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Fraude d’un directeur de recherche : ses étudiants dans l’onde de choc

Chaque automne, en début d’année universitaire, les journaux se penchent sur la triche chez les étudiants. Cette année, le regard des journaux s’est posé sur l’intégrité en recherche. En effet, La Presse a publié trois articles (« Les tricheurs de la science », « Fraudes scientifiques : des secrets universitaires bien gardés » et « Fraudes : fausses revues scientifiques, faux congrès ». Signe des temps? En cette période de « faits alternatifs », de post-vérité, de fausses nouvelles, on est en droit de se poser des questions sur l’intégrité et ce, à tous les niveaux, même dans le monde de la recherche scientifique.

Tous les chercheurs et chercheuses sont tenus de faire preuve d’intégrité dans la conduite de leurs travaux de recherche, y compris les étudiantes et étudiants. La confiance mutuelle entre les collaborateurs est un principe fondamental à la bonne conduite des projets de recherche et la relation professionnelle entre un étudiant et sa directrice ou son directeur de recherche n’y fait pas exception.

Malheureusement, les cas d’inconduite en recherche sont en hausse. Pour Nicolas Chevassus-au-Louis, biologiste, historien des sciences et journaliste, « la “malscience” n’est plus uniquement le fait de quelques brebis galeuses, mais elle touche tout le troupeau et ce, sur un continuum qui va d’une pratique d’embellissement assez généralisée dans les labos à des actes de fraude de grande ampleur ».

Rappelons ici ce que la Politique sur l’intégrité en recherche et sur les conflits d’intérêts de l’Université de Sherbrooke identifie comme manquements à l’intégrité en recherche :

– fabrication
– falsification
– destruction de dossiers de recherche – plagiat
– republication ou autoplagiat
– attribution invalide du statut d’auteur
– mention inadéquate
– mauvaise gestion des conflits d’intérêts
– fausse déclaration dans une demande de fonds
– mauvaise gestion des fonds
– violation des politiques et exigences applicables à certains types de recherches – violation du processus d’évaluation d’un organisme subventionnaire

En cas de verdict de culpabilité

La condamnation d’une chercheuse ou d’un chercheur pour inconduite en recherche éclabousse tous ses collaborateurs, y compris les étudiants qu’il dirige ou a dirigés et les stagiaires postdoctoraux dont il a eu la responsabilité. Il est question ici de victimes et non de « complices ».

Une recherche de littérature sur ce sujet bien précis et des contacts avec des blogueurs spécialisés dans les questions d’intégrité ont mis en lumière que cet aspect de la condamnation pour fraude scientifique est peu documenté. Tous ont pointé le rapport Flawed science: The fraudulent research practices of social psychologist Diederik Stapel, document fort instructif sur ce cas « flamboyant » qui a secoué profondément le domaine de la psychologie. Le rapport fait état du questionnement quant à la pertinence de retirer le diplôme octroyé aux étudiants qui ont réalisé une thèse basée sur les fausses données de Stapel. Les experts ont choisi de ne pas recommander le retrait du diplôme en rappelant que « [t]he award of a doctorate relies on the PhD student demonstrating competence to perform independent scientific research (to be assessed with reference to the problem definition, method, response to the problem definition, etc.) ». Pour eux, les étudiantes et étudiants dirigés par Stapel ont fait les apprentissages requis pour obtenir leur diplôme de doctorat.

Mais, nous l’écrivions en 2012 dans une dépêche de L’éveilleur sur le même sujet, qui s’intitule « Que valent les thèses des étudiants dirigés par un professeur reconnu coupable d’inconduite en recherche? » :

« [… Q]ue valent les thèses [que les étudiants] ont produites? Si on peut vraisemblablement supposer que l’apprentissage de la démarche de recherche (un des objectifs de formation du doctorat) a été atteint par ces étudiants, la production de nouveau savoir valide (un autre objectif du doctorat), quant à elle, est problématique. Les thèses sont publiques. Dans le cas de fraude, ne devraient-elles pas subir le même sort que les articles frauduleux : être l’objet d’une rétraction? Il s’agit ici d’éviter qu’elles perpétuent des savoirs erronés, qu’elles induisent en erreur d’autres chercheurs, d’autres étudiants parce qu’ils s’en seront servis comme bases à d’autres projets de recherche qui un jour se révéleront fausses. »

C’est ce que les experts du rapport Flawed Science recommandent :

« It is proper that the fraudulent nature of the data used in these dissertations be made known, in order to prevent possibly false conclusion being drawn, and to curtail the impact of possibly false interpretation that have been offered. » (Levelt et al., 2012)

Les experts considèrent que les coauteurs d’articles scientifiques, et les doctorants diplômés en particulier, ont souffert de la mise au jour de la fraude de Stapel. Malgré le fait d’avoir été lavés de tout soupçon de complicité, ceux-ci ont vu leur réputation entachée et leur avancement en carrière de recherche compromis, entravé, ralenti, voire bloqué, que ce soit au moment du renouvellement d’un contrat, lors de la soumission d’un article, pour la recherche de collaborateurs ou lors de l’évaluation d’une demande de fonds. Il ne faut pas négliger les impacts psychologiques : honte, humiliation, démotivation, dépression, perte de confiance en la science, abandon de la carrière de recherche…

Il ne faut pas négliger les impacts psychologiques : honte, humiliation, démotivation, dépression, perte de conance en la science, abandon de la carrière de recherche…

Et qu’en est-il des étudiants encore en formation? Il a été difficile de trouver des sources sur cette clientèle. Ivan Oransky, animateur du blogue Retraction Watch, nous a orientée vers le cas d’une étudiante de l’Université du Queensland qui a vu en 2013 son projet de recherche arrêté à la suite de la condamnation pour fraude de ses deux codirecteurs de recherche, de la rétractation de l’étude sur laquelle elle fondait son projet de recherche et de la fermeture du laboratoire dans lequel elle faisait sa recherche. L’étudiante a demandé une compensation monétaire à l’Université pour tous les coûts que cette fin abrupte de son projet de doctorat lui avait occasionnés. La situation s’est détériorée entre l’étudiante et l’Université alors qu’une instance était chargée de régler le dossier. Deux ans plus tard, en 2016, l’étudiante soumettait sa situation à l’ombudsman du Queensland, qui a conclu un an plus tard que l’Université du Queensland devait tenir de nouvelles audiences, ce qu’elle a fait. En date du 26 novembre 2016, l’étudiante n’avait toujours pas été dédommagée.

En cas de soupçon

Lorsqu’une étudiante ou un étudiant est témoin d’un manquement en intégrité, sa situation devient
délicate : doit-il signaler la « chose » ou se taire? S’il choisit de signaler, la réussite de son projet de doctorat pourrait être en péril et on pourrait même lui faire porter le blâme, comme le notent Marcus et Oransky : « Grad students and postdocts are frequently the scapegoats in case of fraud, and they have little in the way of recourses in the current system. » S’il choisit, au contraire, de se taire, il devient complice de la fraude. Un véritable nœud gordien.

Marcus et Oransky mentionnent une suggestion formulée dans l’article « Stop ignoring misconduct » paru le 31 août 2016 dans Nature : « [e]ach year, trainees should be required to complete anonymous questionnaires evaluating their mentors, and results should be sent to funding agencies as well as to research deans. » Le signalement de comportements déviants, notamment par des étudiants en formation, est en soi un sujet qui mérite une attention particulière tant il est délicat et ce, en raison du rapport de force en jeu. Aussi ne faut-il pas s’étonner que les signalements se font, quand ils se font, une fois le diplôme en poche.

Sources

Levelt, W. J. M., Drenth, P., et Noort, E. (éd.), Flawed science: The fraudulent research practices of social psychologist Diederik Stapel, Tilburg, Commissioned by the Tilburg University, University of Amsterdam and the University of Groningen, Final report Stapel investigation, 28 novembre 2012.

Morin, Sonia, « Que valent les thèses des étudiants dirigés par un professeur reconnu coupable d’inconduite en recherche? », L’éveilleur, 10 décembre 2012.

Morin, Sonia, « La malscience, en analogie avec la malbouffe », L’éveilleur, 26 octobre 2016. Marcus, Adam et Oransky, Ivan, « A grad student was caught in the crossfire of fraud – and fought back », Retraction Watch, 22 novembre 2016.

Marcus, Adam et Oransky, Ivan, « For young scientists, a supervisor’s fraud can derail a career », STAT, 25 novembre 2016.

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