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Plus loin et plus proche : bilan 2010-2011 des nouveaux programmes des universités québécoises

Résultat d’un contexte de forte concurrence dans le réseau universitaire québécois, la dernière année fut fertile en annonces de nouveaux programmes. Au moment d’en faire un bilan, trois grandes tendances se dégagent : la délocalisation (souvent par la formation à distance), l’interdisciplinarité et la proximité avec la pratique professionnelle.

Des programmes offerts à distance… et à l’étranger

Désireuses de se positionner comme étant ouvertes sur le monde et souhaitant élargir leur bassin d’étudiants potentiels, nombreuses sont les universités ayant annoncé la création de programmes tantôt offerts à distance, tantôt délocalisés.

Ainsi, l’Université Laval annonçait dernièrement qu’elle délocalisait son baccalauréat en sciences infirmières en Beauce à l’intention des infirmières diplômées au collégial ainsi que sa maîtrise en sciences infirmières au Liban, en prévoyant la possibilité d’un stage de recherche au Québec pour ces étudiantes étrangères. Dans les deux cas, il s’agit de programmes déjà offerts sur le campus de l’université, mais qu’on a voulu offrir sur un autre site afin de rejoindre une clientèle plus ciblée. Par ailleurs, l’Université de Montréal vient d’ajouter un «cheminement international» à son baccalauréat spécialisé en sociologie, dans lequel un voyage d’études à l’étranger s’intègre à la formation.

Plutôt que de multiplier les sites de formation, d’autres institutions choisissent de miser sur la technologie pour élargir leur bassin d’étudiants. Ainsi, l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) a annoncé ce mois-ci la diplomation de la cohorte inaugurale d’un premier programme entièrement offert sur Via en conférence Web, soit le programme court de 2e cycle en interprétation et médiation culturelles. Les responsables expliquent avoir jusqu’ici recruté des étudiantes et étudiants québécois en région éloignée, mais envisagent élargir le recrutement aux étudiants hors Québec ainsi qu’aux étudiants internationaux.

De son côté, l’UQAT lançait en avril 2011 son microprogramme de 2e cycle en approche clinique en santé mondiale, composé de cours offerts entièrement à distance. Cette université mise notamment sur la souplesse des modalités de formation pour rejoindre une clientèle de professionnels en exercice aux horaires de travail difficilement compatibles avec les exigences d’une formation universitaire conventionnelle. Les responsables mettent également de l’avant la possibilité de recruter étudiants et enseignants un peu partout dans le monde, un atout intéressant dans un créneau comme celui-ci.

Des programmes au carrefour de plusieurs disciplines

Bien qu’elle ne soit pas nouvelle, la tendance aux programmes interdisciplinaires s’est manifestée principalement aux cycles supérieurs cette année, où de nouveaux programmes se sont positionnés au carrefour de disciplines jusque-là bien distinctes.

Il en va ainsi de l’Université d’Ottawa, qui a ajouté à sa maîtrise et à son doctorat en sciences de l’éducation des concentrations consacrées à la formation dans le domaine de la santé. Ces concentrations inédites visent à rejoindre des professionnels de la santé chez qui l’on veut notamment développer des compétences d’en matière d’élaboration de programmes d’enseignement novateurs en santé. Ces programmes sont le fruit d’une étroite collaboration entre deux facultés importantes de l’Université d’Ottawa, soit la Faculté d’éducation et la Faculté de médecine et des sciences de la santé.

L’Université de Montréal travaille également en ce sens; elle ajoute une concentration en dynamique cellulaire des complexes macromoléculaires à sa maîtrise et à son doctorat en biochimie, amenant ainsi les étudiantes et étudiants à intégrer des approches issues de la biologie moléculaire, de la biologie structurale, de la protéomique, de l’imagerie et de la bio-informatique. De la même façon, en ajoutant une concentration en maladies complexes chez l’humain à la maîtrise et au doctorat en biologie moléculaire, on reconnaît l’avènement de technologies de pointe comme la génomique, la protéomique, la lipidomique, la métabolomique, la biologie interactive, la thérapie cellulaire utilisant les cellules souches et la création des grandes banques de tissus nationales. Dans les deux cas, ces concentrations se distinguent en amenant l’étudiant à intégrer dans sa recherche des perspectives issues d’autres disciplines.

À la croisée de champs disciplinaires, il faut aussi mentionner la nouvelle maîtrise en art-thérapie de l’UQAT, suite logique d’un microprogramme et d’un diplôme d’études supérieures spécialisées.

Au premier cycle, signalons la création par le département d’histoire de l’art et d’études

cinématographiques de l’Université de Montréal d’une mineure en études du jeu vidéo offerte à compter de l’automne 2011. Elle se présente comme le premier programme au Québec et au Canada consacré non pas au développement et à la création du jeu vidéo, mais bien à l’analyse, à la critique, à la théorie et à l’histoire du jeu. Ce faisant, les responsables entendent présenter cet objet d’étude en intégrant des perspectives diverses issues de disciplines s’étant penchées sur la culture numérique.

Des programmes visant à renforcer le lien avec la pratique

Faut-il s’en étonner? Toute une série de microprogrammes créés cette année visent spécifiquement la formation continue de professionnels en exercice qui recherchent avant tout des formations appliquées à leur réalité professionnelle.

Outre le microprogramme en approche clinique en santé mondiale de l’UQAT évoqué plus haut, l’UQTR lançait en avril son microprogramme de 1er cycle en travail de rue et de proximité, qui se démarque par le jumelage en classe de l’enseignant universitaire avec un auxiliaire d’enseignement issu des milieux d’intervention en travail de rue, de façon à renforcer le lien entre la théorie et la réalité telle qu’elle se présente dans la pratique.

De son côté, l’Université du Québec à Rimouski a annoncé en octobre 2010 la création d’un microprogramme de 2e cycle en éthique de l’intervention en santé en réponse aux besoins de formation des professionnels du réseau de la santé et des services sociaux sur la dimension éthique de leurs interventions. De même, l’Université Laval annonçait en novembre 2010 la mise sur pied d’un microprogramme de 2 e cycle sur la prévention de la violence en milieu scolaire, un programme offert essentiellement en ligne et permettant aux intervenants de réfléchir aux problématiques et aux enjeux présents dans leurs milieux respectifs, mais également d’élaborer des stratégies d’intervention adaptées à leur réalité.

Par ailleurs, même dans le cadre de programmes à visée plus fondamentale, on note une préoccupation croissante pour l’arrimage des objectifs de formation à la réalité professionnelle et au développement de compétences «appliquées».

À preuve la révision des doctorats à l’École polytechnique à la suite d’une analyse ayant révélé que près de la moitié des diplômés aux programmes d’études supérieures de type recherche travaillaient à l’extérieur du monde universitaire. Devant ces résultats, l’institution a repensé l’ensemble de ses doctorats pour tenir compte de cette réalité et introduire le développement d’habiletés professionnelles (connaissances, stratégies et méthodes en recherche et innovation, communication, gestion, comportement, professionnalisme) jugées essentielles pour ses diplômés, peu importe qu’ils poursuivent leur carrière à l’université ou ailleurs.

Enfin, preuve additionnelle qu’il s’agit de lignes de force importantes, nous avions déjà noté l’an dernier les tendances à l’internationalisation et à répondre à des besoins bien concrets. On constatera par ailleurs qu’un certain nombre des programmes évoqués précédemment recoupent plus d’une catégorie (à distance et proche de la pratique, proche de la pratique et interdisciplinaire…).

Pour être en phase avec l’esprit du temps, s’agirait-il de développer des programmes à la fois délocalisés, qui exploitent des créneaux interdisciplinaires particuliers, tout en se collant sur la pratique? Ou ne conviendrait-il pas plutôt d’explorer d’autres formules, distinctes de ce qui se fait ailleurs?

Sources

«L’art-thérapie à l’UQAT en plein essor», Communiqués de presse de l’UQAT, 31 mars 2011.

«Les maladies complexes chez l’humain font l’objet d’une concentration en biologie moléculaire», Forum, 25 avril 2005.

«Microprogramme en éthique de l’intervention en santé», UQARInfo, 31 octobre 2010.

«Une première universitaire québécoise : l’UQTR lance un microprogramme de premier cycle», Actualités du réseau de l’Université du Québec, 18 avril 2011.

«Un programme délocalisé – La maîtrise en sciences infirmières offerte cet automne au Liban», Au fil des événements, vol. 46, n o 30, 12 mai 2011.

«Santé – L’UQAT s’ouvre sur le monde», Communiqué de presse de l’UQAT, 6 avril 2011.

«Trois nouveaux programmes en enseignement aux professionnels de la santé», Communiqué de presse de l’Université d’Ottawa, 3 mars 2011.

«Unique dans la francophonie», Au fil des événements, vol. 46, n o 11, 18 novembre 2010.

Vallée, Pierre, «De nouveaux doctorats – L’École polytechnique s’adapte aux nouvelles réalités», Le Devoir, 30 octobre 2010, p. G8.

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