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Les travaux de mes étudiants ressemblent de plus à en plus à des collages. Preuve de créativité?


Tout texte est construit d’une mosaïque de citations et est l’absorption et la transformation d’un autre texte. (Julia Kristeva, 1967)

Parce que la linguistique s’intéresse à la langue et au discours, elle offre la possibilité d’envisager des phénomènes discursifs dans une perspective qui tient compte du contexte dans lequel ils se produisent. Ainsi, pour comprendre le plagiat, elle peut explorer les exigences d’originalité dans la production de travaux universitaires au regard des impacts que l’avènement du numérique a eus dans la sphère rédactionnelle : surabondance d’information, possibilités technologiques de diffusion, de réorganisation, de combinaison de ces informations, accessibles comme jamais auparavant. Faut-il s’étonner que dans ce nouveau contexte certains travaux étudiants ressemblent à une œuvre de collage, un assemblage, un remix? Ce nouveau type de travail étudiant peut-il répondre aux exigences d’originalité et de créativité?

Créativité

La créativité pourrait se définir par la capacité à produire des idées inhabituelles, brillantes, voire non pertinentes, sur un sujet ou une situation donnés, à proposer des solutions inédites en vue de résoudre un problème. Pour y arriver, il faut être dans un état créatif, lequel, selon Eastes (2017), « se résume essentiellement à sortir de nos schémas de pensée habituels, à inhiber nos réflexes cognitifs classiques, à transgresser certaines règles logiques et à établir des liens inattendus ou usuellement interdits » entre des éléments de connaissances jusqu’ici non reliés.

Selon un rapport de 2016 du World Economic Forum, la créativité sera la troisième compétence en importance recherchée par les employeurs dans les prochaines années. Déjà, elle fait partie intégrante de
plusieurs modèles ou listes de compétences pour le 21 siècle (lire à ce sujet la dépêche Voir les
compétences du 21 siècle).

La créativité se caractérise donc par ce qui est nouveau, inédit, inhabituel, original… Dans le monde universitaire, comment conçoit-on l’originalité?

Originalité

Selon Evans-Tokaryks (2014), la notion d’originalité que favorisent encore et toujours les universitaires est celle d’un génie qui produit, isolé dans son coin, un travail écrit complètement inédit, unique. Pour Johnson-Eilola, et Selber (2007) :

« [T]eachers still often expect their students to produce what are considered to be thoroughly « original » texts—texts that make a clear distinction between invented and borrowed work, between that which is unique and that which is derivative or supportive. The best work of writers is understood to be their original text with citations and borrowed materials situated as useful but less valuable support. »

Les enseignants continuent de corriger les travaux étudiants comme si « the ghost of the authorial, creative genius remains standing between the lines, propping up what is an increasingly unrealistic artifact in our postmodern age ».

Cette originalité que l’on exige des étudiants et l’obligation qu’ils ont de mentionner la source de tout emprunt afin d’éviter le plagiat crée une double contrainte qui paralyse de plus en plus leur processus d’écriture. Avec raison, les étudiantes et étudiants se demandent comment produire un travail original dans un monde infobèse où, selon leurs propres dires, « tout a été écrit, tout est tellement bien écrit, ce que je voulais dire a déjà été écrit et bien mieux écrit». Et, se demandent-ils, « s’il faut citer toutes les sources d’inspiration, que restera-t-il d’original qui méritera une « bonne note »? ».

Sans doute pour échapper à cette double contrainte, certains étudiants ont fait preuve de créativité en remettant des travaux qui pourraient être qualifiés de collage, d’assemblage ou encore de remix. Mais de quoi parle-t-on exactement?

Remix (collage, assemblage)

Le remix consiste à créer une nouvelle œuvre à partir d’œuvres existantes. Lessig (2005) affirme :

« […] all of culture can be understood in terms of remix, where someone creates a cultural product by mixing meaningful elements together (e.g., ideas from different people with ideas of one’s own), and then someone else comes along and remixes this cultural artefact with others to create yet another artefact. »

Il est intéressant de noter que parmi les 12 habiletés de la littératie numérique, on retrouve l’appropriation : « the ability to meaningfully sample and remix media content ». (Jenkins, Purushotma, Weigel, Clinton et Robison, 2009).

Dans tous les cas, remix ou assemblage, le produit nal est un collage de textes qui constitue une nouvelle œuvre

Le remix semble avoir fait son chemin dans le monde du texte. C’est du moins ce que pensent Kirsty Williamson et Joy McGregor (2006), qui posent l’hypothèse que les étudiants appliqueraient à leurs travaux écrits « la pratique du sampling utilisée par les disc jokeys qui consiste à sélectionner des morceaux de musique et à les retraiter pour composer un nouveau morceau sans référence aux travaux originaux […]. À l’identique, la notion de remix (Jenkins, 2006) engendre la même vision d’une porosité entre pratiques culturelles juvéniles et pratiques scolaires, voire étudiantes ». (Boubée, 2015) Précisons que la non- référence aux travaux originaux est une pratique qui, dans le monde académique actuel, correspond à du plagiat.

Johnson-Eilola et Selber (2007) utilisent le terme d’assemblage, qu’ils définissent comme suit :

« [A]ssemblages are texts built primarily and explicitly from existing texts in order to solve a writing or communication problem in a new context. […] From rhetoric and composition, we borrow concepts such as intertextuality and citation, two powerful constructs that highlight the ways in which authors inevitably encounter and work with the ideas and materials of others. »

Dans tous les cas, remix ou assemblage, le produit final est un collage de textes qui constitue une nouvelle œuvre. Si la reconnaissance de la contribution d’autrui y est attestée, alors pourquoi ne pas accepter de tels travaux étudiants comme satisfaisants? C’est la conclusion à laquelle arrivent Johnson-Eilola et Selber (2007) :

« In the end, as we see it, this all comes down to a reconfigured notion of « creativity, » one more in line with postmodern work. Creativity is no longer, as we said, re-inventing the wheel, which does not remove creativity but shifts it to the assemblage: Take what already exists and make something else, something that works to solve problems in new, local contexts. Creativity, in this rearticulation, involves extensive research, filtering, recombining, remixing, the making of assemblages that solve problems. Citation is no longer a way of marking subordinate elements in a text to downplay their value in student work but a way to reward students for their new skills, to situate texts not only in pre- existing but new contexts. » (NDLR : notre emphase)

Conclusion

Tous les auteurs cités dans cet article se sont penchés sur le phénomène du plagiat et ont tenté de le comprendre avec, dirons-nous, créativité. En effet, ils se sont placés dans un état créatif, lequel, rappelons- le, consiste à sortir des sentiers battus en mettant de côté momentanément les modes de pensée dominants, en changeant de perspective, en se mettant dans la peau d’autrui, en acceptant d’envisager un autre point de vue, en établissant des relations surprenantes, voire hérétiques, entre divers phénomènes, diverses valeurs et divers éléments de savoir.

Cette phrase attribuée à Bernard de Chartres (vers 1124-1130) nous rappelle que notre capacité à créer de nouvelles connaissances, des connaissances originales, prend appui sur ce qui existait avant nous :

« Nous sommes comme des nains portés sur les épaules de géants. Nous voyons plus de choses que les anciens et de plus éloignées, non par la pénétration de notre propre vue ou par l’élévation de notre taille, mais parce qu’ils nous soulèvent et nous haussent de toute leur hauteur gigantesque. »

Sources

Blum, Susan, « My Word! Plagiarism and college culture », Cornell University Pres, 2009.

Boubée, Nicole, « Par delà-le plagiat, les copiés-collés », Questions de communication, 2015.

Eastes, Richard-Emmanuel, « Peut-on décrire les processus créatifs? », blogue « Savoirs en société »

The Conversation, 23 mars 2017 (qui a fait l’objet d’une dépêche dans l’Éveilleur par mon collègue Jean-Sébastien Dubé).

Evans-Tokaryks, Tyler, « Academic Integrity, Remix Culture, Globalization: A Canadian Case Study of
Student and Faculty Perceptions of Plagiarism
», Across the Disciplines, vol. 11, n 2, 24 novembre
2014. Consulté en ligne le 1 mai 2017.

Jenkins, Henry, avec Ravi Purushotma, Margaret Weigel, Katie Clinton, et Alice J. Robison,

Confronting the Challenges of Participatory Culture: Media Education for the 21st Century, Cambridge, MIT Press, 2009.

Johnson-Eilola, Johndan et Selber, Stuart A., « Plagiarism, originality, assemblage », Computer and
Composition
, vol. 24, n 4, 2007. Consulté en ligne le 1 mai 2017.

Kristeva, Julia, « Bakhtine, le mot, le dialogue et le roman », Critique, avril 1967.

Lankshear, Colin et Knobel, Michele, «  Remix: The Art and Craft of Endless Hybridization », Journal
of Adolescent et Adult Literac
, vol. 52, n 1, septembre 2008, p. 22-33.

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