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Possibles conséquences de l’élection de Trump sur les universités

En 1969, Pierre Elliott Trudeau affirmait aux États-Unis : « Être votre voisin, c’est comme dormir avec un éléphant; […] on subit chacun de ses mouvements et de ses grognements. » Qu’on le veuille ou non, les répliques des moindres secousses politiques américaines nous affectent… A fortiori quand c’est une onde de choc comme l’élection de Donald Trump à titre de président.

La principale inquiétude des milieux universitaires américains touche à l’accueil des étudiants internationaux. Selon une enquête de la National Association for Foreign Student Affairs menée auprès de 40 000 candidats, 60 % des répondants se disaient moins enclins à venir étudier aux États-Unis advenant une victoire de Trump à la présidence :

« Many in international education expressed concerns at the time that such a policy could make it extremely difficult for students from Muslim nations to get visas. Others worried that a Trump victory would send such students seeking a Western-style education to Canada, Australia or other countries not seen as hostile. » (Jaschik, 2016)

Trump a peu parlé de formation supérieure pendant la campagne présidentielle, mais lors d’un rallye en Ohio au mois d’octobre 2016, il a donné quelques indices de ses intentions pour ce secteur (Kolowich et Tomason, 2016; Stratford, 2016) :

  • Il propose un plan pour le remboursement des frais de scolarité basé sur le revenu qui maximiserait le remboursement à 12,5 % des gains mensuels d’un diplômé et le libérerait de ses dettes d’études au bout de 15 ans. Il s’agirait en fait d’un régime plus généreux que celui de l’administration Obama (max. 10 % du revenu par mois et pardon après 20 ans).
  • Il en a contre les institutions qui thésaurisent les revenus de leurs campagnes philanthropiques et menace de leur retirer les exemptions fiscales sur ces gains. Selon lui, ces sommes devraient être réinvesties dans la formation, la baisse des frais de scolarité et la réduction des dettes étudiantes.
  • Il s’insurge contre la rectitude politique qui sévit selon lui au sein de divers campus américains. Il n’a pas expliqué comment il s’y prendrait, et divers observateurs ne croient pas qu’un président puisse influencer ce mouvement
  • Il veut réduire les règles de l’État en matière d’éducation. Selon lui, la conformité à la bureaucratie de l’ère Obama coûte cher aux collèges et universités. Il croit qu’en limitant la réglementation fédérale, les institutions d’enseignement feront des économies qui permettront de réduire les frais de scolarité galopants aux États-Unis.
  • S’il est peu probable qu’il abolisse le Département de l’éducation comme il l’avait affirmé, il souhaite en diminuer la taille. Sous l’administration Obama, certains établissements privés offrant de la formation de piètre qualité avaient été fermés. Une organisation accréditrice avait été poursuivie en justice (Kelderman, 2016). Ces poursuites tomberont sous une administration Trump plus favorable aux institutions privées. Le président élu a lui-même dû régler hors cour de telles poursuites contre la défunte Trump University (Urbain et Tordjman, 2016).
  • Des universitaires s’inquiètent de réduction des budgets de recherche et autres probables mesures d’austérité.

Le 23 novembre dernier, Donald Trump a annoncé la nomination de la milliardaire conservatrice Betsy DeVos à titre de secrétaire à l’Éducation. Le président n’aurait pas voulu d’une personne issue du monde de la formation, mais préférait quelqu’un du milieu des affaires (des activités philanthropiques de Betsy DeVos touchent à l’éducation). Il est vrai qu’un fort courant d’anti-intellectualisme traverse le discours du président élu. Les électeurs ayant voté pour Trump sont principalement des hommes blancs, sans éducation supérieure :

« “That’s the risk of trying to appeal to the everyday man, by de-emphasizing the importance of education, you run into a situation where education is put on the back burner and then institutions of higher education experience significant cuts and then we have trouble preparing the next generation of voters…”» (Tolson, citée dans DeSantis et al., 2016)

Depuis l’élection, et pendant toute la campagne, les campus universitaires sont le théâtre de nombreuses manifestations partisanes et manifestations de protestation. Certains formateurs s’inquiètent de la difficulté à maintenir un débat intellectuel serein dans ce contexte :

« [C]olleges are realizing that preparing students for the contentious discussions sparked by the election is the primary work of higher education. The challenge will be in accomplishing that goal in an environment with such charged opinions between various groups of people that may share many interests but differ in their lived experience and political views. » (DeSantis et al., 2016)

À l’inverse, John R. Thelin, de l’Université du Kentucky, auteur de A History of American Higher Education (Johns Hopkins University Press), se fait pourtant rassurant :

« “If Donald Trump wins the presidency, the losses for higher education will not be as dire as feared by higher ed advocates,” Thelin said. “The strengths and weaknesses of U.S. higher education are deep and, hence, impervious to any single candidate or election.” » (Jaschik, 2016)

Sources

« Donald Trump as US president: what it means for higher education – Live blog », Times Higher Ed, 9 novembre 2016.

Huffington Post avec Agence France-Presse, « Donald Trump nomme la milliardaire, “idéologue” et ultra-conservatrice Betsy DeVos ministre de l’Éducation », HuffingtonPost, France, 24 novembre 2016.

Berrett, Dan, S. Brown, E. Kelderman, B. Read et F. Zamudio-Suaréz, « What Does Betsy DeVos Have in Mind for Higher Ed? », The Chronicle of Higher Education, 23 novembre 2016.

DeSantis, Nick, E. Kelderman, A. Thomason et F. Zamudio-Suaréz, « Trump’s Surprise Victory Sends Shock Through Higher Ed », The Chronicle of Higher Education, 9 novembre 2016.

Jaschik, Scott, « Trump Victory Jolts Higher Ed », Inside Higher Ed, 9 novembre 2016.

Kelderman, Eric, « Regulatory Relief Under Trump Could Favor Both For-Profit and Traditional Colleges », The Chronicle of Higher Education, 11 novembre 2016.

Kolowich, Steve et A. Thomason, « Donald Trump Actually Talked About Higher Education on Thursday. Here’s What He Said », The Chronicle of Higher Education, 14 octobre 2016.

Marklein, Mary Beth, « Trump victory would deter international students, NAFSA told », University World News, 3 juin 2016.

Ngan, Mandel et Marc-Antoine Baudoux (AFP), « Deux premières femmes dans l’administration Trump », Lapresse.ca, 23 novembre 2016.

Stratford, Michael, « What Donald Trump’s stunning win means for education », Politico,
9 novembre 2016.

Thomason, Andy et F. Zamudio-Suaréz, « Daily Briefing », The Chronicle of Higher Education,
10 novembre 2016.

Urbain, Thomas et J. Tordjman (AFP), « Trump paye 25 millions pour échapper à un procès sur son “Université” », Lapresse.ca, 18 novembre 2016.

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