Le fin mot

Post-vérité (post-truth)

L’Oxford Dictionary décrétait en novembre dernier que post-truth (post-vérité) était le mot de l’année. D’après ce dictionnaire,

« Post-vérité » est un adjectif qui fait référence « à des circonstances dans lesquelles les faits objectifs ont moins d’influence pour modeler l’opinion publique que les appels à l’émotion et aux opinions personnelles »… […]

Selon l’Oxford Dictionary, « post-vérité » est devenu en 2016 « un pilier du commentaire politique », son usage ayant augmenté de 2000 % par rapport à l’année dernière, « dans le contexte du référendum sur le Brexit au Royaume-Uni et de l’élection présidentielle aux États-Unis ».

L’émergence de « post-vérité » dans le langage a été « alimentée par la montée en puissance des réseaux sociaux en tant que source d’information et la méfiance croissante vis-à-vis des faits présentés par l’establishment ». (AFP, 2016; notre emphase)

Trois phénomènes associés aux réseaux sociaux favoriseraient cette tendance « post-vérité » : la surabondance d’information, les fausses nouvelles et les bulles de filtres.

  1. La surabondance d’information
    Nous n’arrivons plus à traiter tout ce que nous lisons, à discerner les sources crédibles des sources tendancieuses.
  2. Les fausses nouvelles
    Les canulars se multiplient sur le web. Le site Buzzfeed présentait récemment des statistiques alarmantes :

« … [L]es fausses nouvelles entourant les élections américaines ont généré sur Facebook un taux d’engagement plus élevé que les vraies nouvelles des médias officiels comme le New York Times, le Washington Post, NBC News et d’autres. Durant la dernière étape avant le vote, les 20 canulars les plus influents ont généré 8 711 000 partages, réactions ou commentaires sur Facebook
[contre 7 367 000 partages, réactions ou commentaires pour les 20 articles les plus populaires provenant de médias officiels]. » (Mathys, 2016)

Et cet engagement se monnaye :

« Ces textes sont parfois écrits de l’étranger, pour le profit. Des manchettes-chocs, destinées à générer le plus de clics et de partages possible. Des manchettes qui rapportent beaucoup d’argent en revenus publicitaires, pour leur auteur, mais aussi pour Facebook et Google. » (Dumont-Baron, 2016)

  1. Les bulles de filtres (filter bubbles)
    Nous avons tendance à ne consulter que les nouvelles qui renforcent nos opinions, et les algorithmes invisibles des réseaux sociaux accentuent cette isolation idéologique.
  2. « … [S]ocial networks make it easy to insulate ourselves from people and information that don’t align with what we believe in. And even when we choose not to block out conflicting opinions and people from our feeds, algorithms can do it for us, turning our social feeds into a monotone hum of if-you-like-this-you’ll-like-that news and commentary. » (Reader, 2016)

Il semble justement qu’en début d’année 2016 un algorithme ait remplacé sur Facebook un précédent comité éditorial humain. Or, cet algorithme favorise les nouvelles les plus aimées et partagées – qu’elles soient vraies ou fausses – dans la liste de « sujets chauds » (trending topics) suggérés aux utilisateurs du réseau. Le président Obama s’en est inquiété. Mark Zuckerberg, patron de Facebook, promet de réviser ses pratiques…

Comment former nos étudiantes et étudiants à devenir des professionnels, des chercheurs, des décideurs et des acteurs de changement dans une telle conjecture informationnelle? Nous voulons en faire des citoyens critiques, bien sûr, mais aussi influents. Devront-ils apprendre à mieux enrober la vérité pour qu’elle devienne plus attrayante que le mensonge?

Dans un texte paru sur le blogue anglophone de l’Association canadienne pour l’éducation, l’enseignant ontarien Andrew Campbell y va de suggestions : il croit qu’il faut enseigner aux étudiants le rôle des filtres et l’importance des médias indépendants. Surtout, il enjoint les formateurs à exiger des étudiants qu’ils multiplient leurs sources d’information, sans quoi ils se rendent complices de cet avenir « post-vérité ».

« We need to show and require students to use a variety of different sources. Googling something or searching Wikipedia isn’t enough. We have easy access to more sources than ever, but students use a narrowing range of research in their learning. It’s time to broaden that. Students should be required to present both sides of an issue using multiple sources that they synthesize into a common viewpoint. » (Campbell, 2016)

Sources

« Post-truth », Libération, 16 novembre 2016.

Agence France-Presse, « “Post-vérité”, le mot de l’année selon le dictionnaire Oxford », Cyberpresse, 16 novembre 2016.

Campbell, Andrew, « Teaching and Learning in a “Post-truth” World », Association canadienne pour l’éducation, section blogue (en anglais seulement), 3 novembre 2016.

Dumont-Baron, Yanik, « La vérité sous Trump », Ici.radio-canada.ca, 18 novembre 2016, MAJ
20 novembre 2016.

Garneau, Stéphane, « Facebook dans la tourmente », Samedi et rien d’autre, Radio-Canada.ca, 19 novembre 2016.

Mathys, Catherine, « Les fausses nouvelles plus populaires que les vraies sur Facebook », Ici.Radio-Canada.ca, 18 novembre 2018.

Reader, Ruth, « How We Got to Post-Truth », Fast Company, 18 novembre 2016.

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