On surveille pour vous

Trop de collaboration tue la collaboration?

Selon Forbes, les entreprises qui « favorisaient le travail collaboratif seraient cinq fois plus susceptibles d’être performantes ». Savoir travailler en équipe est donc une compétence recherchée des employeurs. Plusieurs gestionnaires considèrent d’ailleurs le travail d’équipe comme l’une des principales compétences professionnelles essentielles au 21e siècle (Divjak, 2017). Selon le rapport The Future of Jobs du Forum économique mondial (WEF) de 2016, « coordinating with others » occupe la 5e position du top 10 des compétences pour 2020.

Certains commentateurs, comme Loïc Plé, directeur adjoint responsable de la pédagogie et du développement académique à l’IÉSEG School of Management (campus sur Lille et sur Paris), s’inquiètent des « coûts organisationnels et individuels induits par l’excès de collaboration » (notre emphase).

« Il convient donc de questionner ces pratiques collaboratives, et certainement de tempérer le discours ambiant qui, dans le milieu de l’enseignement ou de l’entreprise, tend à en faire un one best way, sorte d’alpha et d’oméga de la créativité, de l’apprentissage et/ou de la réalisation de projets.

Pour caricaturer à l’extrême, “l’on ne saurait être plus créatif (ou performant) que si l’on collabore” semble être devenu un mantra qui ne souffre (presque) aucune contestation. » (Plé, 2017)

Plé explique bien « qu’il ne s’agit en aucune manière de ne pas en reconnaître les avantages [de la collaboration], mais qu’il est nécessaire de prendre du recul à leur égard, afin d’éviter ou de limiter les déceptions liées à leur usage ». Pour lui, il s’agit d’alterner dynamique collective et dynamique individuelle, afin « d’accroître les chances d’atteindre les objectifs poursuivis ».

Plé s’appuie notamment sur les travaux de Cross et al. (2016). Ces derniers constatent que, dans certaines entreprises, jusqu’à 80 % du temps est consacré en réunions diverses, à répondre au téléphone ou à répondre à des courriels. Ces chercheurs ont étudié combien les quelques employés les plus sollicités pour de l’aide dans un milieu de travail deviennent essentiels. Jusqu’à un tiers des collaborations à valeur ajoutée dans une entreprise proviendrait de 3 % à 5 % de ces « employés collaboratifs ». Cependant, ces collaborateurs finissent par créer un goulot d’étranglement alors que de plus en plus d’activités requièrent leur intervention. Ils nuisent alors à leur propre productivité, reçoivent peu de reconnaissance organisationnelle, ce qui peut les amener à vivre de l’insatisfaction et, à terme, à quitter l’entreprise. Selon Cross et al. (2016), une partie du problème provient du fait que les employés collaboratifs tendent surtout à fournir des ressources personnelles (temps et énergie, soit des ressources limitées) plutôt que des ressources sociales (réseau) ou informationnelles (connaissances) qui se partagent sans se tarir :

« …[P]ersonal resources are often the default demand when people want to collaborate. Instead of asking for specific informational or social resources—or better yet, searching in existing repositories such as reports or knowledge libraries—people ask for hands-on assistance they may not even need. An exchange that might have taken five minutes or less turns into a 30-minute calendar invite that strains personal resources on both sides of the request. » (Cross et al., 2016)

Apprendre à savoir reconnaître dans quels contextes il est judicieux de collaborer (ou non) et comment doser ses ressources pour ne pas les épuiser : il nous semble y avoir là un beau défi pour l’enseignement universitaire.

Sources

Cross, Rob, Reb Rebele et Adam Grant, « Collaborative Overload », Harvard Business Review , janvier-février 2016.

Divjak, Marko, Teamwork, the Key Competence of the 21 st Century, DOBA Business School, 2017.

Gaskell, Adi, « The 10 skills you need to thrive in the Fourth Industrial Revolution », The Future of Jobs, World Economic Forum, 19 janvier 2016.

New Study Finds That Collaboration Drives Workplace Performance, 22 juin, 2017.

Plé, Loïc, « Non, la pédagogie et le travail collaboratifs n’ont pas que des avantages! », The Conversation, 20 juin 2017.

Références supplémentaires

Brounstein, M., Managing Teams for Dummies, 19 août 2016. Belbin Team Roles, 11 octobre 2016.

Designing Successful Business Teams, 11 octobre 2016.

Vartiainen, M., Andriessen, J. H. E., « Virtual Team-Working and Collaboration Technology », dans N. Chmiel (éd.), An Introduction to Work and Organizational Psychology, 2e éd., p. 209-233, USA, Blackwell Publishing.

West, M. A. (2009), « Effective Teams in Organizations », dans N. Chmiel (éd.), An Introduction to

Work and Organizational Psychology, 2e éd., p. 305-328.

Articles Similaires

Le microapprentissage : l’avenir de la formation continue en entreprise?

Perspectives SSF

Parlerez-vous « dégenré » dans votre classe cette année?

Véronique Bisaillon

Comment les activités internationales de l’UdeS ont-elles été affectées par la pandémie ?

Alain Mélançon

Ajouter un commentaire