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Former à distance et à bas prix : le coût de l’accessibilité

Nouvelle venue dans le paysage universitaire américain, l’Université Western Governors fait de plus en plus parler d’elle. Institution privée à but non lucratif reposant sur un partenariat entre les États du Texas, de Washington et de l’Indiana, elle propose à ses étudiants une formation entièrement à distance qui se distingue en permettant de compléter un programme de formation par la démonstration de l’atteinte de seuils de compétence plutôt que par le cumul de crédits réalisés. Elle offre des programmes professionnels en éducation, en technologies de l’information, en administration et en sciences de la santé.

Plusieurs de ses caractéristiques rangent l’Université Western Governors dans une catégorie à part des autres institutions d’enseignement œuvrant dans le même créneau.

  • Toutes ses activités sont offertes exclusivement en ligne, entièrement en mode asynchrone; chaque étudiant peut donc progresser à son propre rythme.
  • Son corps professoral est réduit, ne mène pas d’activités de recherche et est exclusivement dédié au développement d’activités pédagogiques.
  • Pour remplacer les enseignants, elle propose un système de mentorat par des professionnels qui accompagnent les étudiants tout au long de la réalisation de leur programme de formation.
  • L’université détermine des frais de scolarité fixes par périodes de six mois (généralement moins de 3000 $ US), sans égard aux activités complétées pendant cette période.
  • Les étudiants complètent leur programme en réalisant des travaux conçus pour démontrer l’atteinte des seuils de compétence jugés nécessaires.
  • Les travaux y sont corrigés par des évaluateurs indépendants qui ne sont pas en contact avec les étudiants et qui sont tenus de commenter en détail chacune des productions déposées. Vu le nombre élevé de correcteurs impliqués, des mécanismes d’encadrement sont mis en place pour assurer une certaine constance dans la correction.

Cette approche a intéressé plusieurs commentateurs. La progression basée sur l’atteinte de seuils de compétence (par opposition à une progression basée sur le cumul de crédits) semble particulièrement porteuse pour le président du Higher Education Strategy Associates, Alex Usher, rédacteur en chef du Global Higher Education Strategy Monitor, qui y voit une tendance majeure qui risque d’ébranler les façons de faire des universités traditionnelles.

Duke Cheston, journaliste pour le John William Pope Center for Education Policy, souligne quant à lui l’arrimage étroit entre les modalités d’évaluation et les mécanismes de certification déjà présents sur le marché du travail. Pour lui, ce choix s’avère d’autant plus approprié qu’il rejoint les besoins d’une clientèle plus âgée et plus expérimentée que celle des universités conventionnelles et ce dans des domaines où les compétences à acquérir sont déjà décrites et régies par des organismes d’accréditation externes.

De l’accessibilité… profitable

Le facteur économique en faveur d’une offre de formation à distance (FAD) est également mis de l’avant par Jeb Bush et Jim Hunt (respectivement gouverneur de la Floride et ex-gouverneur de la Caroline du Nord) qui, sans mentionner explicitement l’Université Western Governors, font état des économies engendrées par un tel mode de formation et de la prévalence d’étudiants «non traditionnels» (en emploi, avec responsabilités familiales) pour qui la FAD s’avère parfois le seul choix possible.

Ils martèlent la nécessité de s’affranchir des universités dépeintes comme traditionnelles et élitistes afin d’améliorer l’accès à l’enseignement supérieur, et ce à moindre coût. L’idée est poussée à l’extrême par l’économiste Richard Vedder, qui mène une charge contre le système universitaire tel qu’on le connaît. Celui-ci en appelle à une offre de formation distincte qui soit généralisée, gratuite, ouverte à tous et disponible en ligne.

De même, Clayton Christensen et Henry Eyring, coauteurs de The Innovative University: Changing the DNA of Higher Education from the Inside Out, s’inquiètent des pertes de revenus des universités traditionnelles et s’attaquent à ce qu’ils considèrent comme une «vision savante de la connaissance» (scholarly view of knowledge) qui selon eux fait augmenter les coûts de la formation, entre autres pour les étudiantes et étudiants engagés dans les filières professionnelles :

«Whether we intend it or not, the university serves scholarship and scholars before students. (…) [T]he time and money spent in research (…) adds little to the quality of student learning while raising its effective cost. (…) Because many courses and majors are designed primarily to prepare students for graduate study in the same field, students headed to professional school or directly in the workplace may finish college under-prepared.»

À leurs yeux, la solution aux problèmes des universités passe par l’augmentation de clientèle à faible coût que permet la FAD :

«… [O]nline learning allows for profitable growth. The financial surplus generated is just one benefit. The other is the growth of the student body, which decreases the need to cut under-enrolled programs and allows others to expand.»

Accompagner pour une FAD de qualité

Ce concert de prises de position en faveur de la généralisation de la formation à distance est troublé par des réserves sérieuses quant au fait d’y voir une solution à tous les maux qui affligent l’enseignement universitaire.

Dans une réplique à la prise de position de Bush et Hunt, Johann Neem fait ainsi valoir l’importance de la fonction professorale et de la dimension sociale qui devrait guider toute formation universitaire :

«College is about more than accessing information; it’s about developing an attitude toward knowledge (…) If we take college seriously, we need people to spend time in such places so that they will leave different than when they entered.»

Il y a lieu de se demander si, en faisant le pari de la FAD à coût minimal pour augmenter l’accessibilité des études supérieures, de telles institutions ne risquent pas de sacrifier au passage les apprentissages qui devraient définir une formation de niveau universitaire. Par exemple, l’Univesité Southern New Hampshire envisage en FAD un modèle d’évaluation automatisée sans tuteur et qui relève davantage d’une offre de cours par correspondance avec ajout de contenus multimédias mais sans soutien pédagogique institutionnel.

En comparaison, le modèle de l’Université Western Governors se distingue par l’accompagnement individualisé que des professionnels offrent à chacun de leurs étudiants et par l’attention apportée aux modalités d’évaluation des apprentissages. Les travaux servent à démontrer l’atteinte de seuils de compétence et la correction est faite par des tuteurs dont on vante la capacité à fournir aux étudiants une rétroaction riche et de qualité sur chacune de leurs productions.

Mais ce modèle a son prix et ses limites, comme le démontre l’offre de formation actuelle : l’institution s’en tient pour l’instant à former des professionnels dans des créneaux dont les exigences sont déjà bien balisées et l’on peut se demander dans quelle mesure un tel modèle est exportable pour d’autres types de formation. Si le soutien motivationnel s’avère essentiel en FAD, il ne remplace pas la variété d’activités pédagogiques que peuvent offrir des enseignants d’expérience.

Quoi qu’il en soit, ces exemples illustrent bien la tension qui peut exister entre une offre de formation à distance centrée essentiellement sur la transmission de contenus (riches ou non) et une offre centrée sur le soutien à l’apprentissage, où l’accent est mis sur le facteur humain : l’encadrement, le support, la rétroaction offerte aux étudiantes et étudiants.

Souvent reléguée au second plan dans le virage technologique que prennent plusieurs institutions, cette importance accordée à la «présence» auprès de l’étudiant est notamment rappelée par l’UNESCO et par certaines universités de FAD réputées, comme par exemple l’Open University of the Netherlands. Ces dernières prônent une approche moins centrée sur les contenus et plus centrée sur le soutien actif à l’apprentissage, en accord avec les principes découverts par la recherche en éducation.

Si Fred Mulder, ancien recteur de l’Open University of the Netherlands, propose lui aussi le recours extensif aux ressources éducatives numériques ouvertes, il ajoute en revanche que le rôle de l’université est de greffer autour de ces contenus un dispositif d’apprentissage riche d’activités pédagogiques et de contacts avec des enseignants. Le professeur Marcello Maina, de l’Université ouverte de Catalogne, va aussi dans le sens de rehausser l’accompagnement institutionnel plutôt que de le diminuer.

En cette ère de contenus ouverts, de mobilité étudiante et de diversification de modes de formation, il y a certainement là matière à réflexion pour des universités traditionnelles désireuses de mettre de l’avant la valeur ajoutée que représentent leurs corps enseignants. Dans la mesure où elles développeront de la formation à distance en se donnant les moyens d’assurer une réelle présence auprès des apprenants, la notion de «qualité» pourrait certainement y trouver sa place… Et ce tout en rejoignant une plus large clientèle.

Sources

Site Internet de l’Université Western Governors.

Bush, Jeb et Jim Hunt, «New Higher Education Model», Inside Higher Ed, 6 octobre 2011.

Cheston, Duke, «Online Higher Ed Poised to Break Out?», The John William Pope Center for Higher Education Policy, 27 septembre 2011.

Christensen, Clayton M. et Henry J. Eyring, «Guest Post: Eight thoughts on higher education in 2012», Washington Post, 23 décembre 2012.

Maina, Marcelo, «L’approche holistique pour la conception et la diffusion des cours en ligne à l’Université ouverte de Catalogne», conférence présentée à la TELUQ, 26 avril 2011 [vidéo, 1 h 23].

Mulder, Fred et Jos Rikers,  A Golden Combi!? Open Educational Resources and Open, Flexible and Distance Learning, Final Report from the ICDE Task Force on Open Educational Resources, décembre 2008 [document PDF].

Mulder, Fred, Les universités ouvertes à distance et les ressources éducatives ouvertes : une combinaison puissante mais problématique de l’ouverture classique et de la nouvelle ouverture numérique, conférence présentée à la TELUQ, 26 avril 2011 [vidéo, 1 h 25].

Murphy, Kristin, «Professors Cede Grading Power to Outsiders – Even Computers», Chronicle of Higher Education, 7 août 2011.

Neem, Johann, «Online Higher Education’s Individualist Fallacy», Inside Higher Ed, 6 octobre 2011.

Parry, Marc, «Online Venture Energizes Vulnerable College», The Chronicle of Higher Education, 28 août 2011.

Parry, Marc, «Online Education is Everywhere. What’s the Next Big Thing?», The Chronicle of Higher Education, 31 août 2011.

Usher, Alex, So, Competency-Based Education, Then», Higher Education Strategy Associates, 10 février 2012.

Vedder, Richard, «Cheap, Maybe Even Free, Higher Education», The Chronicle of Higher Education, 27 septembre 2011.

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