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Demain, la certification : jamais sans mes badges 1/2

Nous en avons déjà parlé à diverses reprises (voir la certification, apanage des universités? et Choc des tendances : learning outcomes contre microcertification) de manière générale, mais l’intérêt pour cette tendance ne faiblit pas… Il y a lieu de penser qu’il ne s’agit pas simplement d’une mode. À la suite de la présentation Le diplôme en 2024 : quelle forme, quel contenu? donnée dans le cadre du récent

Mois de la pédagogie universitaire à l’Université de Sherbrooke, nous avons décidé d’approfondir notre investigation du phénomène des badges numériques ouvertes.

Qu’est-ce que c’est?

Il s’agit de représentations en ligne de compétences. Les badges numériques sont inspirées du mouvement scout mais surtout de l’univers des jeux en ligne (FourSquare, par exemple). D’aucuns y voient d’ailleurs une simple mécanique de jeu appliquée à la certification. Les badges numériques permettent de reconnaître l’acquisition de connaissances, d’habiletés, de savoir-être spécifiques appris aussi bien à l’université que par le bais d’activités bénévoles ou professionnelles. Comme elles reposent sur un standard ouvert, les internautes accumulent des badges de diverses provenances dans un «sac à dos» virtuel et peuvent les afficher ensuite sur leurs profils dans les réseaux sociaux et autres plateformes (Facebook, LinkedIn, Twitter, Mahara ePortfolio, Moodle, WordPress, etc.).

Si l’apparence juvénile de ces écussons virtuels arborant des logos colorés peut faire sourire, on a intérêt à examiner attentivement le fonctionnement de cet outil, dont les ramifications s’avèrent plus complexes qu’on peut d’abord le croire. C’est que les badges ouvertes ne sont pas que de simples images : elles contiennent des métadonnées qui en garantissent l’authenticité. En les consultant, un employeur ou une institution peut savoir d’où vient cette certification, par qui elle a été émise, quand et à qui elle a été décernée et selon quelles modalités. Selon certains observateurs, une badge est plus précise qu’une note :

«Traditional grades, [Kyle Bowen, director of education technology at Pennsylvania State University] claimed, tend to lack […] context. On a transcript, an A-grade for one course looks the same as an A for another. But what if one of those two courses was taught by a Nobel Prize winner? Could that extra information help set students apart? […] “Unlike grades that lack that kind of detail, the badges contain it,” Bowen said.» (New, 2014)

Cette vidéo de la Fondation MacArthur – qui finance divers projets de systèmes de badges – nous semble assez parlante.

Pourquoi s’en servir?

Dans un contexte d’ébullition de la formation à distance et compte tenu de la multiplication des portfolios numériques, il n’est pas étonnant que se développent des preuves numériques des apprentissages réalisés. Par ailleurs, Denys Lamontagne, de Thot Cursus, explique bien l’engouement pour les badges ouvertes qu’il qualifie de «…meilleure réponse à ce jour [au] problème quasi insoluble de la certification tout au long de la vie…» (notre emphase) :

«Considérant le fait que les individus sont de plus en plus mobiles et sociaux, qu’ils changent d’école, de carrière, d’employeur, de pays, de contexte et ce, de plus en plus souvent, il apparaît logique que la gestion des dossiers de certification revienne à la fois à l’individu ET aux institutions qui les ont formés et non à une autorité “centrale”…» (Lamontagne, 2011)

Dans certaines communautés virtuelles (par exemple la salle d’études en ligne Open Study ou la Peer 2 Peer University), les badges numériques deviennent un important moteur de valorisation de la participation. Elles sont une façon pour les membres de se distinguer, de démontrer leur contribution à la communauté ou leur maîtrise dans certains domaines. C’est sans compter la Khan Academy ou d’autres communautés, dont les badges ne sont pas ouvertes (c’est-à-dire qu’elles ne peuvent être consultées que sur les sites qui les émettent).

Dans les organisations physiques, les badges permettent d’encourager des habiletés périphériques que les certifications habituelles ne sanctionnent pas, comme le mentorat ou le travail d’équipe. Par exemple, lors du récent Carrefour de l’engagement étudiant, Ashoka Canada a remis à des étudiants de l’UdeS des badges «champion du sociofinancement» : avouons qu’il existe très peu de véhicules reconnaissant ce type de compétence.

Aux États-Unis, certains milieux de travail publics ou privés emboîtent le pas pour reconnaître les réalisations de leurs employés ou de leurs clients : Disney-Pixar, la NASA, le U.S. Department of Veterans Affairs, la National Oceanic and Atmospheric Administration et le musée Smithsonian, pour n’en nommer que quelques-uns. Des observateurs font remarquer que des compagnies comme Microsoft ou Cisco associent des badges numériques à leurs certifications internes depuis des années…

Qui les utilise en formation supérieure?

Un certain nombre d’universités américaines expérimentent les badges ouvertes de différentes façons. La plus connue est probablement la Purdue University, qui a même développé deux applications mobiles : Passport, pour que les enseignants créent des badges et assignent des tâches à accomplir pour les gagner, et Passport Profile, qui permet aux étudiantes et étudiants de cumuler et de présenter leurs badges. D’après Bill Watson, un professeur associé au projet :

«”Typically in courses, we have a number of very broad learning goals, and grades are given out on student assignments tied to these broad goals,” Watson says. “But really, it is more a comparison of students rather than a focus on student learning and attainment of desired learning outcomes. Badges help instructors encourage students to demonstrate how they have met very specific learning objectives through actual performance.”

Un système est également en développement à la Penn State University.

À l’Université de Californie – Davis, les badges servent à préciser les particularités du parcours de chaque étudiant de la majeure en agriculture durable et systèmes alimentaires. À l’Université de l’Illinois, les badges servent à reconnaître la formation à distance, tandis qu’à la Indiana University, on les utilise particulièrement pour démontrer la participation à des MOOC. À l’Université Longwood, les badges démontrent l’acquisition de compétences transversales (réseautage, recul critique, etc.). Mentionnons enfin l’Université Seton Hall, où les badges servent à reconnaître la participation à la vie de campus et aux activités parascolaires.

Dans le monde francophone, nous savons qu’un cours d’écotoxicologie à la Faculté des géosciences et de l’environnement de l’Université de Lausanne constitue un projet pilote où les badges servent essentiellement à susciter la motivation des étudiantes et étudiants. Les auteurs du projet s’appuient, notamment, sur les travaux de Rolland Viau.

Plus près de nous, la Vitrine-technologie éducation (VTÉ), un organisme dont le mandat est de guider les choix des établissements d’enseignement supérieur québécois en matière de technologie éducative (notamment pour le réseau collégial), vient de conclure un partenariat avec la compagnie Mozilla pour «le développement et la reconnaissance concertées d’insignes [NDLR : nous préférons “badges”] en éducation au Québec». «Concrètement, la VTÉ chapeauterait les initiatives émanant des établissements scolaires afin de favoriser le partage d’expertise et de leur éviter de perdre leur temps et de réinventer la roue.» (Reverd, 2014) On apprend ainsi que plusieurs collèges (Champlain, Bois-de-Boulogne, Cégep@distance, Dawson, etc.) investiguent ce mode de reconnaissance de la formation.

Remarquons enfin que Moodle 2.5 permet d’émettre des badges ouvertes, ce qui signifie que toutes les universités québécoises qui utilisent cet environnement numérique d’apprentissage ‒ incluant l’UdeS ‒ pourraient éventuellement en décerner.

Et si on veut l’essayer?

Le site de référence est bien sûr Mozilla Open Badges, mais il n’est pas le seul : Basno, OpenBadges.me; Credly.com; Badg.us offrent également la possibilité de créer et d’accumuler des badges numériques.

Obtenir une première badge et l’afficher dans son «sac à dos» est aussi simple que d’ouvrir un compte en ligne. En émettre une est à peine plus compliqué : «En ouvrant un compte sur un de ces sites, il est possible de générer des badges en respectant, cependant, quelques directives : l’image doit, par exemple, s’inscrire dans un carré d’au moins 90 x 90 pixels, au format PNG.» (Ndiaye et Benkacem, 2014) Avoir des bases de JavaScript Object Notation (JSON), un langage très simple, aidera aussi à associer les métadonnées à l’image choisie (Heroku).

Notons que pour rendre une badge permanente et la distribuer, il faut néanmoins que l’organisation dispose d’un serveur puisque l’URL du domaine confirmera l’identité et l’authenticité de l’émetteur (Heroku).

Dans un prochain numéro, nous tenterons d’évaluer les gains et les risques de la certification par les badges ouvertes et nous nous demanderons si ces badges en viendront à remplacer les diplômes universitaires.

Sources

Heroku.com, «Badge Lab Tutorial #92470» [consulté le 3 mai 2014].

Koebler, Jason, «Teens Take Studying Online», US News – Education, 17 octobre 2011.

Lamontagne, Denys, «Open Badges : une initiative pour la reconnaissance des compétences tout au long de la vie», Thot Cursus, 20 septembre 2011.

MacArthur Foundation, «What is a Badge?» (vidéo), YouTube, 19 juin 2013, durée : 3 min 36.

Ndiaye, Beneta et Omar Benkacem, «Badges ouverts ou pins numériques», CIEL (Communauté d’intérêt pour l’enseignement en ligne), Université de Genève, 28 janvier 2014.

New, Jake, «Understanding the symbolism of digital badges», eCampus News, 24 avril 2014.

Raths, David, «How Badges Really Work in Higher Education», Campus Technology, 20 juin 2013.

Reverd, Christophe, «La VTÉ s’allie à Mozilla pour promouvoir l’utilisation d’Open Badges en éducation», Vitrine technologie-éducation, 1 er avril 2014.

Tally, Steve, «Digital badges show students’ skills along with degree», Purdue News, 12 septembre 2012.

Université de Lausanne, «Badges : un projet pilote expérimenté en Faculté des géosciences et de
l’environnement (FGSE)», 25 mars 2014.

Young, Jeffrey R., «”Badges” Earned Online Pose Challenge to Traditional College Diplomas», The Chronicle of Higher Education, 8 janvier 2012.

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