Le SSF Veille

Le livre numérique : prêt pour la classe? Mini-dossier de veille

«On ne devrait jamais sous-estimer le pouvoir des livres.»

PAUL AUSTER, BROOKLYN FOLLIES (2005)

L’impact du livre sur le monde de l’éducation – et sur la connaissance en général – est si profond qu’il devient difficile d’imaginer l’un sans l’autre.

L’invention de l’imprimerie a fait du manuel un instrument fondamental de soutien à l’enseignement et à l’apprentissage. Les développements technologiques des dernières décennies ont transformé significativement le processus de production des livres, en augmentant d’autant leur accessibilité.

Avec la multiplication d’appareils informatiques mobiles et leur mise en réseaux, c’est la distribution et même la consultation d’œuvres qui se trouvent bouleversées. Il devient maintenant possible d’envisager l’utilisation de versions électroniques d’ouvrages en classe : les livres numériques.

Ce dossier vise à présenter :

  • ce qu’est le livre numérique;
  • un bref historique de son développement;
  • les exigences techniques pour y accéder;
  • une comparaison avec le livre papier;
  • les tendances du marché;
  • quelques pistes d’utilisation du livre numérique dans un contexte de formation;
  • d’autres ressources sur la question.

De quoi parle-t-on au juste?

Le grand dictionnaire terminologique définit ainsi le livre numérique :«Livre disponible en version numérique, sous forme de fichier, qui peut être téléchargé, stocké et lu sur tout appareil électronique qui en permet l’affichage et la lecture sur écran »

Selon Wikipédia : «Un livre électronique, e-book ou livrel est un fichier électronique contenant un texte sous forme numérique. Il ne doit pas être confondu avec la liseuse, l’appareil électronique spécialisé qui permet de le lire sans faire usage d’un ordinateur.»

Certains auteurs mentionnent que le sens donné au livre numérique peut porter à confusion, car il fait référence à la fois au support physique mais également à la version numérisée de ses contenus et du moyen utilisé pour y accéder.

Alain Cordier, dans un rapport sur le livre numérique soumis au ministère de la Culture et de la Communication en France en 1999, souligne bien cette ambigüité :

«L’expression “livre numérique” est à elle seule porteuse de deux concepts technologiques de nature bien différente :

– le livre, désignant un objet physique bien identifié, en trois dimensions, résultat d’une chaîne d’opérations de fabrication, dont le contenu est définitivement figé,

– le numérique, désignant un ensemble de technologies basées sur une transformation (la numérisation) d’un signal en nombres (suite de 0 et de 1), impliquant en général l’usage d’un ordinateur.»

La chercheuse et journaliste Marie Lebert tente quant à elle de réconcilier ces termes :

«Le livre étant à l’origine un assemblage de feuilles imprimées formant un volume, utiliser le terme «livre» en le couplant avec les adjectifs “numérique” et “électronique” relève pour certains de l’hérésie si on s’en tient au livre en tant que support. Mais ceci semble tout à fait acceptable si on considère le livre dans sa dimension éditoriale. Le livre n’est-il pas d’abord “contenu” avant d’être un support? Qu’il soit imprimé ou numérique, le livre est en premier lieu un ensemble de mots émanant d’une personne voulant communiquer à large échelle ses pensées, ses sentiments ou son savoir.»
(«Les mutations du livre, de l’imprimé au numérique», La bataille de l’imprimé à l’ère du papier électronique, 2008, p. 211)

Pour les besoins de ce dossier, nous ferons surtout référence à ce qui est normalement considéré comme l’équivalent du contenu livresque (d’abord textuel, mais incluant parfois une mise en page, des images, etc.) ainsi qu’aux différents moyens d’en faire la lecture (les nouveaux supports).

Depuis quand trouve-t-on des livres numériques?

Saviez-vous que les livres numériques existent depuis près de 40 ans déjà? Le Projet Gutenberg, lancé en 1971, a pour mission de numériser des textes et des livres faisant partie du domaine public dans un format accessible de façon à en favoriser la diffusion, mais jusqu’à récemment ce dernier demeurait relativement méconnu à l’extérieur des milieux scientifiques et universitaires.

La publication de livres numériques sur de tels sites a véritablement pris son envol avec l’accès au réseau Internet par le grand public et, plus particulièrement, à la suite du développement du protocole hypertexte qui facilitait dès lors le téléchargement de documents versés sur des sites web.

Côté commercial, Jeff Bezos fonde en 1995 Amazon.com, première librairie entièrement en ligne qui deviendra le géant du commerce électronique que l’on connaît maintenant. Si ce détaillant vend d’abord et toujours des livres papier, son modèle d’affaire entièrement dématérialisé le positionne parfaitement pour la vente d’ouvrages numériques. C’est en novembre 2000 que 1000 titres sont d’abord proposés au public. Le catalogue numérique d’Amazon compte aujourd’hui 510 000 titres payants et 1,8 million d’ouvrages libres de droits.

Aux États-Unis, des bibliothèques offraient depuis le début des années 90 un accès à des publications numériques, accessibles sur place via des terminaux. De cette pratique a émergé l’initiative NetLibrary en 1998, outil permettant l’indexation d’œuvres disponibles en version numérique et accessible via Internet. Ce service est toujours utilisé aujourd’hui par les services des bibliothèques institutionnels, incluant celui de l’Université de Sherbrooke.

À partir de 2004, comme ses concurrents Yahoo! et Microsoft, le géant Google développe un service de numérisation d’œuvres littéraires (appelé d’abord Google Print, puis Google Books), «d’une part par souci méritoire de mettre le patrimoine mondial à la disposition de tous, d’autre part à cause de l’enjeu représenté par les recettes publicitaires générées par les liens commerciaux accolés aux résultats des recherches» (Lebert, 2009).

Jouissant de l’appui de plusieurs grandes bibliothèques universitaires et de certains éditeurs, le projet se bute toutefois à une forte résistance en justice de la part de tenants de droits d’auteur, notamment l’Authors Guild et l’Association of American Publishers. Un accord survient finalement en 2009. À ce jour, le catalogue de livres numérisés par Google s’élève à 12 millions de titres.

En parallèle, les supports électroniques à la lecture numérique se rapetissent et se connectent. On lit bien sûr sur son ordinateur de bureau ou sur son portable, mais c’est l’adoption par le public des technologies mobiles ainsi que la facilité grandissante d’accéder aux contenus qui mènent à une plus grande diffusion des livres numériques.

Dès 1996, on lit sur les assistants personnels Pilot de la société Palm. Suivra le PocketPC de Microsoft en 2000, puis les premiers téléphones intelligents de Nokia et Sony dès 2001. Si Sony commercialise une première liseuse au Japon dès 2004 – la Librié, qui deviendra le Sony Reader – il faut attendre le Kindle d’Amazon en 2007 pour observer un réel engouement pour ce genre d’appareil.

La montée de la popularité des tablettes, dont le développement s’est accéléré depuis la sortie du iPad d’Apple en 2010, aura également eu pour effet d’encourager la lecture sur un support physique électronique adapté à cette activité. La possibilité d’y installer certaines applications permettant de lire les livres achetés sur les différents sites Web des grands distributeurs en fait un outil polyvalent. On peut bien sûr y consulter des livres achetés par l’entremise du iBookStore disponible sur le service en ligne iTunes, ce qui fait d’Apple un sérieux compétiteur à Amazon et à d’autres entreprises de distribution.

Certains analystes prévoient d’ailleurs que 2011 sera l’année de la tablette, avec la sortie anticipée d’une version améliorée du iPad d’Apple et de près d’une centaine de nouveaux appareils utilisant différents systèmes d’exploitation popularisés par la téléphonie cellulaire, notamment la plateforme Android de Google.

Que faut-il pour consulter un livre numérique?

Dans sa plus simple expression, un livre numérique est un fichier qui ne contient que du texte, sans même de formatage. Il peut aussi s’agir d’un document pouvant intégrer une mise en forme complexe et même, dans certains cas, des éléments multimédias (animation, vidéo, etc.). Il existe ainsi une grande variété de formats de livres électroniques, dont les formats ouverts EPUB, MOBI et Adobe Acrobat (PDF) d’Adobe.

Mais on retrouve également ces mêmes formats qui intègrent un mécanisme permettant de contrôler la diffusion des fichiers comportant des droits d’auteur, soit en protégeant les contenus contre la copie ou en limitant les supports matériel et logiciel en permettant la lecture. C’est ce que l’on appelle la gestion des droits numériques (digital rights management en anglais, ou DRM). La majorité des livres électroniques achetés via Internet, par exemple sur le site web d’Amazon, le magasin en ligne iTunes d’Apple, les sites Chapters/Indigo et Barnes and Noble ou, plus près de chez nous, sur le site Jelis.ca, sont protégés de cette façon. Ce sont les marchands, de concert avec les maisons d’édition et les auteurs, qui décident de la façon dont les livres pourront être utilisés.

Le désir de protéger les œuvres contre le piratage a encouragé le développement de ces formats ainsi que celui d’appareils mobiles dédiés à la lecture des livres numériques et nommés liseuses. Plusieurs liseuses sont maintenant disponibles sur le marché, les plus connues étant le Kindle d’Amazon, le Nook de Barnes and Noble et le Kobo de Chapters/Indigo, sans compter un nombre grandissant d’appareils mobiles permettant la lecture à l’aide d’applications installées sur ces derniers. On pense ici aux ordinateurs portatifs, aux téléphones intelligents (le iPhone d’Apple, la plateforme Android de la compagnie Google, le Windows Phone 7 de la compagnie Microsoft, le Blackberry de la compagnie Research In Motion, etc.) et, plus récemment, aux tablettes (plus particulièrement le iPad de la compagnie Apple, de même que les tablettes produites par ses compétiteurs cités précédemment).

Malheureusement, le dispositif permettant la gestion des droits numériques associés à une plateforme donnée rend habituellement un livre numérique incompatible avec les liseuses produites par d’autres fournisseurs. Par exemple, si l’on achète un livre sur le site d’Amazon, il faudra utiliser une liseuse Kindle – ou l’application logicielle du même nom disponible pour d’autres supports physiques – afin d’accéder aux contenus. (Remarquons que les plus malins trouveront souvent une façon de convertir les fichiers source afin de contourner cette barrière).

À noter : cela ne s’applique pas aux livres numériques du domaine public, qui sont diffusés dans des formats ouverts et peuvent en principe être lus par tous les supports existants sans restriction. Outre le Projet Gutenberg cité précédemment, il existe plusieurs sources de livres téléchargeables gratuitement à partir de postes de travail, d’appareils mobiles et de liseuses connectées au réseau Internet : Feedbooks est probablement le plus connu dans cette catégorie. Pour ce qui est de recueils de textes et de livres à caractère éducatif, BookBoon est une source importante de références gratuites.

Comment se comparent le livre numérique et le papier?

En février 2010 se déroulait à Québec une journée de réflexion sur la création, l’édition et la diffusion dans l’univers du numérique.

Parmi les constats évoqués par les participants, René Audet, professeur au Département des littératures et chercheur au Centre de recherche interuniversitaire sur la littérature et la culture québécoises à l’Université Laval, mentionnait que le numérique vient complémenter le papier et pas nécessairement le remplacer, tout en facilitant sa disponibilité et sa diffusion.

C’est aussi le point de vue de Jacques Michon, professeur de littérature à l’Université de Sherbrooke :

«Plutôt que de s’opposer à l’imprimé, l’écrit électronique le complète et le prolonge. Des textes anciens, qui ne sont plus disponibles en librairie ni même dans la majorité des bibliothèques publiques ou universitaires, refont maintenant surface dans la cybersphère. Le livre n’est plus un objet fermé sur lui-même, isolé dans son carcan typographique, mais grâce au numérique, il devient l’un des supports d’un vaste texte qui se déroule à l’infini.»

«Le monde du livre à l’heure du numérique», La bataille de l’imprimé à l’ère du papier électronique, 2008, p. 247

La possibilité de publier soi-même ses œuvres numériques, outrepassant le modèle voulant que la mise en marché d’un livre doive nécessairement passer par une maison d’édition traditionnelle, ouvre une porte aux auteurs indépendants n’ayant pas encore réussi à être publiés. À cela viennent s’ajouter de nouveaux enjeux en lien avec la migration vers le numérique, impliquant «une transformation des compétences des secrétaires d’édition et à l’ajout de spécialistes du numérique, notamment pour la gestion de la diffusion en ligne».

M. Audet ajoute : «des adaptations sont également à prévoir du côté des bibliothécaires et des libraires. Mais leur rôle de médiateur entre les producteurs de contenus et les lecteurs restera fondamentalement le même». Les livres et leurs équivalents électroniques peuvent donc très bien coexister selon ce point de vue.

Pour ce qui est des manuels, guides et autres outils de référence documentaire, on peut se demander si les étudiants apprécient davantage leurs versions électroniques ou celles en papier. Une enquête effectuée en 2009 à l’Université Princeton sur l’utilisation par les étudiants d’une liseuse Kindle dans le cadre de certains cours a donné des résultats plutôt mitigés. La prise de notes déficiente sur l’appareil ainsi que des difficultés liées aux citations ont été les principales lacunes soulignées par le groupe d’étudiants interrogés dans le cadre de ce projet pilote.

On mentionnait toutefois que la lecture y est très aisée, surtout en raison de l’utilisation de la technologie du papier électronique (qui cherche à émuler l’affichage du papier journal utilisant différents tons de gris et en évitant d’utiliser le rétroéclairage utilisé par plusieurs écrans à cristaux liquides). La possibilité d’accéder à plusieurs ressources documentaires sur un même support est appréciée et serait appropriée dans un contexte où il ne serait pas nécessaire de prendre des notes.

Notons que les compagnies ont réagi à ces critiques en intégrant progressivement des fonctionnalités facilitant la prise de notes, le référencement à des dictionnaires en ligne, etc., soit par l’entremise d’une mise à jour logicielle ou en produisant une version améliorée de leur liseuse. Il est donc prévisible que ces plateformes évolueront de façon à mieux répondre aux besoins universitaires.

Dans un billet paru sur le site The Scholarly Kitchen le 3 novembre 2010, le blogueur Kent Anderson critique les résultats d’une enquête du National Association of College Stores. Cette dernière avait été largement citée par les médias aux États-Unis comme faisant la démonstration que les étudiants préféreraient d’emblée les livres en format papier plutôt que leurs versions numériques.

De l’avis d’Anderson, il aurait fallu poser la question en lien avec la sélection disponible et le coût d’acquisition des ouvrages plutôt que par rapport au format  Pour appuyer son argumentation il donne l’exemple du florissant marché du livre usagé sur les campus. Selon lui, tant que les étudiants pourront faire l’acquisition à moindre coût de guides et de manuels papier déjà utilisés, ils continueront à favoriser le format papier plutôt que les versions numériques des mêmes ouvrages… du moins pour le moment.

De même, parce qu’il s’agit d’abord d’un bien physique, il est paradoxalement plus facile de prêter un livre en papier que l’immatériel fichier informatique que constitue un livre numérique (à cause des DRM expliqués plus haut). Quoique les géants de la distribution en ligne Amazon et Barnes and Noble aient ajouté des fonctionnalités limitées allant dans ce sens, cela ne vaut que pour certains livres achetés sur leurs sites respectifs.

Quelles sont les tendances du marché quant à l’adoption du livre numérique?

L’utilisation du livre numérique connaît une progression notable aux États-Unis, résultant à la fois de la mise en marché de liseuses abordables, des habitudes des consommateurs et d’une offre de plus en plus importante de la part des producteurs. Selon le géant de la vente de livres en ligne Amazon, la vente de ses livres numériques a dépassé celle des publications à couverture rigide dans un rapport de 143:100. Par contre, ces chiffres ne donnent pas d’indice sur l’état des ventes totales. Il est donc difficile d’évaluer avec précision l’ampleur des ventes de livres numériques, tous formats confondus.

Tout récemment, Amazon a annoncé que, depuis l’ouverture du site en 1995, la liseuse Kindle est devenue le produit s’étant le plus vendu par ce détaillant en ligne. On observe parallèlement une baisse importante du prix de vente des différentes liseuses, ce qui pourrait indiquer que ces appareils intéressent davantage les consommateurs.

En France, le marché semble stagner, faute d’une demande suffisante et en raison de taxes onéreuses associées à l’achat de contenus électroniques. En mars 2010, le marché du livre numérique y représentait moins de 1 % des ventes de livres, quoique la sortie de nouvelles liseuses et une baisse anticipée du prix de vente des livres pourraient faire croître le marché.

Cette tendance ressemble à ce que l’on observe au Québec. Lors du Salon du livre de Montréal 2010, les éditeurs qui étaient présents ont souligné malgré tout que la demande pour les livres numériques était de plus en plus importante : Jelis.ca rapportait une augmentation de 45 % de ses ventes en ligne par rapport à la même période l’année précédente.

La possibilité de pouvoir transporter pratiquement l’intégralité de sa collection sur un seul appareil et les options facilitant la lisibilité du texte ont convaincu l’auteur bien connu Michel Tremblay d’acquérir un Kindle : «Tu peux emmagasiner 3300 livres. Tu te promènes avec ta librairie au complet sur toi (…). Depuis quelques années, il y a beaucoup de livres que je n’achète pas parce que c’est écrit trop petit. Je suis une vieille personne maintenant, ma vue baisse!» Les plus jeunes seraient également plus enclins à lire des livres numériques.

Quelle est la valeur ajoutée du livre numérique pour la formation?

Différentes études tendent à démontrer une croissance dans l’utilisation du livre numérique dans un contexte d’enseignement supérieur.  Une étude (en format PDF) récemment publiée par la firme de recherche Ambient Insight fait état de cette croissance aux États-Unis en lien avec l’utilisation de plateformes d’apprentissage en ligne, ce qui répondrait aux besoins d’individus utilisant leurs appareils mobiles en contexte d’enseignement supérieur.

L’adoption des technologies mobiles par le grand public et par des professionnels du secteur de la santé aurait également pour effet de mettre de la pression sur les institutions d’enseignement supérieur pour qu’elles révisent leurs pratiques et s’adaptent plus rapidement à cette nouvelle demande de certains étudiants.

Pour qui souhaite les intégrer à son enseignement, il apparaît intéressant de prendre avantage des caractéristiques des livrels dans le développement d’activités pédagogiques. Dans La bataille de l’imprimé à l’ère du papier électronique, Christian Vandendorpe, professeur retraité de l’Université d’Ottawa (2008, p. 194-199), résume bien les attributs propres aux documents numériques :

  • Ubiquité : «Grâce à des réseaux serveurs répartis à la surface du globe, des milliards de pages de documents sont maintenant accessibles de partout au monde.»
  • Fluidité : «Une fois numérisé, le texte est facile à modifier, à copier, à faire circuler, à commenter, à publier, à mettre en tableau.» «(…) Cette fluidité accroît considérablement la possibilité de rédiger en collaboration, en permettant aux divers participants, de correction en correction, d’aboutir à un texte satisfaisant.»
  • Hypertextualité : «(…) La capacité de lier n’importe quel élément d’un document à un autre document, de façon telle que le lecteur peut le convoquer instantanément dans son espace de lecture en cliquant sur un hyperlien.»
  • Indexation intégrale : «Toute limitation à la recherche est abolie.» (…) «Dans une démarche bien éloignée de celle qui faisait commencer la lecture d’un livre à la première page, le lecteur sur écran peut aller directement à la question qui l’intéresse, à l’élément d’information qui a du sens pour lui…»
  • Interactivité : «(…) Permet au visiteur de réagir en visionnant une animation, en laissant un commentaire, en participant à une discussion dans un forum ou même en ouvrant son propre blogue…» (…) «L’immédiateté des réponses crée aussi, du même coup, un effet de présence, abolissant la distance traditionnelle entre l’auteur et le lecteur…»
  • Multimédia : «(…) Place grandissante à l’image, à la vidéo, aux graphiques, aux sons et aux animations de toutes sortes. Le livre fait ainsi place à des documents hybrides qui sont souvent d’une grande richesse sémantique et permettent au lecteur de mieux comprendre des phénomènes complexes.»

Ainsi, l’intégration de l’utilisation de livres électroniques dans le cadre d’un cours peut être l’occasion de rendre l’apprentissage plus actif pour l’étudiant. Voici quelques exemples d’usages des livres électroniques pour l’enseignement tirés de eBooks in Higher Education : Why buy the cow when the milk is free? (2006, mise à jour en 2008), par Cathy et Terry Cavanaugh, conseillers technopédagogiques :

  • ajouter des liens vers des livres électroniques disponibles gratuitement sur votre site de cours;
  • demander aux étudiants d’échanger des liens vers des ressources documentaires intéressantes en lien avec votre cours;
  • lien avec votre cours;
  • visionner des passages de livres lors de présentations magistrales;
  • demander aux étudiants de créer un livre numérique à partir de leurs travaux;
  • enseigner des techniques de lecture active.

Catherine Becchetti-Bizot, inspecteur des Lettres en France, interpelle les enseignants parce qu’à son avis la formation soutenue par des ouvrages numériques est justement l’occasion de permettre aux étudiants de développer des compétences de lecture et d’écriture numériques :

«Lire sur support écran, écrire avec un clavier d’ordinateur, naviguer sur la Toile, en effet, c’est effectuer une série d’opérations manuelles (…) qui induisent des postures intellectuelles nouvelles – où le lecteur est à la fois un explorateur, un spectateur et un intervenant ou un auteur – et impliquant de nouvelles responsabilités. Il semble que soient réactivées ici des opérations de la pensée qui ont sans doute présidé à l’invention de l’écriture : rendre visible l’invisible, communiquer avec ce qui est absent, mettre en relation des éléments épars pour les élever au statut de signes et découvrir ainsi, en les reconstruisant, les significations présentes «en arrière» du monde : derrière l’écran.

(…)

Donner à voir le cheminement d’une pensée, d’un raisonnement, c’est ce que permet avant tout l’inscription/apparition progressive sur l’écran : on n’est plus dans la situation de lire un texte qui se donne comme ouvrage achevé, œuvre close, mais toujours dans celle de produire un texte à venir, ensemble et individuellement, de le faire évoluer, circuler, renaître, d’en négocier la forme et les significations – c’est bien de cela qu’il s’agit, oui, d’un texte dont on fait «commerce», qu’on le produise ou qu’on le lise, et qu’il est toujours possible de réévaluer. On peut le travailler comme un artisan, le creuser, l’étoiler, le mettre en scène, le décomposer et le recomposer, le faire briller ou l’anéantir – ce qui ouvre des possibilités infinies de situations pédagogiques et permet aux élèves de s’approprier cet écrit naguère sacré et inviolable, de les réconcilier avec cet étrange étranger, de leur donner envie de le découvrir ou de mieux le comprendre, en investissant ses méandres, bref de leur faire retrouver le plaisir et le sens d’écrire et de lire…»

«Texte et TICE», Les dossiers de l’ingénierie éducative, no 61, mars 2008

D’un point de vue plus pratique, la facilité de mise à jour des recueils de notes de cours et la possibilité d’en diffuser le résultat de façon centralisée peuvent avoir un impact positif sur le travail de préparation des activités pédagogiques.

Marie Lebert précise :

«Outre sa facilité d’accès et son faible coût, le document électronique peut être régulièrement actualisé. Point n’est besoin d’attendre une nouvelle édition imprimée soumise aux contraintes commerciales et aux exigences de l’éditeur, notamment pour les ouvrages et périodiques scientifiques et techniques, dans lesquels l’information récente est primordiale et qu’il est nécessaire d’actualiser régulièrement. (…) Des universités diffusent désormais des manuels “sur mesure” composés d’un choix de chapitres et d’articles sélectionnés dans une base de données, auxquels s’ajoutent les commentaires des professeurs. Pour un séminaire, un très petit tirage peut être fait à la demande à partir de documents transmis par voie électronique à imprimeur.»

«Les mutations du livre, de l’imprimé au numérique», La bataille de l’imprimé à l’ère du papier électronique, 2008, p. 214

Aux États-Unis, dès 2001, le Massachussetts Institute of Technology a lancé le projet OpenCourseware par lequel l’institution publie gratuitement des contenus de cours en ligne. Depuis 2007, c’est l’intégralité du matériel utilisé qui est mis à la disponibilité des internautes. Harvard, Paris Tech, de même que les universités de Pékin et de Tokyo l’ont rejoint dans ce qui s’appelle désormais l’OpenCourseWare Consortium.

Le site Campus Technology rapportait tout récemment l’initiative des universités Oxford, Rice et Open University qui ont commencé à publier les collections intégrales de leurs guides et manuels de référence, ainsi que de livres numériques à accès gratuit par l’entremise du service en ligne iTunes U de la compagnie Apple. L’Université Rice offrait depuis un bon moment l’accès à son site de référence Connexions, à partir duquel il était déjà possible pour tous les visiteurs de télécharger des manuels de cours offerts présentement par l’institution. iTunes devient donc une vitrine pour les productions de son personnel ainsi que de ses étudiants, et par ce fait même, démontre sa volonté de rendre disponibles des contenus à quiconque voudrait les réutiliser dans un contexte de formation.

À l’Université de Sherbrooke, dans un souci d’économie et de conservation environnementale, certains programmes offerts partiellement ou entièrement en ligne ont également adopté des stratégies de diffusion de recueils de textes qui évitent l’impression et la livraison de masses importantes de documents. La plateforme de gestion de sites de cours Moodle est alors utilisée afin de faciliter la distribution du matériel auprès des groupes d’étudiants.

Conclusion

«Pour des intellectuels, l’hypothèse de la disparition du livre n’est pas loin d’être un sacrilège et peut scandaliser… (…) En effet, le livre est un objet quasi-sacré, non seulement pour son histoire, mais aussi en raison du rôle qu’il a joué le plus souvent dans nos vies personnelles : il est l’objet grâce auquel nous avons enrichi notre imaginaire et découvert le monde du savoir et de la pensée.

(Christian Vandendorpe, «Le livre et la lecture dans l’univers numérique», La bataille de l’imprimé à l’ère du papier électronique, 2008, p. 191)

Il semble évident qu’il n’est pas ici question de la disparition du livre, mais bien plutôt de sa plus récente incarnation possédant des caractéristiques particulières. L’avènement de technologies facilitant la publication en ligne ainsi que la consultation de livres électroniques sur différents appareils a indéniablement provoqué un bouleversement dans le monde de l’édition. Les habitudes émergentes des consommateurs adeptes de technologies mobiles mettent de la pression sur les producteurs de contenu – incluant les universitaires – pour qu’ils adaptent leur offre de façon à ce que les textes soient accessibles partout, à tout moment.

Il est à prévoir que l’utilisation de telles ressources soit de plus en plus importante dans des contextes d’enseignement et d’apprentissage. Les institutions d’enseignement supérieur n’y échapperont pas. Qu’auront-elles à proposer lorsque des étudiants chercheront à délaisser les manuels et recueils de textes en papier en faveur d’équivalents numériques légers, cherchables, interactifs?

L’équipe des conseillers technopédagogiques du Service de soutien à la formation de l’Université de Sherbrooke observe des pressions en ce sens, notamment en lien avec les formations alliant à la fois des activités en classe et à distance, où l’on privilégie de plus en plus la diffusion de documentation en format électronique. De là se poseront forcément des questions de propriété intellectuelle et de protection de la confidentialité des informations, avec tous les mécanismes technologiques et réglementaires que cela suppose. Il reste à voir dans quelle mesure ces technologies auront un impact sur les pratiques des professeurs et chargés de cours, tant à titre de formateurs que de créateurs de contenus.

Des défis pour notre institution, à court, moyen et long termes, donc.

Pour en savoir plus

EDUCAUSE Learning Initiative,  7 things you should know about ebooks, Novembre 2006.

EDUCAUSE Review, E-Books in Higher Education: Nearing the End of the Era of Hype?, Mars-avril 2008.

Ministère de l’Éducation nationale, de la Jeunesse et de la Vie associative, ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, site Educnet, dossiers documentaires «Livre électronique, livre numérique» (mise à jour : juin 2010), «Manuel numérique» (mise à jour : juin 2010), «Lecture sur écran» (septembre 2009) et «Les métamorphoses du livre et de la lecture à l’heure du numérique»
(16 octobre 2010).

LEBERT, Marie, « Une courte histoire de l’ebook», Net des études françaises, Université de Toronto, 2009 [document PDF].

LE RAY, Éric et Jean-Paul LAFRANCE (dir.), La bataille de l’imprimé à l’ère du papier électronique, Presses de l’Université de Montréal, 2008, 257 p. [Dossier très complet sur ce livre sur le site du magazine Le monde du livre sur Internet].

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