents théoriques?»

Mieux arrimer l’évaluation

Une des conséquences d’avoir structuré un programme en parcours de professionnalisation est un meilleur arrimage entre le profil de sortie, les situations professionnelles types et les objectifs intermédiaires de chaque activité pédagogique. On peut se demander quels impacts ces liens de cohérence et la complexité croissante des objectifs pédagogiques ont sur l’évaluation des apprentissages.

Dans le microprogramme en conseillance, l’évaluation se déroule séparément pour chaque cours, mais grâce aux nombreux échanges requis entre professeurs et chargés de cours, ceux-ci sont toujours certains de ce qui a été vu par les autres membres de l’équipe. Le fait qu’il y ait redondance dans les modalités d’évaluation permet aux étudiantes et étudiants de mieux savoir à quoi s’attendre. Dans les quatre cours, des situations authentiques obligent les étudiants à se mettre en action et amènent une prise de recul qui fait l’objet d’une évaluation.

Par exemple, une gradation existe entre les cours 1 (Rôle conseil et accompagnement) et 2 (Rôle conseil et changement organisationnel), dans lesquels les enseignants s’assurent de ne pas se répéter et demandent que le recul critique soit plus détaillé, plus appuyé sur des référents au second cours. C’est la même chose entre les cours 3 (Conception d’activités de formation) et 4 (Intervention en développement professionnel). Il y a également une forme d’intégration générale au cours 4, puisque l’on effectue une remise en perspective de l’ensemble des ressources (connaissances, habiletés, savoir-être) à mobiliser.

La professeure Royal nous donne l’exemple de complexité grandissante dans les situations professionnelles et dans leur évaluation à partir du cours qu’elle donne :

  • Dans une première situation, des clients volontaires demandent au conseiller pédagogique de les aider à effectuer un changement. Les paramètres qui influent sur la situation sont donc limités.
  • Dans une seconde situation, une direction d’établissement demande un changement qu’elle impose à son personnel. On imagine aisément que les facteurs dont il faudra tenir compte se multiplient.
  • Dans une situation finale, objet d’une évaluation sommative, la professeure joue le rôle d’une gestionnaire qui soumet une demande inconnue au cours d’une séance Via d’environ une heure. L’objectif est de bien mettre l’accent sur le processus de résolution et non sur le contenu spécifique de la demande. Chaque étudiant soumet un rapport sur la performance de l’équipe, incluant sa performance individuelle, et de la rétroaction sur la façon dont il perçoit que la résolution de problème en équipe s’est déroulée. Ce scénario d’évaluation a les impacts suivants :
  1. La préparation à cette évaluation oblige à une riche révision en équipe.
  2. La professeure est vraiment en mesure d’observer la réflexion collective de l’équipe et d’y réagir en tant que cliente.
  3. L’équipe peut ensuite visionner sa discussion enregistrée par Via. Selon une étudiante : «On se découvre et on se reconnaît.»

Évaluer pour faire progresser

Dans le dossier de présentation, on peut lire que dans ce microprogramme, «l’évaluation des apprentissages a pour objectif non seulement de sanctionner la réussite de l’étudiante ou de l’étudiant, mais elle est aussi une occasion pour ces derniers de prendre conscience des progrès réalisés ou à réaliser». Malgré l’âge adulte et la pratique professionnelle, les apprenants ont un «réflexe étudiant» en salle de classe : ils veulent avoir de bonnes notes. Louise Royal met beaucoup d’énergie à leur donner de la rétroaction. À l’intérieur d’un même semestre, elle demande trois productions à ses étudiantes et étudiants. L’objectif : offrir autant d’occasions pour permettre aux étudiants de prendre connaissance de la façon d’évaluer de l’enseignant et de poser des questions.

«Les étudiants voient le progrès. C’est un processus», dit Louise Royal. La traversée de ce processus se traduit par des témoignages élogieux. Récemment, un diplômé affirmait : «Avant ce parcours, j’étais un très bon enseignant, maintenant je suis conseiller pédagogique.»

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