Le fin mot

Écoresponsabilité

par Véronique Bisaillon et Carine Villemagne

La littérature s’intéressant à l’écoresponsabilité fait état de très peu de définitions. En éducation, le concept d’écoresponsabilité est très souvent associé à celui d’écocitoyenneté sans qu’une distinction spécifique soit toujours faite (Martinez et Poydenot, 2009). Les travaux du Centr’ERE de l’UQAM sur l’éducation relative à l’environnement et à l’écocitoyenneté, ceux de l’UNESCO sur l’éducation au développement durable ainsi que les travaux de David W. Orr (1992) sur l’ecoliteracy – pour ne nommer que ceux-là – sont autant de sources nous permettant de jeter un regard éclairé sur la notion d’écoresponsabilité1. Selon l’Office québécois de la langue française (OQLF), l’écoresponsabilité est définie comme :

« La qualité d’une personne physique ou morale, d’un comportement ou d’une activité qui tient compte de principes de respect à long terme de l’environnement physique, social et économique » (OQLF, 2011).

L’agir comme finalité

Au cœur de cette définition, l’écoresponsabilité a comme finalité une action, un agir. Autant la personne, jeune ou adulte, qu’une organisation ou une collectivité, dans la sphère privée autant que publique, personnelle ou individuelle peut ainsi être mobilisée en matière d’écoresponsabilité. Sur le continuum de l’agir écoresponsable, l’adoption de comportements dictés par la société (comme c’est le cas les campagnes publiques visant l’adoption d’écogestes) en constitue un extrême. Pour d’autres, l’écoresponsabilité mobilise une pensée critique à l’origine de l’adoption de conduites ou de pratiques réfléchies; elle peut même questionner les fondements d’une pratique en regards de ses impacts environnementaux et économiques, mais aussi sociaux et ce, en vue d’une transformation de la société et d’une durabilité sur le long terme.

Un agir « balisé » par des principes, des normes, des valeurs

La dernière partie de la définition vient orienter l’action par des principes, référentiels, cadres normatifs, voire des valeurs même. L’idée de tenir compte de « principes de respect à long terme de l’environnement physique, social et économique » suppose d’agir de façon responsable à l’égard des générations futures et d’adopter une vision systémique considérant les dimensions écologiques, économiques, sociales, auxquelles certains ajoutent également la composante culturelle de façon spécifique. Implicitement, il s’agit d’anticiper ou prévenir les conséquences insoupçonnées d’actions, de décisions ou de comportements. Pour certains, la solidarité, l’empathie, l’interdépendance, la collaboration, la démocratie et la participation, la pensée critique sont également au cœur de l’écoresponsabilité et l’écocitoyenneté.

Les 16 principes contenus dans la loi québécoise sur le développement durable, de même que les Objectifs de développement durable de l’ONU, sont des exemples de tels cadres normatifs permettant de baliser l’action. Dans plusieurs domaines, des référentiels spécifiques existent dans le domaine de la consommation (réduction des déchets, achat local et équitable), de l’organisation d’événements, de la construction, de l’investissement, du tourisme, de la gestion des ressources naturelles, etc.). Certaines démarches se centrent essentiellement sur des valeurs. C’est le cas du réseau des Établissements verts Brundtland visant le secteur de l’éducation qui oriente ainsi son action autour de la solidarité, la démocratie, l’écologie et la paix. En questionnant le rapport à soi, à l’autre et à l’environnement, la proposition de bonheur durable (sustainable hapiness) de la professeure Catherine O’Brien de Cape Breton University repose également sur des valeurs similaires.

Agir de façon écoresponsable ou écocitoyenne nécessiterait, selon Jutras et Bertrand (1998), d’avoir développé un ensemble de valeurs, une éthique qui reconnait l’interdépendance avec autrui et plus largement son environnement. Sauvé et Villemagne (2005) estiment que « l’écocitoyenneté est de l’ordre des valeurs fondamentales : ces dernières correspondent à des choix éthiques issus d’une réflexion critique sur les réalités sociales et environnementales ; elles stimulent des conduites délibérées et responsables ». Cette écocitoyenneté est aussi pour Naoufal (2016) reprenant les propos de Martinez et Chamboredon (2011), un « processus de construction identitaire de socialisation, d’intériorisation de valeurs d’attitudes et de conduites fondé sur le débat, l’action et la revendication ».

Écoresponsabilité : ses implications pour l’enseignement et l’apprentissage

En contexte d’enseignement et d’apprentissage, l’écoresponsabilité pose la question de la pédagogie, de l’objet d’apprentissage et du résultat souhaité.

La ou les pédagogies : Comme le souligne l’UNESCO, il y a lieu de « concevoir un enseignement et un apprentissage interactifs et axés sur l’apprenant qui ouvrent la voie à un apprentissage exploratoire, orienté vers l’action et transformateur. » L’écoresponsabilité peut interpeler différentes formes de pédagogies actives selon que l’on considère l’environnement (physique, économique, social) comme (Sauvé, 1997)

  1. un objet d’apprentissage (on apprend au sujet de l’environnement),
  2. un milieu d’apprentissage (la pédagogie de la découverte ou l’apprentissage par projet peuvent être des formules pédagogiques utilisées) ,
  3. un potentiel de formation en soi à son simple contact (on apprend en étant immergé dans l’environnement; on peut alors penser à la pédagogie expérientielle) ou
  4. une finalité pédagogique en vue de la résolution de problèmes environnementaux.

Les contenus de l’apprentissage : Les contenus d’apprentissage en vue de développer l’écoresponsabilité dépendent des disciplines dans lesquelles ils s’intègrent, mais aussi des contextes d’apprentissage, formel, non formel, voire informel. Si cela peut parfois représenter des défis, on observe que de nouvelles questions émergent dans un vaste ensemble de disciplines en lien avec l’écoresponsabilité (voir la rubrique Profession citoyen). Faut-il alors prévoir des contenus d’apprentissage obligatoires à l’échelle d’une institution ou chaque discipline peut-elle définir ses propres balises, sachant que certaines disciplines sont plus normées que d’autres ?

Les changements attendus : Certains diront que le changement attendu chez les étudiants est le développement d’une compétence écoresponsable. En ce sens, dans une situation donnée, une personne écoresponsable sera capable de mobiliser des savoirs, des savoir-faire, des savoir-être (valeurs) qui lui permettront d’exercer un pouvoir agir écoresponsable, donc porteur de changement et de transformation. L’analyse critique, la réflexion systémique, la prise de décision collaborative et le sens des responsabilités pour les générations présentes et à venir sont au cœur des apprentissages visés (voir UNESCO et Sauvé et Villemagne, 2005).

[1] Nous privilégions le recours à la notion d’écoresponsabilité et ses dérivés (comme dans l’idée de former des diplômés écoresponsables) qui apparait plus inclusive, intégrant autant les aspects liés à l’exercice d’une écocitoyenneté que d’une profession. L’objectif de cet article est de proposer des éléments de réflexion en vue d’une définition opérationnelle de l’écoresponsabilité dans la perspective de la formation universitaire, et ce, dans l’ensemble des disciplines.

Sources

Jutras, F. et Y. Bertrand. L’écoresponsabilité, une valeur à développer à l’école. Spirale. Revue de recherches en éducation, no.21. Les valeurs en éducation et en formation, no.1, 1998, pp. 145-150.

Finalités, valeurs et identités pour fonder une éducation écocitoyenne

Martinez, M.-L. et F. Poydenot. « Finalités, valeurs et identités pour fonder une éducation écocitoyenne », Éducation relative à l’environnement [En ligne], Volume 8, 2009, mis en ligne le 20 décembre 2009.

McBride, B.B., C. A. Brewer, A. R. Berkowitz, W. T. Borrie, “Environmental literacy, ecological literacy, ecoliteracy: What do we mean and how did we get here?”, Ecosphere, vol. 4, no. 5, mai 2013, pp. 1-20

Naoufal, N., Connexions entre la justice environnementale, l’écologisme populaire et l’écocitoyennetéVertigO La revue électronique en sciences de l’environnement, no. 16, vol. 1, 2016.

Office québécois de la langue française. « Vocabulaire du développement durable ». 2011. [Dans la foulée de l’adoption de la Loi québécoise sur le développement durable en 2006, l’Office québécois de la langue française, le ministère du Développement durable, de l’environnement et des Parcs ainsi que le Bureau de normalisation du Québec ont noué un partenariat de façon à clarifier la terminologie entourant le développement durable. ]

Orr, D. W. Ecological literacy: education and transition to a postmodern world. 1992. SUNY Press, Albany, New York, USA.

Sauvé, L.. Pour une éducation relative à l’environnement. 2ème édition. 1997. Montréal : Guérin.

Sauvé, L. et C. Villemagne. « L’éthique de l’environnement comme projet de vie et “ chantier ” social: un défi de formation ». Chemin de Traverse. Revue transdisciplinaire en éducation à l’environnement, no. 2, 2005. , pp.19-33

UNESCO. S.d. Qu’est-ce que l’éducation au développement durable? Consulté le 5 février 2019.

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