On surveille pour vous

Popularité et abus de la surveillance d’examens en ligne

Par Jean-Sébastien Dubé et Marc Couture

En mars dernier, l’Université catholique privée DePaul de Chicago faisait face à un recours collectif alléguant que cette université utilisait le logiciel de surveillance en ligne (proctoringRespondus pour récolter des données biométriques.

Dans certaines universités canadiennes, l’utilisation de ce même logiciel suscite l’ire des étudiantes et étudiants. Dans le but d’éviter la tricherie lors d’une évaluation en ligne, Respondus est téléchargé sur l’ordinateur d’une personne étudiante et prend le contrôle de l’activité à l’écran, du microphone et de la webcam, tout en restreignant les fonctions de l’ordinateur. La séance d’évaluation est enregistrée et un système de reconnaissance faciale interprète les gestes et le langage corporelle de la personne étudiante. L’utilisation de tels logiciels de surveillance a explosé depuis le début de la pandémie.

Respondus, ProctorU, Honorlock… Ces solutions de proctoring (surveillance à distance) sont considérées par certains comme incontournables pour vérifier l’identité des apprenants et pour s’assurer que ceux-ci ne profitent pas d’un soutien non autorisé pour passer leurs examens en ligne. Le processus de surveillance à distance oblige les personnes étudiantes à montrer avec leur webcam leur environnement de travail au surveillant ou à la surveillante afin de prouver qu’ils n’utilisent que le matériel autorisé pour passer leur examen. Ce moyen est objet de débats actuellement dans les universités au Québec : certaines institutions en prônent l’utilisation alors que d’autres s’y opposent ou n’ont pas encore pris position.

Selon David Draper, vice-président aux affaires académiques de l’Association étudiante de l’Université de l’Alberta, « Fondamentalement, ce que fait ce logiciel, c’est qu’il essaie d’empêcher la tricherie. Mais tout ce qu’il fait à la place, c’est que vous avez plus peur et que les évaluations sont moins efficaces. » Outre l’Université de l’Alberta, l’Université de Colombie-Britannique, l’Université McMaster et l’Université du Nouveau-Brunswick ont également reçu des plaintes relatives au recours à de tels logiciels.

De multiples enjeux

Par ailleurs, leur utilisation soulève également des enjeux d’équité, de diversité et d’inclusion: Madison Tracy, étudiante aux cycles supérieurs de l’Université d’État de l’Ohio, qui souffre d’un trouble du déficit de l’attention et d’hyperactivité, explique qu’elle doit se rappeler avant chaque test surveillé (elle en a passé 18) que les petites techniques qu’elle utilise habituellement pour se recentrer – comme étirer les bras ou regarder ailleurs – pourraient être signalées comme des comportements potentiellement toxiques (Hartwell, 2020). Certains étudiants et étudiantes estiment que de tels systèmes « leur font craindre de trop cliquer ou de reposer leurs yeux de peur d’être considérés comme des tricheurs. [D’autres] ont également déclaré avoir pleuré de stress ou uriné à leur bureau parce qu’il leur était interdit de quitter leur écran » (Hartwell, 2020). Des étudiantes et étudiants de plusieurs colleges américains ont signé des pétitions demandant le retrait des ententes entre leurs institutions d’appartenance et des sociétés offrant ces services de surveillance. C’est le cas en Californie, au Colorado, en Floride, au Massachusetts, au Michigan, à New York, en Ohio, au Texas, au Wisconsin et dans l’état de Washington.

Question d’accessibilité technologique, la surveillance électronique requiert souvent trois heures d’Internet ininterrompues et de qualité vidéo en continu (soit la durée d’un examen), ce que beaucoup d’étudiants et d’étudiantes ne peuvent garantir. D’autres personnes étudiantes s’inquiètent de la vulnérabilité des banques de données vidéos des compagnies de surveillance d’examen en cas de cyberattaque. En juillet 2020, des hackers ont publié en ligne plus de 400 000 fichiers volés chez ProctorU qui incluaient noms, mots de passe et adresses physiques. La compagnie a depuis intégré de nouvelles mesures de sécurité.

Cette surveillance électronique peut mener à des dérives importantes au point où la vie privée des personnes étudiantes est compromise: on comprend que cette mesure devrait normalement servir à gérer une situation exceptionnelle liée à la pandémie, mais elle a un réel potentiel de devenir permanente si personne ne s’y oppose. Le message de base de ces logiciels de surveillance demeure: « Nous ne vous faisons pas confiance. » Est-ce que le fait d’arrêter quelques tricheuses et tricheurs vaut le prix à payer pour traiter chaque personne étudiante comme un fraudeur ou une fraudeuse? Et quelle est l’importance réelle de ces examens, compte tenu du stress supplémentaire imposé aux étudiantes et étudiants dont la vie a déjà été bouleversée par la pandémie? 

Un climat toxique 

Ces craintes de tricherie créent un climat de méfiance hautement toxique qui nuit non seulement à l’alliance pédagogique entre les étudiantes et étudiants et les enseignantes et enseignants mais également à l’apprentissage. Toxique pour les étudiantes et étudiants, qui font l’objet de suspicion non discriminée et qui se plaignent de comportements abusifs de la part des enseignantes et enseignants qui veulent absolument contrôler l’environnement dans lequel chaque étudiante, étudiant fait son examen à distance. Toxique pour les enseignantes et enseignants, qui doutent de l’honnêteté de leurs étudiantes et étudiants, ce qui les conduit à les voir toutes et tous comme des tricheuses et tricheurs en puissance qu’il faut surveiller à tout prix.

Plus près de nous, Antoine Belisle-Cyr, président de l’Association générale des étudiants de l’UQTR a réagi le 9 décembre 2020 aux propos de Gilles Bronchti, président du Syndicat des professeur(e)s de l’UQTR qui avaient été rapportés dans un article du Nouvelliste deux jours plus tôt: Selon le professeur Bronchti, la tricherie expliquait la hausse des notes (10 points de plus en moyenne) dans des cours qui comportaient des examens à distance. M. Belisle-Cyr « déplore que face à la situation qui est vraiment anxiogène et qui touche encore plus la population étudiante il y ait ce genre de procès d’intention envers les étudiants la veille de la semaine des examens et des travaux de fin de session ». Il émet l’hypothèse que la hausse des notes pourrait provenir du fait que les étudiantes et étudiants sont plus à l’aise de faire leur examen à la maison parce ce que cette dernière leur offre plus de concentration et plus de confort

Le consultant John Warner propose quant à lui l’adoption d’une approche de « bienveillance éthique » (ethic care) pour mieux baliser l’apprentissage et son évaluation ainsi que l’adaptation des méthodes pédagogiques afin de favoriser l’autonomie et le développement d’une pensée critique chez leurs étudiants. Il souligne par ailleurs l’incohérence entre une surveillance accrue lors des évaluations en ligne et celle des médias sociaux qui permet de cibler les interventions de soutien auprès d’étudiantes et d’étudiants de plus en plus anxieux… et qui le deviennent peut-être en raison des conditions liées à la surveillance de leurs activités académiques:

Schools are both justifying the use of testing-surveillance software, a source of student anxiety, and social media “listening” tools that are meant to detect student anxiety and help signal the need for intervention. An ethic of care that considers the fact that students learn best when they are not anxious and depressed would both save some dough and probably lead to some better outcomes. Any time some aspect of institutional operations seems to demand a technological solution, there may be a cheaper, superior alternative, and the way to find it is to start with an ethic of care. (Warner, 2021, nos emphases)


Sources

Dumont, Ariane, « Évaluation à distance et proctoring » (entrevue avec Henrietta Carbonel, Unidistance, Suisse), Pedagoscope, 21 janvier 2021

Flaherty, Colleen, « Big Proctor », Inside Higher Ed, 11 mai 2020.

Harwell, Drew, « Cheating-detection companies made millions during the pandemic. Now students are fighting back », The Washington Post, 12 novembre 2020

Managan, Katherine. The Surveilled Student: new ways of monitoring health and academic performance won’t just disappear when the pandemic subsidesThe Chronicle of Higher Education, 15 février 2021

McKenzie, Lindsay, « DePaul Sued Over Online Proctoring Tool », Inside Higher Ed, 11 mars 2021

Trahan, Brigitte. Tricherie: l’AGEUQTR se questionne sur les affirmations des professeurs. Le Nouvelliste. 9 décembre 2020.

Trahan, Brigitte. La tricherie aux examens préoccupe les profs de l’UQTR Le Nouvelliste. 7 décembre 2020.

University Affairs Team, « COVID-19: updates for Canada’s universities », University Affairs, 8 mars 2021

University Affairs Team, « COVID-19: updates for Canada’s universities », University Affairs, 31 mars 2021

Young, Jeffrey R. More Students Are Using Chegg to Cheat. Is the Company Doing Enough to Stop It? Edsurge. 23 février 2021.

Warner, John. Instead of Surveillance, Try an Ethic of Care: some problems can be solved without technological fixes. Inside Higher Ed, 25 février 2021.

Weber-Wulff, Debora. ICAI Annual Conference 2021Copy, Shake, and Paste. 4 mars 2021.

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