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Les articles scientifiques rétractés : quels effets sur les étudiants coauteurs?

Ces derniers mois, la publication scientifique a été mise à mal comme jamais auparavant :

  • Mass Retraction : 43 articles rétractés par BMC (BioMed Central) (Grant, Bob, The Scientist, 27 mars 2015)
  • Another Mass Retraction : 64 articles rétractés par Springer dans 10 de ses revues pour fraude dans le processus du peer-review (Vence, Tracy, The Scientist, 18 août 2015)
  • Two papers Pulled for Figure Fraud (Grens, Kerry, The Scientist, 18 août 2015)
  • Estimating the reproducibility of psychological science (multiples auteurs, Science, 28 août 2015, vol. 349, n o 6251)
  • Selon une étude scientifique, les études scientifiques ne sont pas fiables (multiples auteurs, Libération, 29 août 2015)

Beaucoup et de plus en plus d’articles sont le fruit d’une rédaction collaborative à laquelle les étudiantes et étudiants ainsi que les stagiaires postdoctoraux participent de près, s’il s’agit de leur projet de recherche, ou de loin, s’ils contribuent à la réalisation du projet.

Lorsqu’un article scientifique est rétracté, on parle de conséquences sur la carrière des chercheuses et chercheurs. Mais pour les coauteurs étudiants, existe-t-il des impacts sur les études?

La question ne semble pas avoir été étudiée sous cet angle. Philippe Mongeon et Vincent Larivière, de l’Université de Montréal, tentent une réponse pour les carrières en général, sans mentionner les études, dans le domaine biomédical.

« La comparaison entre les coauteurs d’articles rétractés et le groupe contrôle montre que la rétractation d’un article frauduleux affecte bel et bien la carrière des coauteurs, et ce, peu importe leur rang dans la liste des auteurs de l’article. […] diminution de la productivité et de l’impact scientifique pour 30 %, 24 % et 35 % des premiers auteurs, autres auteurs et derniers auteurs respectivement […]. De plus, plusieurs d’entre eux (36 %, 27 % et 18 %) n’ont aucune publication à la suite de la rétractation […].

Dans plusieurs domaines, l’ordre des auteurs veut que le premier soit l’étudiant ou le stagiaire postdoctoral responsable du projet de recherche qui fait l’objet de l’article. Souvent il y aura d’autres étudiants coauteurs dans un article scientifique. Comment se traduisent les effets d’une rétractation d’un article auquel ils ont contribué? Rappelons que si on peut parler d’une carrière pour les chercheurs et les stagiaires postdoctoraux, de quoi est-il question pour les étudiantes et étudiants inscrits à la maîtrise ou au doctorat? Ils sont, rappelons-le, en formation, sous la responsabilité d’un directeur de recherche ou d’une équipe de direction de recherche. Les effets d’une rétractation varieront selon qu’ils sont coupables ou victimes. Mais dans tous les cas, il y aura des conséquences.

« Probably the most severe consequence of fraudulent research is its effect on young students, postdoctoral fellows, and junior faculty who innocently coauthor a paper based on fraudulent data derived from a dishonest colleague. After the misconduct is discovered the flawed paper causes an unwarranted guilt by association and the paper is virtually always retracted. Junior researchers lose publications from a developing curriculum vitae and the persons effort in it preparation goes down the drain. » (Klintworth, 2014)

Les étudiantes et étudiants sont, rappelons-le, en formation, sous la responsabilité d’un directeur de recherche ou d’une équipe de direction de recherche

Au Canada, le Secrétariat sur la conduite responsable de la recherche (SCRR)* protège les collaborateurs non coupables en préservant leur anonymat, en soulignant leur innocence lorsqu’elle est prouvée et en leur permettant de continuer à faire des demandes de subventions. Dans la réalité, toutefois, selon Philippe Mongeon : « [l]es collaborateurs innocents sont laissés à eux-mêmes, et doivent gérer leurs relations avec la revue concernée, leurs collègues et l’administration de leur université. Il n’y a pas d’instance pour les accompagner dans ce dédale. » On est toujours dans l’angle du chercheur, sans mention explicite de la réalité étudiante.

Conséquences possibles de la rétractation d’un article scientifique pour les étudiants

Si l’étudiant est victime, il risque d’abandonner son projet de recherche et son rêve d’une carrière dans le monde académique et scientifique pour différentes raisons :

  • la fermeture du laboratoire du directeur de recherche;
  • le retrait de la subvention et donc du soutien financier accordé, le cas échéant;
  • le refus d’être accepté par un autre directeur de recherche en raison des soupçons de complaisance, de collaboration, de collusion… à l’endroit de l’étudiant;
  • la quasi-impossibilité de publier;
  • le désabusement envers l’univers scientifique;

Si l’étudiant est reconnu coupable de la fraude :

  • l’expulsion du programme, de l’équipe de recherche, de l’université;
  • le retrait de la bourse et l’interdiction, pour une certaine période, de postuler à d’autres concours;
  • l’interdiction de publier.

À notre connaissance, il n’existe encore aucune étude consacrée aux effets de la rétractation d’articles pour fraude sur les étudiants coauteurs.

* Secrétariat sur la conduite responsable de la recherche (SCRR) : organisme mandaté pour faire l’examen des allégations de violation des politiques des trois fonds canadiens de recherche en matière d’intégrité

Sources

Mongeon, Philippe, Larivière, Vincent, « La fraude éclabousse aussi les coauteurs », Découvrir, novembre 2013.

Lambert-Chan, Marie, « Des co-auteurs d’articles rétractés voient leur carrière compromise », Affaires universitaires, 7 août 2013.

Grant, Bob, « PhD student admits misconduct », The Scientist, 15 avril 2010.

Klintworth, Gordon K., « Giants, crooks and jerks in science », Xlibris, 2014, p. 499.

Couture, Marc, Fournier, René-Paul (directeurs), La recherche en sciences et en génie : guide pratique et méthodologique, PUL, 1997, p. 223-224.

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