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Réforme de la formation notariale : l’empreinte Sherbrooke

À l’automne 2013, les étudiants qui poursuivront leurs études universitaires au programme de droit notarial auront fort probablement un parcours différent de celui de leurs prédécesseurs. Sous réserve d’une autorisation par les instances pertinentes, l’Université Laval ainsi que les universités de Montréal, d’Ottawa et de Sherbrooke ajouteront un nouveau microprogramme de 2 cycle en droit notarial appliqué à leur programme de droit notarial actuel. Or, cette réforme de la formation notariale profite de plusieurs innovations pédagogiques déjà en vigueur à l’Université de Sherbrooke.

Le microprogramme, qui sera vraisemblablement mis en œuvre au cours de la prochaine année universitaire, comporte deux volets. D’une part, une formation de 8 semaines en milieu universitaire axée sur de l’apprentissage actif organisé autour de situations professionnelles, et d’autre part, un stage de 16 semaines en milieu de travail sous supervision universitaire. Une fois leur diplôme en droit notarial complété, tous les futurs notaires seront ainsi tenus de s’inscrire à ce microprogramme.

Le chaînon manquant

Depuis 1994, le stage professionnel est sous la responsabilité de la Chambre des notaires du Québec, alors que le rôle des universités se limite à transmettre les connaissances juridiques. Cette formation en silos ne permet pas toujours aux étudiantes et étudiants de faire les liens que requiert l’application des concepts sur le terrain. Le nouveau microprogramme vise donc un meilleur transfert des connaissances vers la pratique.

Le microprogramme a notamment pour objectifs de renforcer, chez les futurs notaires, la construction de la pensée critique en regard de la pratique notariale, d’intégrer les principes de l’éthique et de la déontologie à des situations professionnelles concrètes, de promouvoir et d’appliquer une approche préventive dans le but d’éviter tout problème éventuel.

Surtout, le microprogramme offre plus de temps aux formateurs pour optimiser les apprentissages. Outre l’acquisition de connaissances juridiques générales au cours du baccalauréat en droit et celle de connaissances plus spécialisées pendant la formation offerte au diplôme en droit notarial, il est essentiel que les étudiants soient confrontés à des situations professionnelles. Les étudiantes et étudiants doivent interpréter des situations, résoudre des problèmes et prendre des décisions.

Le microprogramme s’inscrit dans un continuum d’apprentissage pour assurer un maillage adéquat entre la formation en droit notarial, le stage en milieu professionnel et l’exercice de la profession : «On veut que les étudiants acquièrent des notions de droit poussées en leur demandant de résoudre des situations plus complexes que celles que l’on voit au diplôme. S’ils n’ont jamais eu l’occasion de rédiger un testament fiduciaire, par exemple, ils seront obligés de chercher, de fouiller, d’analyser, de choisir la solution la plus appropriée et de procéder à la rédaction… On doit être à même de mesurer l’intégration et le transfert de leurs acquis vers la pratique», explique Lucie Thibodeau, coordonnatrice des études et des stages en droit notarial depuis 2008.

Le 28 février, Lucie Thibodeau a mérité un prix Reconnaissance de la qualité de l’enseignement de l’Université de Sherbrooke, notamment pour sa contribution à la mise en place de cette réforme. Sa préoccupation pédagogique pour maximiser l’atteinte des compétences-clés requises pour l’exercice de sa profession est inspirante. Un exemple : elle distribue un exemplaire du référentiel de compétences de la Chambre des notaires à chacun des étudiants. Elle est ainsi en mesure de leur démontrer constamment pourquoi ils apprennent telle ou telle notion de droit, pourquoi ils développent telle ou telle habileté.

Parce qu’elle a exercé pendant plus de 30 ans en pratique privée, elle fait profiter ses étudiantes et étudiants de son réseau professionnel. Des fiscalistes, comptables agréés, arpenteurs-géomètres, huissiers et greffiers participent aux activités pédagogiques afin d’assurer une formation plus complète des futurs notaires. Parce qu’elle a déjà supervisé des stagiaires et embauché de jeunes notaires, Lucie Thibodeau connaît bien leurs forces et leurs lacunes.

Encore méconnue, la profession notariale est pourtant en pleine expansion. Elle se renouvelle par l’arrivée de nombreux jeunes notaires, alors même que différents facteurs socioéconomiques en transforment la pratique (vieillissement de la population, multiplication des modèles familiaux, dématérialisation des titres, etc.). Si les avocats sont les juristes du litige, les notaires sont les spécialistes de l’entente dont les conseils juridiques sont recherchés, compte tenu de leur devoir d’impartialité. Ceux-ci sont en mesure de garantir l’authenticité légale des documents dans plusieurs domaines, au-delà des successions et de la propriété foncière.

Des situations professionnelles pour les dossiers maîtres

Dès son embauche comme chargée de cours en 1982, Lucie Thibodeau entreprend de changer la façon dont on enseigne le droit des compagnies. Chaque étudiant devait alors se procurer un livre de compagnie, constituer une entreprise fictive et l’organiser en fonction d’un cas soumis, en émettant notamment de vrais certificats d’actions.

En 2008, à la suite d’un exposé du professeur Denis Bédard, de la Faculté d’éducation, sur l’apprentissage par situations professionnelles, elle se met à développer pour le diplôme de droit notarial des cas fictifs inspirés de sa pratique professionnelle. Tous les chargés de cours emboîtent le pas. Au fil de ces cas, les étudiantes et étudiants accompagnent une même cliente, Mélanie B., à travers les divers cours de leur programme. Ce personnage se marie, s’achète une maison en contractant une hypothèque, crée une compagnie, fait faillite, divorce, veut mettre en commun ses biens avec sa nouvelle conjointe de fait, se fait déclarer inapte, etc. Mélanie B. devient donc un point d’ancrage fort qui favorise la cohérence entre les divers secteurs disciplinaires du diplôme.

Ce même concept d’apprentissage par situations professionnelles a été repris par le groupe de travail qui a conçu le microprogramme (Lucie Thibodeau y représente l’UdeS). Au cours de la formation prévue au microprogramme, toutes les universités utiliseront les mêmes dossiers maîtres axés sur l’immobilier, le droit des affaires, la planification et la liquidation successorale. La complexité progressivement croissante des cas présentés tout au long des huit semaines du premier volet du microprogramme vise à assurer un passage plus harmonieux au stage en milieu professionnel.

Des stages mieux intégrés

Depuis 2005, le diplôme de droit notarial est offert en alternance stage-études au Campus de Longueuil de l’Université de Sherbrooke. Lucie Laflamme (maintenant vice-rectrice aux études) est la véritable instigatrice de cette approche favorisant la fusion entre la théorie et la pratique par le biais de la réalisation d’un stage pendant le diplôme. Cette formule, unique parmi les programmes de formation au diplôme de droit notarial offert par les autres universités, pourrait également avoir inspiré le nouveau microprogramme.

Le microprogramme rassemble, sous la responsabilité universitaire, l’ensemble de la formation notariale. Avec la réforme du droit notarial, les universités superviseront et évalueront les stages en milieu professionnel. Pour faciliter le contrôle et l’évaluation de ce second volet du microprogramme, plusieurs documents ont été conçus en collaboration avec la Chambre des notaires et l’ensemble des universités partenaires.

D’abord, les maîtres de stages devront être dûment autorisés par les universités, comme étant en mesure d’offrir aux stagiaires des occasions d’apprentissage variées permettant d’atteindre les objectifs du stage et de développer les compétences reliées à ces objectifs. Parmi ces compétences se retrouvent plusieurs qualités professionnelles recherchées, tant la minutie et la rigueur que la capacité de faire preuve de jugement, d’analyser les besoins du client, de le conseiller judicieusement et de rédiger de manière claire, concise et cohérente.

Le stage fera l’objet d’une entente signée par le stagiaire et le maître de stage, puis approuvée par le superviseur universitaire. Cette entente précise les responsabilités auxquelles chacune des parties s’engagent. On y joint un plan-type précisant, entre autres, les modalités du stage, les types de droit notarial pratiqués dans ce milieu, le genre d’activités à réaliser pendant le stage, les conditions de rémunération, de confidentialité.

L’encadrement s’effectuera aussi grâce à la tenue par le stagiaire d’un journal de bord réflexif où il note les travaux qu’il aura réalisés, ainsi que les apprentissages qui en découleront. Le stagiaire devra aussi rédiger un rapport d’intégration au milieu de stage, où il y décrit son environnement et sa perception par rapport à la place qu’il occupe. Enfin, une ou des visites du superviseur universitaire et des entretiens téléphoniques permettront de s’assurer de la qualité du stage.

L’évaluation du stage sera de deux ordres : une évaluation formative lors de la visite du superviseur, de même qu’une évaluation sommative par un rapport de stage constitué de cinq à huit travaux effectués par le stagiaire qui y précise les apprentissages réalisés. La note accordée par le maître de stage – et contrevérifiée par le superviseur – complète l’évaluation. Ici encore, des grilles de correction très détaillées ont été conçues par le groupe de travail en collaboration avec la Chambre des notaires.

Former encore de meilleurs notaires

La Chambre des notaires offrira 15 journées de formation professionnelle qui s’insèreront entre la fin du 1er volet et le début du 2 e volet du microprogramme. Le contenu de ces journées de formation portera exclusivement sur le droit professionnel, plus particulièrement sur les habiletés liées à une saine gestion d’une étude notariale et sur le respect des normes règlementaires.

Pour être admis à l’exercice de la profession notariale, les stagiaires devront finalement réussir les évaluations exigées par la Chambre des notaires, tels la remise d’une opinion juridique et un échange avec un évaluateur reconnu.

Pour Arthur Oulai, vice-doyen à l’enseignement, le leadership en pédagogie de la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke permettra d’améliorer la formation de l’ensemble des notaires au Québec. C’est aussi une belle histoire de continuité facultaire puisque le projet, d’abord piloté à l’UdeS par la professeure Laflamme, a été repris par Lucie Thibodeau, ce qui a permis un suivi rigoureux du long processus menant à cette réforme en profondeur de la formation notariale.

Le doyen Sébastien Lebel-Grenier remarque par ailleurs que cette réforme est un exemple des résultats probants que permettent une étroite collaboration avec un ordre professionnel, les milieux de pratique et l’ensemble des institutions universitaires concernées. Au bout du compte, l’ensemble de la société en bénéficie puisque l’objectif ultime, c’est une meilleure protection du public.

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