Le SSF Veille

Pourquoi utiliser la vidéo en formation?

De prestigieuses universités filment leurs professeurs et donnent gratuitement accès à leurs leçons sur le Web. Des entreprises comme TED- Ed illustrent les propos de formateurs triés sur le volet au moyen d’animations créatives. Des enseignants «inversent» leurs classes par la vidéo. Quelle est la source de cet engouement pour l’image? Pourquoi un chargé de cours, une professeure devraient-ils faire de la place à la vidéo dans leur enseignement?

Au sens où on l’entend dans ce dossier, l’expression «vidéo» peut être associée tant au processus de captation d’activités dans un cadre pédagogique et à la production d’une vidéo nécessitant scénarisation, tournage et montage qu’à la transmission en direct ou la diffusion en différé d’une vidéo pour fins de formation.

Parce que les images vidéo sont devenues omniprésentes

La compagnie Cisco publie chaque année des statistiques concernant le trafic Internet. Bien sûr ces chiffres favorisent l’industrie de la réseautique, mais il reste que certains frappent l’imagination.

D’ici 2016, Cisco prévoit que…

  • le trafic vidéo constituera 54 % du trafic Internet mondial;
  • 20 000 heures de contenus vidéo traverseront les réseaux chaque seconde;
  • l’équivalent en gigaoctets de tous les films réalisés à ce jour passera par les réseaux IP toutes les trois minutes.

Dès 2008, Nielsen Online parle de la video generation puisque les enfants et les adolescents regardent davantage de vidéos en ligne (clips musicaux, bandes-annonces, etc.) que les adultes dans les maisonnées américaines. Une étude récente de Nielsen (septembre 2012) révèle que les 18-24 ans visionnent en moyenne 9 h 38 de vidéo sur Internet par mois, alors que ceux disposant d’appareils mobiles visionnent 7 h 35 de vidéo sur leurs téléphones intelligents. Et cela s’ajoute aux heures passées devant la télévision, qu’elle soit branchée sur Internet ou non.

L’étude NetTendances 2011, menée par le CEFRIO, confirme qu’au Québec ce sont désormais 82,6 % des 18 à 24 ans, 91,3 % des étudiants et 60,2 % des gens titulaires d’un diplôme universitaire qui consultent des vidéos en ligne.

Parce qu’un changement de culture est en cours chez les jeunes

Consulter des contenus vidéo numériques sur différents supports est donc naturel pour nos étudiantes et étudiants. Le journaliste Hervé Guillaud (2009), qui considère que l’on assiste à une «transformation culturelle forte», fait cette observation troublante :

«Les plus jeunes ont tendance à utiliser YouTube comme moteur de recherche, c’est-à-dire à regarder les contenus du web seulement sous l’angle vidéo, comme si les contenus textuels n’existaient pas ou plus. Pour eux, une grande partie de leur expérience du web s’arrête aux vidéos qu’ils y trouvent.»

Kevin Kelly, éditeur du magazine Wired, et Lawrence Lessig, professeur à la Harvard Law School, croient aussi que l’on assiste à un changement culturel. Selon eux, on passerait d’une littératie livresque (book literacy) à une aisance avec le langage vidéo (video fluency) (cités dans Kaufman et Mohan, 2009) :

«… Capture, editing, and archiving resources are now in the hands of millions, and the discussion has shifted from terms describing media literacy to “media fluency,” in that people are newly conversant and becoming fluent in the vocabulary, philosophy, and technology of television, movies, and music.» (Kaufman et Mohan, 2009)

Pour que les universités s’adaptent davantage à ce changement

Cette culture vidéo trouve encore un écho modeste dans le milieu universitaire :

«… The state of play today in higher education is such that the “screen literacy,” “visuality,” and fluency that students bring to the classroom and to their work from their worlds outside the university are barely being serviced inside of it.»
(Kaufman et Mohan, 2009)

Paru en 2009, le rapport Video Use and Higher Education de Kaufman et Mohan est encore l’un des portraits les plus évocateurs de l’utilisation de la vidéo dans les universités américaines.

On y apprend notamment que…

  • les usages pédagogiques de la vidéo sur les campus américains se multiplient rapidement dans toutes les disciplines, tant en arts et en sciences humaines qu’en sciences, ainsi que dans les filières professionnelles;
  • professeurs, bibliothécaires et gestionnaires s’attendent tous à ce que cette utilisation aille croissant [d’ici 2014];
  • en 2009, la majorité des usages vidéo se limitait à la consultation de documents en classe ou dans les bibliothèques.

Dans les 20 institutions visitées par Kaufman et Mohan, la demande des étudiants − mais aussi celle des formateurs − excède les ressources vidéo disponibles. Cependant, «video assets are far from integrated systematically into pedagogy». Les bibliothèques universitaires tiennent des collections vidéo intéressantes, mais la plupart de ces contenus sont sous forme analogique (VHS), ou du moins rarement accessibles en ligne (Kaufman et Mohan, 2009).

C’est peut-être pour cela que les sites de partage de vidéo externes deviennent si populaires auprès des universitaires : «Video-sharing technologies, originally created for entertainment and amateur purposes, are quickly gaining popularity in academic arenas. Video-sharing sites designed specifically for academic purposes have already been designed and implemented.» (Snelson, 2008)

Parce que la vidéo peut ajouter de la valeur à l’enseignement

Pour Jack Koumi, consultant britannique ayant œuvré à la BBC et à la Open University, l’intégration de la vidéo peut ajouter de la valeur à la formation sur les plans cognitif, expérientiel et affectif (ce qu’il appelle nurturing) (cité dans Snelson, 2008).

Valeur cognitive

À la base, la vidéo permet de développer chez les étudiantes et étudiants des connaissances et des compétences disciplinaires par la démonstration. Lorsqu’elle se limite à l’information utile à retenir, elle permet une standardisation des contenus et facilite la transmission des savoirs. Les étudiants peuvent arrêter la vidéo au moment désiré, la revoir autant de fois que nécessaire. La vidéo permet un regard externe sur des prestations vécues en classe (ou ailleurs) afin de les commenter ou de les évaluer.

«Son utilisation en tant qu’élément d’illustration, par exemple, permet de donner à l’apprentissage une dimension plus proche de la réalité dans la mesure où une situation complexe à décrire peut être rendue plus compréhensible par la présentation d’images fixes ou de séquences animées.»
(De Lièvre et al., 2000)

Valeur expérientielle

Parce qu’elle donne accès à des expériences rares, dangereuses ou difficiles à reproduire (opération médicale, explosion d’un véhicule, événement historique, interactions avec humains ou animaux, etc.), la vidéo permet de transcender les limites physiques et chronologiques, d’ouvrir la classe sur le monde extérieur. Des séquences filmées peuvent donner accès à une multitude de voix qui viennent enrichir la réflexion universitaire, tant celles de disparus ou d’exclus que celles d’éminents collègues :

«… Higher education may be evolving to a place where lectures are commodities given by the great lecturers on the web and where classes are local, small, interactive, and focused on helping students organize ideas into their thinking and their lives. We have all heard that the “guide at the side.” But the emerging norm in higher education may instead be a sage on the web and a guide at the side.» (Edmonds, 2008)

Le corollaire est que la vidéo permet au monde d’accéder à la classe par la formation à distance. Pouvant facilement être compressée, transférée, rendue disponible via différents supports physiques ou informatiques, elle offre une grande flexibilité en termes de diffusion.

Valeur affective (nurturing)

Parce qu’elle permet de varier méthodes et activités pédagogiques, la présentation de séquences filmées ou l’opportunité de réaliser une production vidéo a souvent un effet motivateur, stimulant chez les étudiants. Mais le potentiel affectif de la vidéo permet aussi de développer des savoirs-être. Ainsi, Snelson et Elison-Bowers (2009) donnent l’exemple du recours à ce médium pour sensibiliser les étudiantes et étudiants aux impacts de négligences médicales :

«While this information may be available in text form, video serving as a medium through which a dramatic story may be represented with compelling imagery, music, narration, and body language is a much more compelling example. If the goal is to evoke emotion and inspire learners to internalize values consistent with professional standards of patient.»

De manière plus générale, Karppinen (2005) encourage l’utilisation de la vidéo pour favoriser l’apprentissage significatif (meaningful learning). C’est-à-dire, dans une perspective constructiviste, un apprentissage :

  • actif;
  • constructif et individualisé;
  • collaboratif et conversationnel;
  • contextualisé;
  • guidé;
  • émotionnellement prenant et motivant.

Pour guider les étudiants dans leur lecture des vidéos

Que ce soit en formation initiale, continue, en présentiel ou à distance, la vidéo doit faire partie d’un ensemble structuré d’activités pédagogiques afin de contribuer véritablement à l’atteinte d’objectifs d’apprentissage :

«… [L]a réflexion relative à l’usage ou non d’un élément multimédia portera sur sa pertinence pédagogique avant d’envisager la manière de le mettre en œuvre d’un point de vue technique. À cet égard, pour que l’enseignant puisse juger de la pertinence d’un élément multimédia, il faut qu’il possède des capacités à analyser cet objet qu’il s’agisse d’une image, d’un film ou d’une bande sonore. La lecture de l’image permettra de déterminer son adéquation au projet pédagogique. Bien souvent une éducation aux médias devra s’effectuer en parallèle avec la formation à l’utilisation des médias dans un contexte pédagogique.»
(De Lièvre et al., 2000)

Les formateurs auraient donc intérêt à développer eux aussi une culture médiatique afin d’exercer de bons choix pédagogiques mais aussi d’être en mesure d’accompagner leurs étudiants dans l’appréhension critique des vidéos qui les entourent. Hobbs (2006) suggère d’amener l’utilisation de la vidéo au-delà de la simple transmission de contenus, vers des occasions de discuter des messages médiatiques par lesquels les jeunes construisent leurs visions du monde, souvent sans l’accompagnement de formateurs (York et Owston, 2012).

Afin d’ouvrir un tel dialogue critique et constructif autour des productions vidéo, Warnick et Burbules (2007) suggèrent de repenser l’utilisation pédagogique de tels documents en termes d’«espaces» plutôt qu’en termes de «médias» :

«When we look at information technologies as “media” (literally as conduits between two end points), we focus on the aspect of information transfer and do research studies comparing how effectively the information was conveyed. […] The space metaphor for educational technology seems to broaden our sense of educational purposes. Education is not only about effectively communicating information; indeed, this may only be a minor part. A space, as a realm of participation and dialogue rather than as a “container” for storing and transferring information, is a metaphor that more effectively highlights this point.» (Warnick et Barbules, 2007)

Sources

CEFRIO-Léger Marketing, « Divertissement en ligne : la Webtélé prend son envol!», enquête NetTendances 2011, vol. 2, n o 2, 18 p.

Cisco Visual Networking Index: Forecast and Methodology, 2011-2016, livre blanc Cisco, 30 mai 2012, 16 p. [document PDF].

De Lièvre, Bruno, Christian Depover, Albert Strebelle et Jean-Jacques Quintin, « Pour une justification pédagogique des aspects multimédias intégrés aux dispositifs de formation», Actes du Colloque du Conseil de l’éducation aux médias, Belgique, 2000, 9 p.

Edmonds, Victor, « Video Vision», Educause Review, septembre-octobre 2008, p. 76-77. [document PDF].

Guillaud, Hervé, «Quand YouTube remplacera Google», Futura-Techno, 1 er avril 2009.

Hobbs, Renee, «Non-optimal uses of video in the classroom», Learning, Media and Technology, vol. 31, n o 1, mars 2006, p. 35-50.

Karppinen, Païvi, «Meaningful learning with digital and online videos: Theoretical perspectives», AACE Journal, vol. 13, n o 3, 2005, p. 233-250. [document PDF].

Kaufman, Peter B, et Mohan, Jen,  Video use and higher education, Intelligent Television, New York, juin 2009, 14 p. [document PDF].

Snelson, Charleen, « Web-Based Video in Education: Possibilities and Pitfalls», TCC 2008

Proceedings, 13 th annual Technology, Colleges and Community Worldwide Online Conference, Hawai, vol. 2008, n o 1, p. 214-221 [document PDF].

Snelson, Charleen et Patt Elison-Bowers, «Using YouTube videos to engage the affective domain in e- learning», Research, Reflections and Innovations in Integrating ICT in Education, vol. 3, Badajoz, Espagne, 2009, p. 1481-1485.

Warnick, Bryan R. et Nicholas C. Burbules, «Media Comparison Studies: Problems and Possibilities», Teachers College Record, vol. 109, n o 11, novembre 2007, p. 2483-2510.

York, Dennis N. et Ron Owston,  Enabling learning with user-created web video in higher education, American Educational Research Association, 2012 Annual Meeting, Vancouver, 2012, 16 p. [document PDF].

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