Ça se passe chez nous

Le Laboratoire d’innovation juridique: nourrir l’esprit entrepreneurial à la Faculté de droit

Depuis trois ans, une réflexion a cours à la Faculté de droit de l’Université de Sherbrooke sur le besoin de mieux coordonner l’offre d’activités de développement professionnel présentée aux personnes étudiantes. Si certaines activités comme les procès simulés, les cliniques juridiques et les concours de plaidoirie sont créditées, d’autres comme celles organisées par le Centre de développement professionnel (CDP) bonifient le bassin d’activités de développement offertes sans nécessairement être dotées de crédits.

C’est dans le contexte de cette réflexion que les professionnelles Me Josée Chartier et Me Déborah Montambault-Trudelle ont soumis le projet Développement des compétences chez le juriste : au croisement des savoirs, savoir-faire et savoir-être au concours 2019-2020 du Fonds d’innovation pédagogique institutionnel . Le projet a été retenu et le soutien accordé leur a permis d’élaborer un référentiel de compétences que les futurs avocats, avocates et notaires devront maîtriser pour évoluer dans le secteur juridique du XXIe siècle: communicationcollaborationidentité professionnelleraisonnement  juridiqueplanification/mise en œuvre et innovation/engagement.

Des services juridiques en pleine mutation

Le développement de la compétence innovation/engagement représente un défi, pas tant au niveau de l’engagement mais plutôt du point de vue de l’innovation. C’est que, de l’avis même du professeur Patrick Mignault, qui enseigne notamment le droit des affaires, « l’innovation ne fait pas partie du profil traditionnel du juriste. Nos étudiantes et étudiants se préparent généralement à intégrer un milieu juridique conservateur. Pour plusieurs, ils et elles ont d’ailleurs de la difficulté à comprendre le contexte des affaires où la compétition conduit les entrepreneures et entrepreneurs à vouloir se démarquer les uns des autres… » Toutefois, le professeur Mignault explique que l’on a de plus en plus affaire à de nouvelles personnes étudiantes ouvertes à toutes sortes de manières de pratiquer le droit.

Pr Patrick Mignault

Pour le professeur, « ça représente un défi de mieux former nos étudiantes et étudiants à la pratique actuelle du droit, alors qu’émergent de nouvelles technologies (comme l’intelligence artificielle) qui redéfinissent la façon de répondre aux clients. Par ailleurs, l’organisation même de la pratique est en pleine transformation avec la compétition des cabinets multidisciplinaires : des cabinets comptables, par exemple, qui offrent certains services juridiques ou les conseillers juridiques internes qui se multiplient au sein des grandes sociétés ». 

Le Lab.IJ, pour former les juristes d’une nouvelle ère

C’est à ce défi développer la compétence d’innovation que veut s’attaquer le Laboratoire d’innovation juridique (ou Lab.IJ), un espace d’apprentissage expérientiel qui permet de sensibiliser les personnes étudiantes à l’innovation juridique et d’accompagner un éventail de projets d’innovation développés par des étudiantes ou étudiants. 

  • Par son mandat de sensibiliser à l’innovation juridique le Lab.IJ cherche à encourager les étudiantes et étudiants à sortir des sentiers battus en leur offrant une perspective globale de l’entrepreneuriat dans le domaine juridique. Les trois axes de développement du Lab.IJ (société, gestion et technologie) indiquent bien à quel point l’innovation est ici pensée de façon large, qu’il s’agisse d’un meilleur accès à la justice, de nouveaux modes de travail pour les juristes ou de la protection des données personnelles, par exemple.

La sensibilisation à l’innovation se fait par des conférences comme celle offerte en novembre 2020 par Miguel Aubouy, conseiller en innovation, ou celle de Me Philip Hazeltine, directeur général de Neolegal, le 9 mars dernier. Elle prend aussi la forme d’un concours d’innovation juridique dont la première thématique – le télétravail – correspond  tout à fait à l’air du temps. « Les cabinets Therrien Couture Jolicoeur et BCF, partenaires du Lab.IJ, ont nécessairement eu à réfléchir à ce sujet l’an passé. On s’est dit que c’était un bon moment pour démystifier cette problématique qui touchera la façon de travailler des futurs praticiens et praticiennes », explique Me Déborah Montambault-Trudelle, coordonnatrice académique associée au projet.

  • Quant à la volonté d’accompagner des projets d’innovation, le professeur Mignault explique qu’il s’agit d’être un canal de communication à la Faculté de droit vers l’écosystème entrepreneurial de l’UdeS: « On souhaite être la voie entrepreneuriale à la Faculté de droit, une part de cet écosystème mais sans remplacer ce qui existe ou qui se fait déjà ailleurs sur le campus. Souvent, les étudiantes et étudiants de la Faculté ne connaissent pas les ressources auxquelles ils ont accès. Il s’agit de les diriger au bon endroit, sans fonctionner en silo. »

Les étudiantes et étudiants des autres facultés sont aussi invités à présenter des projets au Lab.IJ en autant que les équipes de ces projets incluent des membres de la Faculté de droit. « Nous avons la volonté de valoriser la dimension juridique dans l’ensemble des projets d’innovation et d’entrepreneuriat à l’Université », explique le professeur Mignault. « Ainsi, des étudiantes et étudiants de la Clinique entrepreneuriale juridique soutiennent ceux qui participent aux cours ACT101 Préparation à la création d’entreprise et ACT201 Lancement, gestion et fermeture d’entreprise de l’École de gestion. Il y a un réel besoin que ces projets s’effectuent dans les cadres légal et réglementaire en place. Si des juristes en formation sont impliqués dans de tels projets dès le départ, ces derniers risquent moins d’être compromis parce qu’on aurait négligé une dimension touchant la propriété intellectuelle, par exemple. »

Projets d’entrepreneuriat à but lucratif ou non, projets d’innovation sociale ou technologique, ils sont tous les bienvenus. Le Lab.IJ peut soutenir des projets bien avancés comme la plateforme Mediato, conçue par Lucas Métral, diplômé de la Faculté de droit et étudiant à l’École du Barreau du Québec, et un associé. Mediato a d’ailleurs fait l’objet d’un article de NouvellesUdeS en décembre 2020. Toutefois, Mme Montambault-Trudelle se veut réaliste : « Tous les projets n’auront pas cette envergure ni cette maturité. Nous estimons qu’il est aussi nécessaire d’accompagner des projets naissants et les nouvelles idées en démarrage pour leur permettre de maturer. » Un guide d’accompagnement des projets est actuellement en préparation par les étudiants embauchés par le Lab.IJ

En fait, le Lab.IJ présente une autre façon d’être juriste, en mettant de l’avant la dimension entrepreneuriale moins connue des professions juridiques. Pour Simon Brissette, un étudiant de 2e année qui travaille au Lab.IJ, ce laboratoire « présente ou organise des événements, concours, bulletins d’information et nouvelles portant sur de nombreuses sphères de l’innovation juridique afin de stimuler les esprits innovants de la communauté universitaire. Notre prochain objectif est de passer à un second niveau de développement, c’est-à-dire de mettre en place un programme d’encadrement complet, du genre « membership », permettant de propulser les idées et projets juridiques entrepreneuriaux des étudiantes et des étudiants. ».

Développer les compétences professionnelles dans ou hors des cours?

Traditionnellement, c’est le Barreau qui développait les compétences plus techniques des futures avocates et avocats. Le programme de baccalauréat étant déjà très structuré, il apparaît difficile d’y ajouter de nouveaux contenus. Par ailleurs, le professeur Mignault rappelle que le programme de baccalauréat en droit repose sur une logique d’objectifs plutôt que de développement des compétences, mais que la Faculté constate bien cette tendance à l’intégration des compétences transversales dans les cursus d’autres programmes à l’UdeS et ailleurs. 

Le Lab.IJ permet d’expérimenter de nouvelles idées et de nouvelles façons de faire et d’expérimenter de nouvelles avenues pédagogiques. Il y a une ouverture à reconnaître éventuellement les activités du Lab.IJ par des crédits mais le fait de les offrir en mode extracurriculaire a permis de mettre plus rapidement le Lab.IJ en place. Reconnaissant qu’il y a toujours place à l’amélioration, le professeur Mignault estime que le développement de compétences offert par des structures comme le Lab.IJ correspond à l’approche des petits pas. Il évoque des cours comme DRT329 – Intégration des connaissances et habiletés ou DRT098 – Méthodes de travail du juriste en devenir, des activités pédagogiques qui visent le développement de telles compétences. Il évoque aussi la possibilité pour un étudiant ou une étudiante de suivre un stage particulier dans le cadre des activités cliniques DRT 323 et DRT 324 ou de prendre un projet né au premier cycle pour en faire un projet de maîtrise.

Les personnes étudiantes au cœur de l’innovation 

C’est que le Lab.IJ existe d’abord pour et par les étudiantes et étudiants, dans le but d’en faire de réels acteurs et actrices de changement. Outre l’innovation et l’engagement, les activités de sensibilisation et d’éveil du Lab.IJ visent avant tout à amener les étudiantes et étudiants à « proposer quelque chose », ce qui constitue autant d’occasions de développer les autres compétences des futures et futurs juristes : planification, collaboration, communication, identité professionnelle…

Pour Me Montambault-Trudelle, les meilleurs ambassadeurs de cet esprit d’entrepreneuriat sont sans doute les étudiants embauchés par le Lab.IJ. « Ils montent le calendrier des activités, présentent les personnes invitées, alimentent les plateformes de médias sociaux, préparent les bulletins d’information. Leur implication est majeure et on s’assure qu’elle soit mise de l’avant. »

L’expérience que relate de Simon Brissette semble lui donner raison : « Par ma participation à la mise en place du Lab.IJ, j’ai eu la chance de rencontrer des personnalités innovantes du monde juridique et de façonner ma vision de l’innovation par le biais du partage de leurs expériences. L’innovation en droit est certainement complexe mais tout autant réalisable et le Lab.IJ m’a permis de comprendre les enjeux actuels, les pistes de solutions déjà entamées par divers entrepreneurs, les chemins qu’il reste à débroussailler et les défis qu’ils présentent. »  Le passage de Simon au Lab.IJ aura également été l’occasion pour lui « d’évaluer le degré de faisabilité d’une automatisation de la fiscalité », une idée qui lui « trottait dans l’esprit depuis longtemps ».

Me Déborah Montambault-Trudelle

Demain le Lab.IJ

Lorsqu’on leur demande où ils voient le Laboratoire d’innovation juridique dans dix ans, Patrick Mignault et Déborah Montambault-Trudelle souhaitent qu’il poursuive son mandat en offrant des ateliers de création et de réflexion sur le processus d’innovation. La coordonnatrice académique croit que « l’atteinte des objectifs du Lab.IJ peut aussi se réaliser par la participation des étudiantes et étudiants de la Faculté de droit à des activités comme le « Sommet J’ose transformer » ou autres activités à saveur entrepreneuriales offertes sur le Campus »…

Pour sa part, le professeur Mignault aimerait voir les personnes étudiantes « travailler sur de réels projets liés aux défis vécus par nos partenaires » et, éventuellement, que le Lab.IJ devienne un catalyseur pour « favoriser la recherche pluridisciplinaire ». 

À l’unisson, ils voudraient d’abord et surtout accompagner davantage de projets étudiants tant ils sont convaincus de la portée formatrice de tels projets.

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