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Données probantes en éducation : pour des apprentissages pratiques plus efficaces (1/2)

Plusieurs cours universitaires permettent aux étudiants de réaliser des apprentissages pratiques ou de mettre en application des apprentissages théoriques. Il existe une multitude de formules : exercices, laboratoires, stages, simulations, travaux pratiques, etc. Sous quelles conditions ces moments d’apprentissage pratique sont-ils les plus efficaces?

Des chercheurs spécialisés dans l’étude de l’expertise, notamment le professeur K. Anders Ericsson, ont découvert que toute forme de pratique ne mène pas à l’amélioration. Généralement, la réalisation d’une activité (par exemple, jouer d’un instrument de musique) atteint un plateau de performance après un certain temps. L’explication est simple : une personne qui atteint un niveau de performance jugé satisfaisant cesse de chercher à s’améliorer et réalise ensuite l’activité de façon routinière. Les pratiques suivantes ne permettent que de maintenir le seuil de performance actuel.

Pour continuer à s’améliorer, on doit adopter une stratégie dite de pratique délibérée, une approche où la pratique est conçue dans l’unique but d’améliorer des aspects spécifiques de la performance d’un individu. Par exemple, un musicien pourrait improviser sur une gamme avec la spécificité de suivre un tempo imposé.

[Tout au long du présent texte, nous allons conserver l’exemple de la musique, mais la pratique délibérée s’applique à tout type de connaissances pratiques ou appliquées (communication scientifique disciplinaire, analyse, intervention psycho-sociale, etc). Ses principes s’appliquent autant aux savoir-faire cognitifs qu’aux savoir-faire psychomoteurs et aux savoir-être, de même qu’aux savoirs pratiques complexes qui combinent les types précédents.]

Caractéristiques de la pratique délibérée

Dans la pratique délibérée, une personne s’engage avec pleine concentration dans un exercice d’entraînement répété (habituellement planifié) séquentiel et progressif, portant sur un but spécifique déterminé par des critères explicites, représentant l’atteinte d’un niveau juste au-delà du niveau actuel de performance. Le but visé est accessible en quelques heures de pratique. Des exemples et des contre-exemples peuvent aider à communiquer plus clairement l’objectif à atteindre. Après chaque répétition, la personne reçoit une rétroaction issue de l’analyse de sa performance sur les aspects répétition, la personne reçoit une rétroaction issue de l analyse de sa performance sur les aspects critiques à travailler, qui permettra de raffiner la prochaine répétition. La personne peut se passer de la rétroaction d’autrui si elle peut faire elle-même l’analyse de sa performance. (Ambrose, S. A. et al., 2010; Ericsson, 2006; Ericsson & Ward, 2007)

Susan A. Ambrose et ses collègues ont représenté ce cycle de la façon suivante :

Traduction libre du schéma de Ambrose, S. A. et al. (2010), p. 126.

Les buts sont au centre de la démarche, car ils sont déterminants pour chaque étape du cycle. On entre dans le cycle avec une première pratique. Il faut avoir l’occasion de pratiquer plus d’une fois pour que la rétroaction ait son effet Le cycle se poursuit tant que le but n’a pas été atteint.

L’expérience ne suffit pas

Pourquoi viser une pratique balisée de la sorte? Parce que la performance plafonne lorsque la pratique ne suit pas ces principes. Bref, il ne suffit pas d’accumuler de l’expérience pour se développer : la manière fait toute la différence.

Plus précisément, selon Ericsson (2006) la concentration requise pour s’ajuster lors des répétitions qui suivent chaque rétroaction départage la pratique délibérée de la performance routinière (jouer machinalement une pièce de musique connue, sans trop y porter attention) ou de l’engagement ludique (jouer une pièce de musique pour le plaisir). Ces deux façons routinières de mener une activité ne font, au mieux, que renforcer les mécanismes cognitifs du niveau de performance actuel, sans les modifier pour permettre l’amélioration.

Quelques conditions de succès pour la pratique délibérée

  • On doit travailler sur des activités et des tâches authentiques, représentatives de ce qui se fait dans le domaine. En conséquence, les activités qui n’ont lieu que sur les bancs d’écoles et qui ne sont plus pratiquées une fois diplômé feront moins progresser (à moins qu’elles ne soient d’incontournables passages obligés des débutants pour accéder aux activités authentiques).
  • Pour chaque cycle de pratique délibérée, on doit cibler une composante précise de l’activité, dont l’amélioration rehaussera la performance globale de l’activité. Au fil des progrès de la personne, les aspects d’une activité qui font l’objet de pratique délibérée sont de plus en plus avancés, voire de plus en plus subtils.
    • Par exemple, un pianiste pourra se pratiquer pendant quelques séances à réussir une gamme sans erreur en la jouant lentement. Une fois cette étape maîtrisée, il pourra faire un nouveau cycle de pratique où il tentera d’accélérer progressivement son jeu de cette gamme sans faire d’erreur.
  • Ambrose et ses collègues (2010) indiquent que si les composantes d’une activité doivent faire l’objet de pratique délibérée, il ne faut pas négliger pour autant de pratiquer l’activité complète de façon intégrée avec une rétroaction pertinente.
    • Par exemple, après avoir maîtrisé ses gammes, notre pianiste pourra se pratiquer à improviser des solos sur des pièces de jazz.
  • Le rôle du « coach » est d’identifier les composantes plus faibles (et les plus fortes) de l’apprenant dans la conduite de l’activité, de proposer une pratique ciblée appropriée et d’analyser la performance afin de donner de la rétroaction pendant le cycle de pratique délibérée. Le « coach » devrait aussi développer l’autonomie de l’apprenant pour qu’il soit en mesure de devenir son propre « coach ».
  • Selon Ambrose et ses collègues (2010), la rétroaction doit exprimer rapidement, fréquemment et clairement où se situe l’apprenant par rapport au but visé. Quels aspects sont inadéquats et de quelle façon le sont-ils? Quels sont les aspects corrects à conserver? Les appréciations numériques générales (note, cote, rang, etc) sont à éviter parce qu’elles n’indiquent pas comment s’améliorer.
  • Zimmerman (2006) indique que le monitorage est plus efficace s’il porte initialement sur la façon de s’y prendre, pour corriger d’abord la forme. On ne doit se concentrer sur le résultat qu’une fois que la forme est appropriée.
    • Par exemple, un pianiste débutant qui apprend une gamme se ferait d’abord donner de la rétroaction sur la façon de placer ses mains et ses doigts, puis répéterait jusqu’à ce que la forme soit correcte, avant que l’on intervienne sur les notes ratées.
  • La pratique doit se faire de façon attentive, contrôlée, ce qui permet de se concentrer sur l’amélioration recherchée. Comme cette concentration ne peut être soutenue que pour une durée limitée, la pratique délibérée n’est plus efficace au-delà d’un certain seuil. On doit donc la répartir sur plusieurs séances et plusieurs jours. Par exemple, des musiciens experts ont typiquement deux séances de pratique délibérée chaque jour, d’environ 2 heures chacune, sans dépasser 5 heures par jour. Pour d’autres habiletés, 30 à 60 minutes par séance ou par jour peuvent suffire.

Conclusion

Considérant ces caractéristiques, on comprend bien qu’un programme de pratique délibérée est souvent personnalisé, plus particulièrement au niveau de la rétroaction. Ce type de démarche est donc tout à fait approprié dans les situations de développement de savoir-faire où le suivi individuel est courant, comme les stages ou l’encadrement aux études supérieures (pour ne donner que ces exemples).

Et pourtant, il est possible d’appliquer ce principe avec succès même dans un contexte d’enseignement de groupe. Ce sera l’objet du prochain article sur les données probantes en éducation.

Sources

Ambrose, S. A., M. W. Bridges, et al. (2010). How Learning Works : 7 Research-Based Principles for Smart Teaching, Jossey-Bass. 301 pages.

Clark, R. C. (2008). Building Expertise : Cognitive Methods for Training and Performance Improvement, Pfeiffer. 495 pages.

Ericsson, K. Anders. (2000). Expert Performance and Deliberate Practice : An updated excerpt from Ericsson (2000) Consulté le 2013-03-14, à www.psy.fsu.edu/faculty/ericsson/ericsson.exp.perf.html

Ericsson, K. Anders. (2006). The Influence of Experience and Deliberate Practice on the Development of Superior Expert Performance. In K. Anders Ericsson, Neil Charness, Paul J. Feltovich & Robert R. Hoffman (Eds.), The Cambridge Handbook of Expertise and Expert Performance (1 ed., pp. 683-703): Cambridge University Press.

Ericsson, K. Anders, & Ward, Paul. (2007). Capturing the Naturally Occurring Superior Performance of Experts in the Laboratory: Toward a Science of Expert and Exceptional Performance. Current directions in psychological science, 16(6), 346-350. doi: 10.1111/j.1467-8721.2007.00533.x

Willingham, Daniel T. (2009). Why don’t students like school? A cognitive scientist answers questions about how the mind works and what it means for the classroom (1 ed.): Jossey-Bass.

Zimmerman, Barry, J. (2006). Development and Adaptation of Expertise: The Role of Self-Regulatory Processes and Beliefs. In K. Anders Ericsson, Neil Charness, Paul J. Feltovich & Robert R. Hoffman (Eds.), The Cambridge Handbook of Expertise and Expert Performance (1 ed., pp. 705-722): Cambridge University Press.

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