Le SSF Veille

Les MOOC ou le Big Data pour comprendre l’apprentissage

Beaucoup de choses se sont écrites sur les MOOC, tant par ceux qui les critiquent que par ceux qui y voient une avenue pour renouveler la formation universitaire. Toutefois l’on a assez peu traité de l’utilisation des MOOC pour collecter et analyser des masses de données sur la manière d’apprendre de milliers d’étudiantes et d’étudiants en ligne. D’aucuns croient qu’on y découvrira peut-être les modalités d’enseignement de l’avenir.

Des reculs en pédagogie?

D’après Sir John Daniel (2012) et plusieurs autres observateurs, les MOOC sont loin de constituer un modèle en matière de développement pédagogique. Daniel cite le professeur Lloyd Armstrong, ancien provost de la University of Southern California, qui commente un MOOC suivi chez Coursera :

«The course is basically a typical college lecture, chunked into roughly 15 minute segments. […] There is one weekly problem set designed to measure algorithmic rather than conceptual learning. Answers to the set are either multiple choice or a single number which is typed in. [… T]he students learn little when they get their assignments back except the grade − there is little guidance possible concerning where the student went wrong in case of error. All in all, it seemed pretty obvious that no one who had any working knowledge of research in pedagogy was involved deeply in the creation of the course…» (Armstrong, 2012)

Daniel qualifie les taux d’abandon désastreux des premiers xMOOC (d’après edX, plateforme des MIT, Harvard et consorts) d’«approche Passchendaele», du nom de l’une des campagnes les plus meurtrières de la Première Guerre mondiale. Selon lui, le modèle élitiste des universités derrière ces MOOC repose sur l’élimination de candidats plutôt que sur l’accompagnement des étudiantes et étudiants. Tous peuvent s’inscrire, mais seuls les plus valeureux «survivent» :

«The so-called elite universities that are rushing into xMOOCs gained their reputations in research. Nothing suggests that they are particularly talented in teaching, especially teaching online.» (Daniel, 2012)

Des avancées en recherche?

Certains observateurs parlent des MOOC comme de véritables laboratoires permettant de tester diverses innovations relatives à la formation en ligne sur des internautes volontaires, heureux d’accéder à des contenus universitaires. Un extrait du communiqué de presse émis lors du lancement de MITx présente clairement cette orientation : «MITx will be coupled with an MIT-wide research initiative into online learning that will study ways in which students, whether on campus or part of a virtual community, learn most effectively.» (MIT News Office, 2011) Le fait que ces recherches portent sur des cours en ligne où le design pédagogique est minimal ne semble troubler personne.

Des données à foison

Big Data, c’est l’expression anglophone consacrée pour parler de données si volumineuses qu’elles ne peuvent être traitées par les outils habituels. Nous avons déjà fait allusion à l’analyse de l’apprentissage (learning analytics) dans un numéro précédent. Rappelons qu’il s’agit d’identifier des récurrences dans les données produites par les activités en ligne d’étudiantes et d’étudiants.

D’après les tenants de ces méthodes, ces analyses devraient permettre :

  • de prédire les progrès d’un étudiant;
  • de développer des stratégies d’apprentissage adaptatives (constituer des séquences d’activités pédagogiques ou recommander des interventions humaines);
  • de dresser un portrait des habiletés actuelles d’un étudiant;
  • de regrouper des étudiants automatiquement, selon leurs besoins en matière d’apprentissage;
  • d’identifier les stratégies d’apprentissage les plus efficaces selon diverses situations;
  • d’organiser et présenter des données complexes de manière à aider les administrateurs, enseignants et étudiants à gérer des processus de formation. (Weston, 2012; traduction libre)

Compte tenu du fait que les MOOC desservent un grand nombre d’étudiants, on pourrait y puiser des renseignements utiles en compilant des données sur le temps passé sur telle ou telle ressource explicative, les exercices les plus populaires ou les messages de forum consultés.

«When a student takes a Coursera class, the system tracks the learner’s every move, which [Daphne] Koller [cofondatrice] calls an unprecedented opportunity to understand human learning. The typical educational study has 20 students; the big ones have 200. “Here we have 20,000, or even 200,000,” she says, “and it just completely changes your ability to extract meaningful conclusions from the data. We can see every single click: pausing, rewinding, the first and second try on the homework, what they did in between.”» (Kamenetz, 2012)

Même son de cloche à Stanford où, après avoir donné un MOOC, le mathématicien Keith Devlin évalue que ses assistants disposent d’assez de données pour rédiger plusieurs doctorats (2012). Comme Devlin, on estime au MIT que ces nouvelles connaissances acquises en ligne bénéficieront à l’enseignement en présentiel (MIT News Office, 2011).

Dans l’article «The Crisis in Higher Education» (2012), l’auteur Nicholas Carr se demande si l’engouement exacerbé des concepteurs de MOOC pour le traitement de données ne résulte pas d’un biais disciplinaire…

«Ce n’est pas une coïncidence si Udacity, Coursera ou edX sont tous dirigés par des informaticiens […] Les Mooc doivent exploiter les dernières avancées des traitements à grandes échelles des données, d’apprentissage automatique. La plupart des tâches qui étaient assurées par des professeurs et leurs assistants (tutorat, notation, modération des discussions…) doivent être automatisées. Des logiciels d’analyse avancée sont également nécessaires pour analyser les énormes quantités d’informations sur le comportement des élèves recueillies pendant les cours. En utilisant des algorithmes pour repérer les tendances dans les données, les programmeurs espèrent identifier les styles d’apprentissage et y adapter leurs stratégies d’enseignement, afin d’affiner la technologie. Ces techniques d’intelligence artificielle doivent faire passer l’enseignement supérieur “à l’ère industrielle et à l’ère du numérique”.» (Carr, traduit par Guillaud, 2012)

Des résultats préliminaires

Peu d’information a filtré jusqu’à présent sur ce que permet de conclure l’analyse des données des premiers MOOC. Selon Carr, «il faudra un certain temps avant que les entreprises soient en mesure de transformer les informations qu’elles recueillent en nouvelles fonctionnalités pour les professeurs et les étudiants». (Guillaud, 2012) Est-ce bien parce que l’analyse n’en est pas complétée ou parce que l’on espère faire fructifier ces renseignements autrement?

Deux exemples sont évoqués dans la presse spécialisée qui donnent un aperçu de ce que l’on a appris jusqu’à maintenant. D’une part, à la suite du cours prototype sur MITx, on a pu démontrer que les étudiantes et étudiants préféraient les graphiques réalisés à la main par le formateur alors qu’il enseignait plutôt que ceux préparés d’avance sur PowerPoint.

«Students preferred the hand-drawn diagrams by a substantial margin. “It lets you pace yourself,” [Anant] Agarwal [responsable de MITx] says. “The PowerPoint is going to flash a picture on the screen, and you don’t develop the idea in the same way that you develop the idea by drawing a picture on the chalkboard. [… T]heMITx team begin posting videos in which the course teachers worked problems out onscreen, rather than just presenting students with completed solutions − a feature that is certain to become a staple of future edX courses.» (Hardesty, 2012)

D’autre part, dans un cours d’informatique chez Coursera, on s’est aperçu qu’un message dans un forum étudiant aidait plusieurs participants à trouver la bonne réponse à l’un des quiz. Le formateur envisage donc d’inclure cette explication dans une FAQ ou de l’aborder dans l’une des vidéos explicatives. (Kamenetz, 2012)

L’espoir d’un miroir

Ceux qui doutent encore de l’enthousiasme que suscite l’analyse de données provenant des MOOC devraient examiner la position de Cathy Davidson à l’Université Duke. Assez critique des MOOC dans leur forme actuelle, elle y voit pourtant de premiers pas vers une formation en ligne beaucoup plus riche : «If we get over the hype of the MOOC at this moment, if we can think about this as an initial foray into a major breakthrough in knowing how we know, in metacognition, great new forms of interactive learning are possible.» (Davidson, 2012)

Selon Davidson, les learning analytics tendent aux formateurs un miroir qu’ils ne sauraient obtenir autrement, compte tenu de la subjectivité inhérente au praticien en plein processus :

«When you are teaching, you are expending an enormous amount of energy on your craft − which means you are screening out an enormous amount of energy. Some of what you are screening is the actual feedback, in the moment, from your students, about your teaching, about their learning. […] But we have machines now that can read video, read keystrokes, and tell us exactly what we cannot see.» (Davidson, 2012)

Pour elle, les MOOC offrent la possibilité de s’interroger de manière objective sur la façon d’enseigner en ligne et en présentiel. Elle convient que nous n’y sommes pas encore, mais entrevoit le potentiel qu’ont les MOOC de poser des questions fondamentales sur la formation (par ex. : Qu’est-ce qui distingue la motivation à apprendre de la motivation à diplômer?).

«And we need to be asking them, demanding answers. We don’t want to be teaching in the worst possible way to the most possible people. We want to be learning the best ways to teach by doing careful, open-ended and open-minded research on exactly how massive numbers of people are learning online.» (Davidson, 2012; emphases dans le texte original)

Pour tempérer ces espoirs, rappelons cette mise en garde qui provient pourtant de partisans affirmés de l’analyse de données d’apprentissage : «We must guard against drawing conclusions about learning processes based on questionable assumptions that misapply simple models to a complex challenge. Learning is messy, and using analytics to describe learning won’t be easy.» (Long et Siemens, 2011)

Les MOOC sont-ils bien des cours?

Et si ce qui se déroule lors d’un MOOC n’était plus tout à fait de la formation? N’était pas nécessairement de l’apprentissage? Ces données auraient-elles autant de valeur?

Dans un article du Inside Higher Ed, Alison Byerly, rectrice désignée du Lafayette College, se demande si notre vocabulaire universitaire s’applique bien aux MOOC. Considérant que le nombre et la distance changent la relation maître-élève, elle se demande si le fait de continuer à appeler «étudiants» les participants aux MOOC ne crée pas des attentes auxquelles les formateurs pourraient avoir de la difficulté à répondre :

«How to refer to MOOC participants is not a trivial issue of nomenclature to most faculty, for whom the role of “student” carries specific expectations… […] At a minimum, a student is someone for whose education you have assumed some personal responsibility. […] Above all, you notice if they are learning, and adjust your presentation of material if they are not.» (Byerly, 2012, notre emphase)

Selon elle, il y a également lieu de se demander si les MOOC, intéressants véhicules de diffusion de la connaissance par ailleurs, sont à proprement parler des «cours» :

«… [I]t is important to recognize that what distinguishes a “course” from a set of lectures −  regardless of which is face-to-face and which is online − is the difference between a mere broadcast of information, and a mutual commitment by teacher and student to a pedagogical relationship that is supported by a larger curricular structure and institutional mission.» (Byerley, 2012, notre emphase)

Sources

Armstrong, Lloyd, «Coursera and MITx − Sustaining or disruptive?», Changing Higher Education, 6 août 2012.

Byerly, Alison, «Formerly Known as Students», Inside Higher Ed, 29 octobre 2012.

Carr, Nicholas, «The Crisis in Higher Education», MIT Technology Review, 27 septembre 2012.

Daniel, John, « Making sense of MOOCs: Musings in a maze of myth, paradox and possibility», Korean National Open University, Séoul, 2012 [document PDF].

Davidson, Cathy, «What Can MOOCs Teach Us About Learning», HASTAC, 1 er octobre 2012.

Devlin, Keith, «Answering the 64 000 Students Question», MOOCTalk, 26 octobre 2012.

Guillaud, Hubert, «L’innovation éducative : une question économique?», Internetactu.net, 17 octobre 2012.

Hardesty, Larry, «Lessons learned from MITx’s prototype course», MITNews, 15 juillet 2012.

Kamenetz, Anya, «How Coursera, A Free Online Education Service, Will School Us All», Fast Company, 8 août 2012.

Long, Philip and George Siemens, «Penetrating the Fog: Analytics in Learning and Education», EDUCAUSE Review, 12 septembre 2011.

MIT News Office, «FAQ: What is MITx? Answering common questions about the Institute’s new approach to online education», MIT News, 19 décembre 2011.

Weston, Crispin, «MOOCs and other ed-tech bubbles», Ed Tech Now, 29 décembre 2012.

Articles Similaires

Devenir «coconspirateurs» des natifs du numérique

Perspectives SSF

Pour en finir avec la tricherie : des environnements éducatifs centrés sur l’apprentissage

Points de vue d’étudiants sur l’évaluation de l’enseignement

Ajouter un commentaire