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Choc des tendances : learning outcomes contre microcertifications

D’un côté, des institutions et des organismes internationaux qui veulent s’assurer de la correspondance entre les programmes universitaires pour faciliter la mobilité étudiante. De l’autre, des étudiants qui choisissent au besoin des cours de divers horizons, confiants de les faire reconnaître par les universités ou les employeurs. Ces tendances sont-elles réconciliables?

Selon le consultant en éducation torontois Alex Usher, la tendance à préciser les acquis d’apprentissage (learning outcomes) dans les programmes s’oppose à une autre tendance tout aussi lourde – quoique plus diffuse – soit la modularisation des certifications (modularization). Nous préférons parler de microcertification.

«The whole point of the learning outcomes is to allow institutions to certify with some degree of precision what kind of knowledge and skills a person who has finished a particular program of studies has. That logic necessarily leads program design away from the frequently smorgasboard-buffet approach to course selection which is prevalent in arts and sciences in North America, and towards program with larger core curricula.» (Usher, 2012)

L’engouement pour les acquis d’apprentissage

L’internationalisation et l’apparition d’institutions délivrant des diplômes en ligne ou selon de nouvelles modalités remettent à l’ordre du jour le contrôle de la qualité au moyen des acquis d’apprentissage. Dans un article d’Affaires universitaires, Rosanna Tamburri traite du tuning process, une démarche européenne de normalisation des formations vieille d’une dizaine d’années, mais qui commence à faire boule de neige ailleurs sur la planète.

«[…] L’objectif : faciliter la reconnaissance des diplômes, le transfert des crédits et la mobilité internationale des étudiants. Cette démarche a depuis gagné l’Amérique latine, la Russie, l’Afrique, l’Asie, l’Australie et les États-Unis. L’année dernière, l’American Historical Association [USA] a ainsi lancé à l’échelle nationale un projet de type Tuning dans le cadre duquel plus de 60 collèges et universités sont invités à cerner les points communs entre leurs programmes d’histoire respectifs.»

L’article évoque surtout le fait que les universités canadiennes sont lentes à suivre cette tendance mondiale, mais qu’elles n’auront bientôt plus le choix. Alex Usher remarquait en janvier dernier qu’il faudrait bien que les discussions à ce sujet s’accélèrent au Canada si nos institutions veulent continuer à être compétitives au niveau international.

«Tuning is a big deal. Though institutional participation in Tuning is everywhere voluntary, the speed at which it is spreading around the world means that within a relatively short space of time degrees that are “tuned” (that is, come complete with widely accepted learning outcomes statements) will be the norm. Once that’s the case, there will be implications for the ability of the “untuned” to attract students.»(Usher, 2013a)

L’objectif des acquis d’apprentissage en est aussi un de transparence : en plus de s’assurer que l’étudiant comprenne bien quelles compétences il pourra acquérir dans un programme donné, on veut amener les universités à rendre des compte, vu les frais de scolarité élevés aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Mais un tel encadrement de la formation par les institutions ou par des groupes externes ne va pas sans susciter de nombreuses réactions chez les professeurs. Certains y voient une atteinte à leur liberté académique ou une importation à l’université de l’esprit utilitariste du privé.

«Bien que l’évaluation des résultats d’apprentissage [sic; learning outcomes] puisse sembler raisonnable et sans danger, elle pousse les professeurs à concevoir des cours générateurs de résultats quantifiables, estime Christophe Pavsek, professeur auxiliaire de cinéma à l’Université Simon Fraser. “Ils deviennent plus soucieux du respect de leurs objectifs en matière d’évaluation que de leur enseignement proprement dit, déplore-t-il. Cela transforme totalement l’enseignement et les universités, au détriment de l’éducation.”» (Tamburri, 2012; notre emphase)

Pour avoir une idée des réactions viscérales que peuvent susciter les acquis d’apprentissage, le lecteur est invité à consulter le texte d’opinion «Learning Outcomes are Corrosive», du sociologue britannique Frank Furedi.

Rosanna Tamburri conclut son article en mentionnant : «[P]lusieurs universités ontariennes participent à un projet pilote international intitulé le Assessment of Higher Education Learning Outcomes, ou AHELO, financé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).»

Microcertifier les compétences une à une

Par ailleurs, d’autres modèles de reconnaissance des apprentissages se mettent en place, provenant de multiples horizons.

«Accreditation and quality assurance are now facing a world where the teaching-learning process is increasingly disaggregated. The processes of teaching and certification used to be integrated in the same institution, but now there are a multitude of providers, some public, some private, some for profit, looking after different parts of the student experience.» (Uvalic-Trumbic, 2013)

À la limite, tous les professionnels pourraient accréditer. Selon Jesse Martin, un professeur de psychologie cognitive à la Bangor University (Maine) :

«In order to obtain meaningful stars for my credentials, I would look into the field, and find those individuals who have the credentials that I want attached to my name. Anything that I produce for evaluation, I can submit to an individual for them to look at and award a star based on their expertise.

As an expert, I would clearly indicate how much I charge for an evaluation, and how long it will be for the students to receive their recognition. If the student wants feedback on how they can improve on their work, I can provide that as well – for an additional fee.» (Martin, 2012)

En mars dernier, Mozilla lançait OpenBadges, un système gratuit et ouvert qui permet d’acquérir des badges numériques dans un «sac à dos» virtuel. Les badges représentent des habiletés acquises et permettent de savoir qui les a émises, dans quelles circonstances, etc. Selon Erin Knight, directrice de l’apprentissage chez Mozilla :

«Many ask us if this means badges will replace degrees. We believe badges can certainly function at this level and, in fact, tell us a more complete story of an individual by representing more granular skills and learning paths. […] That said, degrees aren’t going away anytime soon, but we’ll see badges being used to supplement them with more detail on skills and achievements. […] We are already seeing higher education institutions adopt badges to supplement transcripts with evidence of extracurricular activities and achievements, recognize prior learning, give professors flexibility to capture additional learning, align programs with competencies and work-relevant skills and empower students to craft their own pathways towards specific careers.» [ex : Purdue University] (2013)

L’article «”Badges” Earned Online Pose Challenge to Traditional College Diplomas», de Jeffrey Young, démontre bien que l’intérêt et le problème du système de badges, c’est la granularité qu’il offre. Ce système permet de récompenser les efforts à plus petite échelle et de maintenir la motivation (sanction pour une habileté acquise plutôt que pour tout un cours ou un programme). Il permet également aux chercheurs d’emploi d’afficher leurs compétences, incluant certaines moins reconnues en milieu universitaire (ex : un badge de «mentorat»). Cependant, la multiplication des badges et de ceux qui les émettent pourrait devenir un véritable casse-tête pour les employeurs. Pour certains critiques, la quête de badges pourrait contribuer à la marchandisation de l’apprentissage.

«Some observers see a darker side, though, charging that badges turn all learning into a commodity, and thus cheapen the difficult challenge of mastering something new. Rather than dive into an assignment out of curiosity, many students might focus on an endless pursuit of badges, argues Alex Reid, an associate professor of English at the University at Buffalo. “The presence of a badge could actually be a detriment to an otherwise genuine learning experience“, he wrote on his blog earlier this year.» (Young, 2012)

Nous avons traité des MOOC à plusieurs reprises dans nos plus récentes parutions. Ceux-ci s’inscrivent certainement dans cette tendance vers une plus grande granularité des formations et de l’accréditation à la pièce. Mentionnons simplement ici qu’Alex Usher estime qu’ils vont à l’encontre du développement d’acquis d’apprentissage au niveau des programmes.

«MOOCs, by design, are classes, not programs […]. They are designed to be one-offs. Degrees full of MOOCs will inevitably be even more of a mish-mash than the degrees we give out today. Learning outcomes, properly done, are about the exact opposite – they aim to partially reverse the smorgasboard approach, ensuring that knowledge and skills are built upon in a consistent way throughout a student’s course of study.» (Usher, 2013b)

Le bulletin Perspectives SSF a présenté plusieurs développements qui vont dans le sens de cette tendance. Outre les badges numériques et les MOOC certifiés qui en sont probablement les manifestations les plus éloquentes, la remise en question de l’heure-crédit et les programmes où l’avancement est basé sur des seuils de compétences permettront aussi des parcours de plus en plus différenciés. Les environnements d’apprentissage personnels vont dans le sens d’une plus grande personnalisation de la formation. Même le portfolio numérique «autonome» – un outil qui peut aussi soutenir les formations traditionnelles – pourrait servir à cumuler les preuves d’apprentissages faits sur le terrain ou dans l’action.

La certification, entre la jungle et l’uniformité internationale

Trouver un juste milieu entre les velléités institutionnelles de contrôle-qualité et les aspirations légitimes des apprenants à personnaliser leurs formations ne sera pas simple.

D’un côté :

«Learning outcomes matter because, increasingly, the public, employers, and students all need to be reassured that a degree signifies the acquisition of a particular body of knowledge and skills rather than sitting through a particular number of hours of classes…» (Usher, 2013b)

De l’autre :

«Today we have the opportunity to learn in a variety of ways, but there are far fewer opportunities to gain formal recognition for learning. As a result, a lot of lifelong learning is lost or not represented at all. And traditional certifications, such as degrees and diplomas, lack the detail to paint a rich picture of the skills people possess…» (Knight, 2013)

Selon Alex Usher, la tendance aux acquis d’apprentissage suit une conception de la formation visant le développement de capital humain pour la société, tandis que la tendance à la microcertification est davantage tributaire du marché. «Both are important, neither will trump the other.» (Usher, 2012)

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