Le SSF Veille

Contenus de cours ouverts : entre visibilité, reconnaissance et valeur ajoutée

Du 4 au 6 mai 2011 s’est tenue à Cambridge au Massachussetts une conférence organisée par le Open CourseWare Consortium où l’on célébrait les dix ans du mouvement Open CourseWare (OCW). Au menu, des discussions autour de l’impact du mouvement et de la production de cours ouverts et une réflexion sur la prochaine génération de ces cours.

Il y a donc déjà une dizaine d’années que l’on a vu apparaître sur le Web des contenus de formations universitaires tout à fait gratuits pour l’internaute. Dans un article du New York Times (section Europe) du 1er novembre 2010, le journaliste D.D. Guttenplan rappelait que le Massachusetts Institute of Technology (MIT), l’Université Harvard, celle de Yale, de même que l’Université du Michigan proposent des portions substantielles de leur formation universitaire en ligne. De même, l’Open University en Angleterre offre gratuitement des cours dans diverses disciplines sur le site OpenLearn depuis 2006 et diffuse sur le Web des émissions de BBC depuis 1999. Plus de 200 institutions d’enseignement supérieur dans près d’une cinquantaine de pays sont membres du Consortium (mais seule une dizaine finance le projet, avec certaines associations d’universités, notamment asiatiques).

Il s’en trouve pour affirmer que les universités n’auront d’autre choix que de suivre ce mouvement et que cette tendance s’accroîtra encore de manière significative, notamment parce que les futurs étudiants, habitués à la gratuité des contenus sur la Toile, s’y attendent. Ainsi, Gary Matkin, doyen de la formation à distance et de l’apprentissage continu à l’Université de Californie à Irvine, croit que l’accessibilité aux contenus de cours en ligne deviendra aussi commune que le fait d’avoir une bibliothèque sur le campus. Selon lui, tous les campus américains offriront une partie de leurs contenus en ligne d’ici 2016.

Notons que ces contenus mis en ligne (on parle de REO pour Ressources éducatives ouvertes ou de REL pour Ressources éducatives libres; OER en anglais) varient beaucoup d’une institution à l’autre et au sein d’une même université. À leur plus simple expression, elles peuvent se résumer à des plans de cours, mais on trouve aussi des textes ou des présentations PowerPoint rendus disponibles. Parfois, c’est la vidéo intégrale de certaines séances d’enseignement qui est rendue publique.

Les REO mises en ligne sont souvent d’excellente qualité puisqu’on veut se présenter sous son meilleur jour au reste de la planète : «Instead of diluting educational material as some publishing companies officials have suggested, open courseware programs have motivated many MIT professors to perfect class material that had remained unchanged for years.»

On notera par exemple que la TELUQ offre désormais un cours sur les médias sociaux en accès libre conçu par le professeur Sébastien Paquet et son équipe : «Le contenu du cours comprend des textes, bien sûr, et des visuels, mais surtout beaucoup d’hyperliens qui permettent d’approfondir les connaissances sur chaque sujet.»

Des contenus et des marques

Il faut bien voir que les institutions qui offrent ces contenus ne délivrent pas de diplôme, d’attestation ou de crédits à une personne qui a suivi un ou des cours sur le Web. Pour obtenir une reconnaissance, l’étudiante ou l’étudiant doit s’inscrire au MIT, par exemple. Il apparaît donc que les contenus mis en ligne gratuitement par certaines universités participent sans doute d’une stratégie de visibilité liée à la gestion de leur image publique et au recrutement.

Dans un article de l’Information Age qui s’intitule «Degrees of separation», Pete Swabey évoque toute cette question de la mise en ligne de contenu de cours dans un objectif de marketing. Ainsi, la Open University a mesuré qu’en 2009, 6000 personnes s’étaient inscrites à des cours payants après avoir consulté leurs contenus de cours gratuits. Cependant, Swabey rappelle aussi que toutes les institutions ne sont pas égales face à une telle entreprise. Seules certaines universités en bénéficieront. Ce seront, on le suppose, celles dont la «marque» et la réputation sont assez fortes pour que la valeur du diplôme dépasse significativement l’acquisition primaire de connaissances devant un ordinateur, activité désormais gratuite.

Cela écrit, le discours du mouvement de l’OCW met l’accent sur l’idéal altruiste d’un savoir comme bien public, rendu disponible à l’ensemble de la planète et notamment aux pays en développement (ce qui a d’ailleurs parfois été critiqué comme du colonialisme académique). Au départ, ce partage en ligne de connaissances a été soutenu par de généreux philanthropes (fondations et universités). Mais l’ampleur qu’a pris le phénomène requiert un débat de fond pour répondre à des questions essentielles quant aux conséquences de la disponibilité de tout ce matériel de formation : outre celles – pourtant cruciales – de la propriété intellectuelle de ces REO, il y a lieu de se demander qui en sont les utilisateurs, ce qu’ils en font, qui va en payer la facture, s’il est opportun de sanctionner les apprentissages qu’elles permettent et, si oui, comment?

Libres apprenants de la Toile

La 7 e Open Education Conference, qui se tenait du 20 au 24 novembre 2010 à Barcelone, traitait de ces questions. Cette rencontre internationale a réuni un groupe de chercheurs, de professeurs et d’administrateurs universitaires qui tentent de mieux comprendre les tenants et les aboutissants de la formation ouverte (open education).

Le mouvement de l’éducation ouverte – influencé par celui du logiciel libre – vise la disparition des barrières limitant l’accès à la connaissance, qu’elles soient sociales, économiques ou autres. Cet objectif se décline en trois éléments : l’accès au matériel (les REO), la question pédagogique et la reconnaissance (accréditation, certification) de la formation suivie en mode libre. Peut-on vraiment parler de démocratisation de l’éducation si les apprentissages effectués ne sont pas reconnus? En même temps, peut-on présumer que des apprentissages ont été réalisés par la consultation de contenus ouverts si aucune évaluation n’en a été faite? Qui évaluera et, surtout, qui reconnaîtra de tels apprentissages ad hoc?

Certains rêvent en effet d un système d enseignement supérieur ouvert où, après avoir accédé à des REO pour son apprentissage, l’étudiante ou l’étudiant peut s’appuyer sur un réseau de tuteurs bénévoles (à la manière de Médecins sans frontières) joignables en ligne, puis payer à une institution participante des frais en vue d’être évalué seulement sur les sujets de son choix. L’institution évaluatrice accorderait ensuite des crédits ou non, à l’avenant. Et, selon les modèles de recrutement, elle pourrait exiger des frais plus ou moins importants pour cette reconnaissance. Par exemple, les frais pourraient être réduits si la personne complète ces crédits en s’inscrivant à un programme de l’université qui les délivre.

La valeur ajoutée pédagogique

On peut demeurer sceptique quant à la concrétisation de tels concepts, néanmoins ils ont le mérite de questionner le fonctionnement actuel du système.Certains commentateurs n’y voient rien de moins que le chant du cygne de l’institution universitaire. Ainsi, Andrian Hon, chroniqueur techno au journal britannique The Telegraph, y allait le 25 novembre 2010 d’une charge vitriolique : pour lui, le formateur universitaire moyen est «médiocre», guère plus intéressant qu’un «recueil de textes parlant». La plus-value offerte par l’université (qui lui permettrait de se distinguer des contenus gratuits en ligne), c’est le contact privilégié entre enseignants et étudiants. Or, il avance que ce contact de qualité est une denrée rare :

«And what about seminars, workshops, and tutorials, the “contact time” where students talk with teachers directly? This is perhaps the most valuable part of the university experience, yet how much contact time do students at most universities really have? A few hours a week, at most? Again, the internet can help by linking students to experts around the world, by email and through video conferencing. It’s not as good as face-to-face contact, but if it’s with the right teachers, it’s better than spending time with a mediocre one.»

Quelques jours plus tard, George Siemens, chercheur à l’Université Athabasca, lui répond cependant sur le blogue elearnspace : non, les universités ne sont pas menacées par les contenus en ligne, mais l’inflation des coûts de formation a créé une bulle similaire à celle du monde de l’immobilier. Lorsqu’elle éclatera, cela forcera l’institution universitaire à se remettre en question. Pour Siemens, le véritable enjeu pour l’université demeure celui de la pertinence : «Until we have an elected president or prime minister who was self-taught on TEDTalks or YouTube, universities will continue to play an important role.»

Sans être aussi alarmiste, il y a lieu de penser que la disponibilité sur la Toile d’autant de matériel didactique – souvent de grande qualité – créera un effet de comparaison qui amènera les formateurs à repenser leur enseignement. C’est du moins l’opinion de la professeure Susannah Quinsee, directrice du Learning Development Centre à la City University de Londres. Pour elle, l’accessibilité de contenus de cours en ligne remet partiellement en question le modèle magistral qui prévaut en enseignement supérieur :

«”Why would a student come in and listen to a particular lecture when they can get access to the expert in that field on the Internet?” she asks. “Increasingly, the role of the academic is to facilitate learning and engage with the students, helping them pull information sources together from a whole range of areas.”»

En formation à distance (FAD), cela signifie notamment mettre à la disposition des étudiants de nombreux modes de communication permettant des échanges avec le tuteur et facilitant l’apprentissage par les pairs afin de recréer de manière virtuelle des conditions de groupe proches de l’expérience en classe.

C’est ce qui fait dire à certains qu’à l’avenir les universités se distingueront de moins en moins par les contenus qu’elles offriront – l’offre mondiale étant surabondante – mais de plus en plus par une valeur ajoutée quant à la façon de les transmettre et de permettre aux étudiants de les intégrer. Ainsi, Fred Mulder, recteur sortant de la Open University of the Netherlands (OUNL), croit que les universités ont intérêt à rendre les contenus gratuits aux étudiants, mais à leur offrir comme services payants des activités d’apprentissage et des dispositifs d’accompagnement de grande qualité. Ces activités et dispositifs laisseraient une place importante à l’apprentissage collaboratif et aux échanges avec la personne enseignante. Il cite  ce rapport d’un groupe de travail de l’International Council for Open and Distance Education auquel il a participé :

«”Open” does not necessarily mean “free”. MIT puts the content online, but the learning experience is not free, neither the pedagogy. Materials can be free on the web, but added value through services cannot. Where do we draw the line? “Open” and “free” are different concepts. The barriers must be low, OER must be easy to find, attractive, to provide people with easy access to get them into Higher Education. The concept is new: we do not know how this will develop.»

Sources

The Cape Town Open Education Declaration, 2007.

«Cours en accès libre sur le Web social», section Sociétés – Ressources gratuites, Thot-Cursus [sans date].

Carter, Dennis, «Open courseware on every campus by 2016 ?», eCampus News, 18 février 2011.

Daniel, (Sir) John, «OER University: Institution or Consortium?», Commonwealth of Learning Blog, 4 avril 2011.

Guttenplan, G. G, «For exposure, universities put courses on the Web», New York Times, section Europe, 1 er novembre 2010.

Hon, Adrian, «Why free online lectures will destroy universities – unless they get their act together fast», The Telegraph, 25 novembre 2010.

Mulder, Fred et Jos Rikers,  A Golden Combi!? Open Educational Resources and Open, Flexible and Distance Learning, Final Report from the ICDE Task Force on Open Educational Resources, décembre 2008 [document PDF].

Siemens, George, «Will online lectures destroy universities?», elearnspace, 29 novembre 2010.

Swabey, Pete, «Degrees of separation», Information Age, 13 octobre 2010.

Umbriaco, Michel, «Formation sur mesure à distance : une obligation éthique pour répondre aux besoins du Québec», présentation au Colloque La formation à distance et l’éducation tout au long de la vie, Congrès de l’ACFAS, Sherbrooke, 11 mai 2011.

Ressource

M. M., «33 indispensable OpenCourseWare Tools : Search, Browse and Bookmark», E.D.U. Administration Masters, 17 octobre 2010 [inventaire d’outils permettant de retrouver des contenus de cours libres].

Articles Similaires

Les communautés de pratique en enseignement

Perspectives SSF

Jeux sérieux : apprendre en jouant… jusqu’à l’université (2 partie)

Perspectives SSF

Aux États-Unis, engouement pour la formation en ligne… qui souffre d’un déficit de crédibilité auprès des professeurs

Perspectives SSF

Ajouter un commentaire