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La simulation comme espace d’apprentissage et d’engagement

Le 15 avril 2024 s’est joué le point culminant d’un projet soutenu par le Fonds d’innovation pédagogique (FIP) porté par les professeures Isabelle Ledoux, de l’École des sciences infirmières, et Ghislaine Houde, du Programme de doctorat en médecine; projet intitulé Simulation interprofessionnelle à grand déploiement d’un désastre externe lié à des urgences climatiques.

Dans un article de 2015, Nathalie Lefebvre expliquait que l’apprentissage offert en simulation « est d’ordre expérientiel et réflexif ». Elle précisait qu’en tant que méthode pédagogique, la simulation :

  • « permet notamment de se centrer sur l’apprentissage des personnes étudiantes;
  • « a un haut potentiel d’authenticité et de réalisme »;
  • « ne comporte pas de risque pour les patientes et les patients »;
  • « présente de faibles risques pour les personnes participantes;
  • « favorise également la collaboration professionnelle »;
  • « permet l’exposition des personnes apprenantes à des événements standardisés, rares ou pouvant comporter un haut niveau de risque ».
Isabelle Ledoux, professeure agrégée à l’École des sciences infirmières et organisatrice de la simulation liée à une urgence climatique.
Photo : Mathieu Lanthier – UdeS

Pour Wang et Ji (2021) l’engagement étudiant serait différent dans un environnement d’apprentissage basé sur une simulation.  Les auteurs suggèrent que cet engagement serait de trois types : performatif (rôle professionnel), interactif et réflexif.

In this space, peers, facilitators and students constantly construct knowledge through interactions and cooperation. Teamwork is crucial for success: varied backgrounds and interests enable students to solve the problems from different perspectives.

Le présent article cherche à voir en quoi une simulation constitue un espace d’apprentissage particulier et à en faire ressortir certaines dimensions qui favorisent l’engagement des personnes étudiantes.

Une simulation à grand déploiement

La simulation du 15 avril 2023 constituait une première à la Faculté de médecine et des sciences de la santé alors que la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes entraîne déjà et entraînera encore davantage de conséquences sur la santé des populations. Il devient donc essentiel que la formation des futurs infirmières et infirmiers, ainsi que des futurs médecins, leur donne l’occasion d’appréhender cette nouvelle réalité.  Il s’agit d’ailleurs d’une priorité des ordres professionnels.  Les conceptrices du projet expliquent la pertinence de cette activité qui « contrib[ue] à développer des savoirs et des agirs écoresponsables chez les personnes étudiantes en les conscientisant aux conséquences des changements climatiques ainsi qu’aux interventions possibles dans un contexte d’urgence climatique » (Ledoux et Houle, 2022).

 

Le Centre PRACCISS

Outre le soutien des équipes du Laboratoire de simulation clinique (LSC) et du Programme de simulation humaine en partenariat avec la communauté (PSHPC), une telle simulation aurait été difficile à réaliser sans les locaux et surtout l’expertise du personnel du Centre PRACCISS (promotion, recherche et apprentissage des compétences cliniques et interprofessionnelles en sciences de la santé).

Ouverture : 2014-2015
Utilisation des locaux : 50 % FMSS et 50 % CHUS
Voir le site du PRACCISS

La simulation consistait à prendre en charge des patientes et des patients sinistrés lors d’importants feux de forêt. Ces derniers se présentaient à un site d’urgence aménagé dans une école primaire, où une salle de simulation clinique avait été convertie en classe. L’équipement disponible dans l’espace d’apprentissage ainsi créé y était limité : six lits de camp fournis par l’armée, des chaises pour constituer une salle d’attente, quelques fauteuils roulants, deux machines à pression, des médicaments et pansements de base.

Une comédienne simulant une brûlure à la jambe.
Photo : Mathieu Lanthier – UdeS

Difficultés respiratoires et coups de chaleur étaient évidemment des symptômes fréquemment rencontrés mais, parmi la quinzaine de patientes et patients standardisés, on comptait également une dame en errance, une acéricultrice ayant tout perdu et songeant au suicide, un pompier volontaire blessé, ainsi qu’une travailleuse temporaire ne parlant qu’espagnol. C’est dire à quel point les déterminants psychosociaux de la santé prennent une place de plus en plus grande dans la formation de ces professionnels.

Trois vagues de 6 à 8 personnes étudiantes (2 à 3 issues des sciences infirmières et 5 à 6 du programme de médecine) se sont succédées par blocs d’une heure et quart (20 min de concertation/ 25 min de simulation/ 25 min de débreffage). Nous avons pu assister à deux vagues sur trois.

La simulation interprofessionnelle, une occasion d’engagement interactif

La dimension interprofessionnelle de cette simulation s’avère fondamentale, puisqu’elle « se veut être une activité de formation à l’interdisciplinarité au sein des programmes en sciences de la santé offerts à la FMSS », précisent Ledoux et Houde (2022). Non seulement les personnes étudiantes auront-elles travaillé ensemble pendant la simulation, mais elles auront effectué ensemble un débreffage de leurs perceptions de la façon dont les choses se sont déroulées (voir plus loin). Ce temps privilégié de rencontre entre personnes étudiantes de disciplines différentes contribue aussi à créer un espace d’apprentissage distinct.

Une scène avec des comédiennes et comédiens qui simulent leur arrivée au centre d’urgence après un épisode de feu de forêt.
Photo : Mathieu Lanthier – UdeS

« Ce type de simulation est reconnu pour améliorer : a) le sentiment de confiance en soi; b) l’exécution d’intervention de meilleure qualité; c) l’application de standards de pratique reconnus; d) la rapidité d’intervention; et e) la gestion du stress pour les intervenants » (Baillie et Curzio, 2009; Smith et al., 2013, cités dans Ledoux et Houde, 2022). Toutefois, avant ce projet, « aucune activité pédagogique proposée ne permet[tait] le transfert des apprentissages de l’ensemble de ces compétences en contexte clinique ou expérientiel » (Ledoux et Houde, 2022). Il faut aussi préciser que les personnes étudiantes étaient évaluées à l’égard de leur leadership, collaboration, communication, gestion des émotions et travail d’équipe de manière formative puisque ces simulations n’étaient pas encore obligatoires (elles devraient le devenir).

Première et seconde vagues… d’engagement performatif

Dans les minutes qui précèdent le début des opérations, les personnes étudiantes se concertent. Des étudiantes et étudiants en soins infirmiers ayant déjà fait des stages dans différents milieux précisent leurs connaissances antérieures qui pourraient être utiles. D’un commun accord, on a convenu qu’un étudiant en médecine supervisera les opérations.

La simulation débute. Tous les patientes et les patients standardisés arrivent dans les cinq premières minutes créant un effet de raz-de-marée qui rend le triage difficile. Les personnes étudiantes prennent les choses très au sérieux. Les patientes et les patients sont répartis des deux côtés de la salle, ce qui rendra le monitoring inégal.

Si les patients ne souffrent pas réellement, les personnes étudiantes, elles, sont plongées dans une résolution de problèmes et des émotions bien réelles. C’est ce que Holland et al. (2021) nomment l’apprentissage « affectif ». Dans le feu de l’action, il devient difficile de séparer le vrai du faux. C’est d’ailleurs pour cela qu’il existe un mot codé lorsqu’une situation survient qui est « hors scénario » (ex : un étudiant qui fait de l’anxiété, une patiente-actrice qui se fait réellement mal, etc.).

Des membres du personnel enseignant de chaque programme sont présents débout au milieu de la salle et prennent de nombreuses notes en vue du débreffage.  Après 13 minutes de simulation, on passe à la phase de rétablissement. C’est-à-dire qu’on demande aux personnes étudiantes de commencer à déterminer qui peut obtenir un congé, qui doit être référé à d’autres ressources, etc.

En seconde vague, les personnes étudiantes du nouveau groupe prennent le temps de réorganiser la disposition des chaises afin de ne constituer qu’une seule salle d’attente, ce qui facilitera le triage.  On peut d’ailleurs constater davantage de prises en charge de patientes et de patients que dans le premier groupe.

Malgré tout, les futurs professionnelles et professionnels deviennent débordés après un moment. Ils sont parfois obligés de retourner s’occuper de patientes et de patients déjà traités, parce qu’un cas s’aggrave ou qu’une personne avait initialement minimisé la gravité de ses symptômes.

Les personnes étudiantes restent calmes, mais cherchent l’équilibre entre travailler chacune de leur côté auprès de « leurs » patientes et patients et travailler en équipe pour le bien de l’ensemble des sinistrés. Dans le chaos ambiant, la communication entre collègues est compliquée.  Néanmoins, certains personnes soignées ou rassurées sont prêtes à quitter lors de la phase de rétablissement.

Débreffage et engagement réflexif

Le modèle PEARLS (pour Promoting Excellence and Reflective Learning in Simulation) permet une séance de débreffage structurée, scénarisée et fondée sur des données probantes. Il permet aux personnes étudiantes d’évaluer leur propre rendement, puis d’approfondir certains aspects clés de ce rendement avec le groupe. La séance se conclut par une rétroaction dirigée par les personnes enseignantes afin de combler les lacunes des personnes apprenantes.

La concentration est de mise pour soigner les personnes blessées.
Photo : Michel Caron – UdeS

Lorsque les personnes animatrices leur demandent leurs premières impressions, les futures personnes professionnelles avouent s’être senties submergées. Certaines mentionnent avoir eu l’impression d’être démunies, en perte de repères, d’avoir constaté que « ça tournait rapidement en bordel » (sic). Elles conviennent que leurs actions manquaient de priorité et qu’on aurait eu besoin d’une vue d’ensemble.  Outre la personne étudiante en médecine qui supervisait, on constate qu’il aurait été utile d’avoir aussi une infirmière ou un infirmier responsable (soutien, tolérance au stress). Un réflexe apparaît rapidement : il y a « mes patients » et « les autres ». Dans une telle situation d’urgence, on a l’impression de « piler sur le travail de l’autre ». Pourtant, on aurait besoin de parler de ses patients à d’autres professionnels, mais le temps manque… Évoquant cette impuissance, un étudiant s’exclame : « Où s’arrête notre rôle ? ».

Même constat dans le second groupe, où l’on admet qu’une relative organisation de départ n’a pas permis de tout gérer : « C’est chaotique, étourdissant… », constate quelqu’un. « On s’y attendait, mais c’est vite devenu envahissant », estime un étudiant en médecine. « La pression nous a déstabilisé, a désorganisé notre fonctionnement », analyse une autre. Un étudiant de sciences infirmières avoue s’être senti « démuni une fois l’évaluation effectuée » parce que c’était « décousu ; rien ne faisait de sens ». On admire le réalisme de la simulation alors qu’on a rencontré brûlures, détresses dues à la qualité de l’air, problèmes psychologiques, etc. Les personnes étudiantes se sont trouvées constamment interpellées par les patients.

Leçons apprises

L’ayant vécu de première main, les personnes étudiantes ont bien compris l’importance du triage. Elles ont pu également constater à quel point les problèmes qu’elles ont rencontrés n’étaient pas seulement physiques, mais sociaux et mentaux. Elles réalisent la pertinence de connaître les ressources externes à la santé, notamment pour pouvoir passer en phase de rétablissement.

On estime avoir manqué de préparation avant la simulation, notamment de préparation en groupe de ce que ferait chaque personne. On souligne l’importance du travail d’équipe, la nécessité de se diviser les tâches (ex : définir des duos). Les personnes enseignantes approuvent. En contexte réel, bien clarifier et définir les rôles dès le début sauve du temps par la suite.

Le second groupe réfléchit à la stratégie qu’on aurait dû mettre en place pour avoir une vision d’ensemble de la situation. Ainsi, on convient qu’il aurait été utile d’avoir des indicateurs visuels pour savoir qui a été rencontré ou non. Une meilleure communication aurait évité de passer deux fois auprès du même patient. Les personnes enseignantes confirment qu’il est utile de se doter de tels codes.

On considère que le rôle d’une personne leader ayant un pas de recul permet d’éviter une vision en tunnel et de bien déléguer les tâches afin de coordonner les soins et de réallouer les ressources. Se faire des caucus à deux permet d’éviter que les discussions deviennent confuses.

Au niveau interprofessionnel, on estime qu’il est important de déléguer selon les champs d’expertise. Bien connaître son propre champ de pratique permet d’en cerner les limites et favorise les « entrecroisements professionnels ». Il faut, pour cela, être au fait des ressources présentes dans le groupe et de celles de la communauté.

En somme, on revient sur l’importance de savoir s’adapter, de déléguer lorsqu’on est trop occupé ou que l’on se sent débordé. On convient que l’on ne dispose que d’un pouvoir limité et que c’est la force de l’équipe qui permet de surmonter de telles catastrophes.

Ces divers points soulevés par les personnes étudiantes démontrent bien qu’une prise de recul est nécessaire pour bien identifier les apprentissages qui seront transférables à d’autres situations. Comme le soulignent Holland et al. (2021),

[a] debriefing is considered an essential part of any simulation as it allows students the chance to « explore possible connections between experiences they had while playing the game and experiences in real-life situations » (Peters and Vissers, 2004, 73) or, as Crookall (2010, 907) succinctly observed, « the learning comes from the debriefing, not from the game ». (p. 265)

Références

Cheng, A., Grant, V., Robinson, T., Catena, H., Lachapelle, K., Kim, J., Adler, M., & Eppich, W. (2016, October). The promoting excellence and reflective learning in simulation (PEARLS) approach to health care debriefing: A faculty development guide. Clinical Simulation in Nursing, 12(10), 419-428.

Holland, M., Sliwinski, K. et Thomas, N. (2021). Is Affective Effective? Measuring Affective Learning in Simulations, International Studies Perspectives, 22, 261-282.

Ledoux, I. et Houde, G. (2022). Simulation interprofessionnelle à grand déploiement d’un désastre externe lié à des urgences climatiques [formulaire de présentation de projet]. Fonds d’innovation pédagogique, Université de Sherbrooke.

Wang, Y. et Ji, Y. (2021). How Do They Learn: Types and Characteristics of Medical and Healthcare Student Engagement in a Simulation-Based Learning Environment, BMC Medical Education, 21, 420.

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