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Transformer notre regard sur la tricherie et l’intégrité

Les actions universitaires pour enrayer la fraude académique sont enracinées dans des approches de prévention et de sensibilisation. Prévention des comportements inappropriés. Sensibilisation aux conséquences desdits comportements inappropriés. Dans tous les cas, les projecteurs sont braqués sur ce qu’il ne faut pas faire.

Délits académiques : toutes proportions gardées

Le vice-rectorat aux études a mis sur pied à l’automne 2017 un groupe de travail sur l’intégrité académique. Parmi les travaux qu’il a menés jusqu’à maintenant, le groupe a procédé à une collecte d’informations auprès des responsables des dossiers disciplinaires facultaires et du comité de discipline dans le but d’obtenir un portrait des délits académiques sanctionnés à l’Université et ce, pour les années 2015-2016, 2016-2017 et 2017-2018.

En trois ans, 260 délits ont été sanctionnés : 240 par les responsables des dossiers disciplinaires facultaires et 20 par le Comité de discipline. Il convient de rappeler ici que le nombre de délits n’équivaut pas à un nombre de personnes, car une même personne peut avoir commis plus d’un délit.

Sans grande surprise, le plagiat est de loin le délit académique le plus souvent sanctionné, comme on peut le constater dans le graphique suivant.

Graphique 1 – Délits académiques sanctionnés par le Comité de discipline et les responsables facultaires des dossiers disciplinaires 2015-2018 (%) : toutes facultés et tous cycles confondus

La ventilation des délits selon les cycles est très instructive, car elle permet de voir que les délits sont en lien avec les outils d’évaluation.  Par exemple, au 3e cycle, où l’évaluation se fait uniquement sur des travaux écrits, dont la thèse, seuls le plagiat et l’autoplagiat sont présents.

Graphique 2 – Délits sanctionnés 2015-2018 (%) : 3e cycle

Au 2e cycle, outre le plagiat qui arrive en tête, c’est le fait d’avoir fourni ou obtenu toute aide non autorisée, qu’elle soit collective ou individuelle, pour une production faisant l’objet d’une évaluation qui occupe la deuxième place en fréquence, avec 23%.

Graphique 3 – Délits sanctionnés 2015-2018 (%) : 2e cycle

Enfin, au 1er cycle, à part le plagiat, toujours au premier rang, on retrouve le recours à un appareil électronique ou numérique pendant un examen (20%), suivi de l’aide non autorisée (16%). 

Graphique 4 – Délits sanctionnés 2015-2018 (%) 1er cycle

En mettant en rapport les 260 délits académiques sanctionnés à l’Université de Sherbrooke en trois ans (2015-2016, 2016-2017 et 2017-2018) et le nombre d’étudiants inscrits* toutes facultés et tous cycles confondus pour les mêmes années, on obtient un ratio de 0,3%.

* Le nombre d’étudiants inscrits pour les trois années provient du Bureau de la registraire et a été traité de manière à ne tenir compte que des inscriptions facultaires, étant entendu que ce nombre demeure une donnée approximative et qu’il peut y avoir certains doublons puisqu’un étudiant inscrit dans deux programmes est compté deux fois, par exemple, ce qui pourrait conduire à une certaine surestimation du nombre d’étudiants.

Ce ratio rappelle celui d’une enquête menée par CBC/Radio-Canada dans des universités canadiennes pour l’année 2011-2012 et rapportée par Denis-Martin Chabot le 25 février 2014 à Ici Radio-Canada Nouvelles :

« Sur les 54 universités canadiennes invitées à fournir leurs statistiques sur les cas d’étudiants qui ont fait l’objet de mesures disciplinaires formelles relatives à la malhonnêteté universitaire en 2011-2012, 42 établissements ont accepté de le faire.

On y apprend que 7086 universitaires ont été pris à tricher pour cette année scolaire, sur un total de 921 313 étudiants, soit un taux de 0,78 (sic) %. »

Ces ratios n’ébranlent pas la conviction que le plagiat est un véritable fléau.  Le journaliste Chabot rapporte que « selon les experts, les tricheurs seraient beaucoup plus nombreux. »  C’est également l’affirmation que font quatre ans plus tard les professeurs Béland, Bureau et Larivée dans une lettre d’opinion publiée dans Le Devoir du 12 avril 2018 : « [s]elon certains chercheurs, près de 40 % des étudiants universitaires auraient déclaré avoir déjà plagié pour au moins un travail durant leurs études, une proportion gardée relativement stable au cours des dernières décennies. Et nous ne serions pas étonnés d’apprendre que ce pourcentage est en dessous de la réalité. »

Juste pour les fins de discussion, si on applique ce pourcentage de 40% aux 93 105 étudiants inscrits à l’Université pour les 3 années du portrait, on obtient plus de 37 000 étudiants qui auraient plagié pendant leurs études.  Vraiment?  

 D’où vient cette impression d’ampleur du plagiat?
  • Elle pourrait en partie venir d’études auprès d’étudiants pour connaître leurs comportements déviants, comme celle dans 11 institutions universitaires canadiennes de janvier 2002 à mars 2003 qui a révélé que « 53 % [des étudiants] ont admis avoir triché lors d’un devoir ou d’un travail universitaire à remettre, et 18 % ont dit avoir triché lors d’examens. »  C’est qui a fait dire à l’une des coauteurs de l’étude, la professeure Julia M. Christensen Hughes, qu’il « y a une énorme différence entre ce que les étudiants nous disent qu’ils font et le nombre d’étudiants qui se font prendre et se font punir. »   
  • L’impression d’ampleur pourrait également être attribuable au fait de savoir pertinemment qu’il n’est plus possible de suivre toutes les recherches qui se font et qui sont publiées dans un domaine donné, ce qui peut donner le vertige à certains enseignants et alimenter ce désagréable sentiment de ne pas pouvoir contrôler l’activité de recherche documentaire des étudiants.  
  • On peut postuler que certains enseignants choisissent de ne pas s’engager dans un processus disciplinaire qui leur paraît laborieux et dont l’issue attendue (la sanction) n’est pas toujours au rendez-vous. 
  • Enfin, force est de reconnaître qu’il existe un certain flou dans la compréhension de ce qui constitue, ou pas, du plagiat et ce, auprès de tous les acteurs du monde universitaire : étudiants, enseignants, administrateurs.

Soyons précis quand on parle de plagiat

Voici la définition du plagiat que l’on trouve sur le site Antiplagiat du SSF :

le « plagiat académique se produit lorsque quelqu’un utilise les mots, les idées ou le travail de quelqu’un d’autre ou réutilise ses propres mots, idées ou son travail, alors que ces mots, ces idées ou ce travail peuvent être attribués à une personne ou une source identifiable ou que ces mots, ces idées ou ce travail ont déjà servi, sans reconnaître la source de ces mots, ces idées ou ce travail, dans une situation où existe une attente légitime quant à la paternité (authorship) ou à l’originalité (aspect inédit) des mots, des idées ou du travail, en vue d’obtenir un avantage, du mérite, un gain, des crédits, un diplôme… » 

Simplement formulée, la définition du plagiat consiste à faire passer pour sien du matériel emprunté d’autrui.

Revenons à la lettre des professeurs Béland, Bureau et Larivée du 12 avril 2018.   On y lit que « près de 40% des étudiants auraient plagié ».  L’utilisation du conditionnel est ici intéressante, car ce temps de verbe laisse place à un doute.  Est-il possible que cette incertitude soit liée aux imprécisions du langage (ellipses, notamment) pour décrire des situations de plagiat, ce qui entraîne des interprétations erronées de ce qui constitue du plagiat et ce, autant chez les étudiants que chez les enseignants.  Par exemple, on utilise l’expression copié/collé en lieu et place du plagiat.  Pourtant, seul le copié/collé sans avoir attribué la source du matériel copié-collé constitue du plagiat. 

Voici un autre exemple d’imprécision, tiré cette fois d’un article de Marco Fortier du 8 janvier 2019 (Clémence pour les tricheurs) : « Le cas classique de plagiat, c’est qu’un étudiant copie des extraits de textes trouvés sur le Web sans mettre les citations entre guillemets. »   Ce n’est pas l’absence de guillemets qui constitue du plagiat, c’est la non-attribution de la source de la citation.  Variation sur le même thème : des étudiants ont été accusés de plagiat et punis pour avoir omis les guillemets (ou chevrons) après avoir donné le nom de l’auteur qu’ils allaient citer, comme dans le cas suivant :

Selon Fortier (2018), les étudiants qui font du plagiat s’en tirent à bon compte.

Ici, la source ayant attribuée, on ne peut pas conclure à du plagiat.  Par contre, comme il s’agit d’une citation directe, des guillemets (ou chevrons) auraient dû être utilisés.  C’est une erreur de référencement documentaire, qui ne mérite pas de se retrouver devant un comité de discipline mais qui exige que l’on forme à l’art de bien citer selon le style de sa discipline, un art qu’on apprend dans les cours de méthodologie.  La clémence et la tolérance sont tout à fait indiquées dans ce cas-ci, quoiqu’en pensent certains journalistes qui se plaisent à laisser entendre que les universités font preuve de « laxisme » dans les cas de tricherie :

  • « Clémence pour les tricheurs » de Marco Fortier, dans Le Devoir du 8 janvier 2019
  • « L’Université Laval encore plus tolérante envers les tricheurs » de Daphnée Dion-Viens dans Le Journal de Québec le 26 septembre
Clémence?  Tolérance?  Mission éducative!

Les professeurs Béland, Bureau et Larivée préconisent de faire face au problème du plagiat de deux façons :

  1. en s’y attaquant comme à une injustice : « en la nommant comme telle et en empêchant qu’elle soit une norme. En s’assurant que les étudiants sont sensibilisés à la portée de leurs actions de plagiat, il sera plus difficile pour eux d’agir de la sorte en ignorant les conséquences. »
  2. en s’y attaquant comme à un problème structurel : » [l]à où c’est possible, il s’agira de modifier les pratiques superficielles d’évaluation des apprentissages qui permettent aux étudiants de prendre des raccourcis dans leurs engagements scolaires ».

La première position fait partie d’une approche qui met l’emphase sur les comportements négatifs.  Depuis le temps qu’on applique des solutions enracinées dans une approche de prévention et de sensibilisation, si elles avaient fonctionné, le problème aurait disparu.  Or, le problème est toujours là!  Une approche qui valorise l’attribution de tous les emprunts a plus de chance de porter fruit, car elle « s’attaque » à la source du problème.  De plus, comme le rappelle Michelle Bergadaà, professeure à l’Université de Genève et résidente de l’Institut international de recherche et d’action sur la fraude et le plagiat académiques (IRAFPA) :

« [d]epuis l’aube de l’humanité, la connaissance avance parce que nous sommes capables de montrer les sources où nous avons puisé notre inspiration.  Et c’est parce que nous montrons ces sources que d’autres sont capables de renouveler la connaissance et de la faire progresser. »

La seconde position laisse percevoir que le véritable pouvoir de rendre la tricherie non attrayante est dans les mains des enseignants qui sont conviés à adapter leurs modalités d’évaluation, notamment en tenant compte du contexte dans lequel se font les études aujourd’hui et des changements que le numérique a apportés à la manière de réaliser les travaux universitaires.  Peut-on envisager que certaines dérives pouvant conduire à du plagiat et à d’autres délits académiques soient attribuables à des lacunes en littératie numérique?  Le Groupe de recherche sur l’intégrité académique (GRIA), sous la responsabilité de la professeure Martine Peters de l’UQO et auquel l’Université de Sherbrooke participe comme collaboratrice, préconise une approche éducative qui vise à former aux stratégies de créacollage numérique. 

Jude Carroll, sommité britannique dans la lutte antiplagiat, a dit un jour dans un colloque international : Plagiarism is a complex issue and the solutions are complex and pedagogical Et elle n’avait pas encore en tête le numérique!

Promotion des comportements intègres

Dernièrement, les universités Laval et de Montréal ont lancé une campagne liée à l’intégrité.  Dans les deux cas, la campagne fait référence aux comportements à éviter. 

  • À l’Université Laval, on a choisi la sensibilisation des étudiants aux comportements fautifs : la campagne portera sur les différentes infractions et sur le processus disciplinaire, notamment en « vulgarisant » le contenu du Règlement disciplinaire.  Le titre de la campagne est « Non! L’Université Laval ne tolère pas la tricherie! »
  • À l’Université de Montréal, c’est l’angle de la prévention qui a été retenu et le message passe par la référence à des délits, message formulé en « conseils » à l’intention des étudiants : N’obtenez pas un baccalauréat ès plagiat et Dites non à un doctorat ès fraude.  Pourtant, selon les propos de la vice-rectrice adjointe aux études de premier cycle et à la formation continue, Mme. Sylvie Normandeau, le message se veut positif. « Autour du thème “Je suis intègre”, la campagne propose des actions pour prévenir le plagiat et la fraude, mais nous voulons aussi livrer un message positif concernant l’honnêteté et l’intégrité qui doivent accompagner le travail universitaire ». (notre emphase)

Si notre Université orchestre une campagne véritablement centrée sur la promotion de l’intégrité qui fait appel aux comportements intègres des étudiants, bien sûr, mais également des enseignants, elle aura réussi un doublé : briser le réflexe d’associer intégrité et comportements négatifs et sensibiliser toute la communauté universitaire au fait que l’intégrité est une responsabilité partagée. Elle se sera distinguée des autres universités et elle l’aura fait en affichant haut et fort ses valeurs d’innovation et de valorisation des personnes.

Sources

Chabot, Denis-Martin, Des milliers de tricheurs dans les universitésIci Radio-Canada Nouvelles, 25 février 2014 (mise à jour le 26 février 2014)

Béland, Sébastien, Bureau, Julie et Larivée, Serge.  L’ampleur du plagiat dans les universités.  Le Devoir.  12 avril 2018

Christensen Hughes, J.M. et  McCabe, D.  Academic Misconduct within Higher Education in Canada.  Canadian Journal of Higher Education.  Vol. 36, no 2, 2006.

Fortier, Marco.  Clémence pour les tricheurs.  Le Devoir, 8 décembre 2018

Dion-Viens, Daphnée.  L’Université Laval encore plus tolérante envers les tricheurs.  Journal de Québec (paru sur TVA Nouvelles en ligne).  26 septembre 2018

Entrevue avec Michèle Bergadaà.  Corti : Professeurs et étudiants formés pour détecter le plagiat scientifique.  Télé Paese.  Publié le 26 novembre 2018.  (Vidéo de 4 min. 43)

Fleury, Élisabeth.  Plagiat et tricherie : l’Université Laval lance une campagne de sensibilisation.  Le Soleil.  9 octobre 2018.

Sauvé, M.-R.  Je suis intègre, donc je ne plagie pas.  udemnouvelles.  5 février 2019

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