Dès le début de l’entrevue le doyen Patrik Doucet nous l’affirme, « le bâtiment n’est pas la finalité. La finalité, ce sont des jeunes mieux formés. » Le professeur François Charron, responsable de l’implantation du Studio de création, acquiesce avec vigueur. Il est clair que, pour eux, le slogan « Du rêve à la réalisation » qui apparaît sur le nouveau pavillon n’est pas fait de vains mots.
Pourquoi un Fab Lab sur le campus?
« Le Fab Lab [de Fabrication Laboratory] est un laboratoire doté de l’équipement nécessaire pour créer des objets physiques. […] C’est plutôt un atelier de prototypage où les étudiants peuvent passer de la conception à la réalisation de leurs projets… », écrivait mon collègue Éric Chamberland en décembre 2016. Une question semble donc aller de soi : Quelle sera la valeur ajoutée de former des étudiantes et étudiants avec le fab lab appelé « Studio de création »?
Pour Patrik Doucet, « il y a des apprentissages que l’on ne peut réaliser que si l’on fabrique. En génie, les étudiantes et étudiants apprennent à concevoir des produits au service de la société… Mais qu’est-ce qui se passe lorsque l’idée, qui fonctionne sur papier, ne se matérialise pas comme ils l’espéraient? Au-delà de la science, il y a une part d’art dans la conception… Et l’art ça s’apprend en faisant. »
Les étudiantes et les étudiants de la Faculté de génie n’ont pas attendu d’avoir ces nouveaux espaces pour mettre la main à la pâte, tant pour leurs projets majeurs de conception scolaires (depuis déjà 25 ans!), que pour les nombreuses activités parascolaires (MiniBaja, Canoë de béton, VAMUdeS, etc.). François Charron rappelle que les équipes étudiantes développaient déjà ces projets dans les locaux principaux de la Faculté de génie, mais dans une grande diversité d’espaces, souvent éloignés les uns des autres et pas toujours totalement adaptés aux travaux qui s’y déroulaient. Parfois, il fallait sortir un prototype l’hiver et faire le tour de la Faculté par l’extérieur pour accéder à un atelier par l’arrière. Ainsi, la préparation d’un moule pour couler des matériaux composites (fibre de verre, etc.) nécessite plusieurs aller-retour entre les étages, de la conception au sablage… Ces pertes de temps en déplacements et les enjeux de sécurité associés seront grandement réduits grâce au Studio de création.
Des espaces inspirants
Si la créativité est valorisée comme l’une des principales compétences du XXIe siècle, encore faut-il que les étudiantes et étudiants aient des occasions de la développer. Le Studio se veut un lieu inspirant par ses grandes pièces avec de hauts plafonds, sa proximité de la nature (la forêt du Mont-Bellevue est juste derrière), son abondante fenestration, qui donne notamment une exceptionnelle vue sur la région à partir de la salle d’idéation au troisième étage.
Pour le doyen Doucet, enseigner la créativité c’est « permettre la prise de risque… Les étudiantes et étudiants doivent avoir le droit de se tromper. Souvent, ils craignent de se lancer par peur de l’échec. Ils restent bloqués sur ‘Qu’est-ce que l’enseignant voudrait que je dise?’ Même quand on se trompe, il reste toujours du bon. C’est pour cela que certaines entreprises effectuent des ‘séances de compostage’ à partir de prototypes rejetés… Le fait d’encourager l’erreur avec un certain enthousiasme peut être très formateur. »
On ne sait pas encore si un tel lieu changera la manière d’encadrer et d’évaluer les projets étudiants – on a déjà l’habitude de le faire à la Faculté de génie – mais le Studio constitue certainement un laboratoire qui pourrait aussi influer sur ces pratiques enseignantes…
François Charron évoque le fait que la manière de concevoir des produits a changé. Auparavant, on développait longuement toutes les spécifications d’un artéfact sur papier à partir d’un cahier de charges très détaillé. Désormais, la tendance est au design par de multiples itérations où l’on essaie un prototype moins développé pour identifier rapidement ce qui fonctionne moins bien. On l’améliore ensuite pour produire un nouveau prototype… et on recommence! Patrik Doucet rappelle l’exemple de Joseph-Armand Bombardier qui passait régulièrement de sa table à dessin à son atelier, pour retourner modifier ses plans. « À la Faculté, on est fiers de permettre à nos étudiantes et étudiants de vivre des expériences créatives, de vivre un projet créatif. Pour faire ça, ça prend un creuset… », résume François Charron.
Trois zones
Le Studio de création sera ce creuset, puisqu’il réunit des espaces d’idéation, les espaces de fabrication comme tels, ainsi qu’un espace d’expositions et d’interactions (le hall d’entrée). La proximité de ces trois zones permet de bien voir le fil conducteur dans le développement d’un produit d’amont en aval. Ce fil conducteur était plus difficile à percevoir dans les différents espaces à l’intérieur du pavillon principal de la Faculté.
Salle d’idéation : C’est ici que les étudiantes et étudiants rêveront leurs projets. Deux facades de fenêtres, un lieu plus feutré avec des tapis comportant des motifs mauves et orangés (le choix audacieux des couleurs vise à sortir les étudiantes et étudiants de leur zone de confort). L’accès à des chaises… ou à des poufs. L’espace peut être séparé par des paravents acoustiques pour travailler en plus petites équipes. Des prises de courant dans le plancher facilitent la réorganisation du mobilier dans l’espace. À la belle saison, une partie du toit deviendra une terrasse qui permettra d’innover à l’air libre…
Aire d’assemblage : Au rez-de-chaussée, un espace plus industriel et fonctionnel, mais lumineux (alors que ce type de travail est parfois relégué au garage ou au sous-sol). Outre l’aire principale, des ateliers pour la peinture (avec une ventilation adéquate), le travail du bois, le prototypage rapide (impression 3D, découpe laser et impression sur textile), l’usinage du métal et le travail à chaud. Les outils sont classés sur des établis à roulettes, de manière à savoir immédiatement si l’outil dont on a de besoin est disponible. Sur un mur, des bacs où les étudiantes et étudiants pourront laisser leurs projets. Au deuxième étage, des ateliers consacrés à l’assemblage de batteries en toute sécurité, à l’électronique et à la mécatronique. Une mezzanine permet d’observer les étudiantes et étudiants concepteurs en action, ce qui ne manquera pas d’intéresser les visiteurs, notamment ceux du secondaire… qui auront peut être envie d’y venir bricoler à leur tour pendant leurs études universitaires.
Hall d’entrée : Les prototypes développés par les étudiantes et étudiants de la Faculté de génie sont souvent présentés lors de compétition ou d’expositions, mais que deviennent-ils ensuite? Le Studio de création va permettre de mettre en valeur ces artéfacts dont l’histoire de la conception ou des premiers tests sont souvent sources d’inspiration. D’après le doyen Doucet, « ces projets réels donnent une expérience pratique à nos étudiantes et étudiants et permettent de les amener plus loin que dans d’autres universités… » Mais qui, outre les parents, amis, élèves des écoles primaires et secondaires en visite, sera « inspiré » par ces engins? François Charron estime que les employés de la Faculté et, plus généralement, de l’Université qui donnent temps et énergie pour soutenir les efforts de ces jeunes inventeurs seront touchés de pouvoir admirer les prototypes ainsi exposés.
On ne veut pas non plus que le hall d’entrée du Studio soit un espace muséal mort. Ce sera un lieu de rencontres pour qui y passera. Il est question d’y tenir des événements scolaires ou plus ludiques. Par exemple, une compétition invitant les étudiantes et étudiants à construire un robot en cent heures s’est tenue récemment au 3iT. Ce genre de manifestation aurait tout à fait sa place au Studio de création.
Du matériel et des règles de sécurité
Apprendre la sécurité fait partie des compétences professionnelles que l’on veut développer chez les futures ingénieures et les futurs ingénieurs. Avec éventuellement près d’un million de dollars en divers équipements à disposition des membres de la communauté, dont plusieurs seront coupant, brûlant, asphyxiant, etc., le choix des outils et la sécurité ne pouvaient être laissés au hasard. Quelqu’un ne pourra accéder à une machine-outil que s’il a complété une formation Moodle appropriée. C’est seulement une fois cette formation complété, que la carte à puce du membre lui permettra d’accéder aux clés de l’appareil en question. Par ailleurs, on a privilégié des outils d’usage assez général plutôt que des appareils trop spécialisés. On a également choisi des machines à commande numérique, qui requièrent moins de manipulations directes. Enfin, les lieux seront bien sûr protégés par caméras de surveillance afin de contrer le vol, mais également d’améliorer les pratiques en matière de gestion et de sécurité à la suite d’un incident. Enfin, on a mis de côté une partie du budget d’équipements afin de se donner la chance de voir vivre le lieu et de constater les besoins sur le terrain.
« C’est la communauté qui changera la donne »
François Charron en est convaincu, « Le Studio, c’est le lieu, mais ce qui changera la donne, ce sera la communauté qui se créera autour du lieu. Les étudiantes et étudiants le feront vivre. Ils ont participé à son élaboration. Ça leur appartient. Ils participeront donc activement à la gestion ainsi qu’à la gouvernance. »
L’espace est peu cloisonné, mais plutôt fait de grandes salles qui permettent les rassemblements. Dans l’esprit très communautaire des fab labs et du mouvement des makers, le Studio de création vise à favoriser l’apprentissage par les pairs. Les « anciens » d’une équipe montrent aux plus nouveaux comment faire. C’est d’ailleurs déjà le cas dans les projets parascolaires où l’on s’assure généralement de préparer une relève avant que les vétérans ne quittent le groupe.
Pour favoriser la prise de risque, l’erreur productive, on désire que l’environnement soit le plus accueillant possible, en favorisant l’égalité, la diversité et l’inclusion (principe EDI), de manière à susciter un véritable climat de confiance entre les membres de la communauté.
Il faut mentionner que le Studio de création sera ouvert à toute la communauté étudiante et pas uniquement aux étudiantes et étudiants de génie. On veut que les futurs ingénieurs côtoient des gens de plusieurs disciplines, que ce soit en renforçant les liens avec ceux qui fréquentent l’École de gestion ou en rencontrant ceux du certificat en arts visuels (CEAV), pour ne nommer qu’eux.
Pour Josianne Bolduc, responsable du CEAV, l’accès au Studio de création et à ses équipements spécialisés représente une « opportunité extraordinaire » qui permettra aux étudiantes et aux étudiants de ce programme de « réaliser des projets personnels de création d’une plus grande complexité artistique et technique ». Elle croit que le maillage entre les disciplines sera évolutif : « Dans un premier temps, c’est la dynamique dans les ateliers qui changera. Les étudiantes et étudiants en art apporteront sûrement de la fraîcheur avec leurs projets aux formes et matériaux surprenants. En contrepartie, ils apprendront du pragmatisme et de la détermination des étudiants en génie. D’ici quelques temps, des projets ou même des cours conjoints pourraient émerger… » Voilà qui constitue une belle façon de vivre l’interdisciplinarité dans le concret.
Et le professeur François Charron de conclure, « le Studio de création permet de dire à une étudiante ou un étudiant de l’UdeS: ‘Tu as une idée? Va l’essayer!’ C’est un lieu propice de liberté pour expérimenter. Il y a tout sur place pour passer de l’idée à la conception rapide, concrète, physique d’un prototype. » Le Studio, ça veut essentiellement dire davantage d’innovations étudiantes et davantage d’occasions pour eux de sortir des sentiers battus.
La conception… d’un lieu de conception (en quelques grandes dates)
- Automne 2012 : Idée lancée par l’ancien doyen Gérard Lachiver à Patrik Doucet, alors vice-doyen à la formation. Description de la vision.
- Automne 2013 : Une campagne de financement a suivi qui a permis que 75 % du financement pour la construction du bâtiment provienne de donateurs : Outre l’essentielle contribution de la Fondation Fontaine, l’Association générale des étudiants de génie, de même que le personnel de la Faculté se sont joint à l’effort collectif.
- Hiver 2014 : Dans le cadre d’une activité pédagogique, 18 équipes de génie civil explorent différentes avenues de solutions qui tentent de répondre aux multiples besoins exprimés.
- Automne 2014 : Une équipe de génie civil choisit de consacrer son projet de fin de bac au Studio de création.
- Hiver 2015 à Automne 2016 : Mise en place d’un premier comité interne formé de professeurs, d’étudiants et de membres du personnel professionnel et technique de la Faculté pour principalement développer les plans fonctionnels et techniques (PFT) avec la collaboration du Service des immeubles. Tout au long du processus, des assemblées facultaires sont tenues pour laisser savoir où en est le projet et revalider les besoins.
- Avril 2016 : Autorisation ministérielle pour la construction
- Décembre 2016 : Appel d’offres des professionnels
- Hiver 2017 : Revue de conception pour valider tous les besoins (tant ceux des étudiants que ceux du personnel)
- Hiver 2018 : Approbation des plans finaux pour aller en appel d’offres.
- 2018-2019 : Mise en place d’un deuxième comité interne composé de professeurs, d’étudiants, ainsi que de membres du personnel professionnel et technique de la Faculté pour la sélection des équipements et le développement des services nécessaires (ex. accès, formation, SST, animation de la communauté, etc.) au bon fonctionnement du Studio. Au cours de cette période, quelques FabLabs au Canada et États-Unis ont été visités ou contactés afin de connaître leurs bonnes pratiques de fonctionnement et de gestion. Par exemple, les bonnes pratiques de SST du Studio de création sont inspirées de celles de l’Université Yale aux États-Unis.
- 1er juin 2018 : Ouverture du chantier
- 4 octobre 2019 : Inauguration du Studio de création