Alors que la formation dans le domaine de l’environnement et du développement durable s’était surtout développée comme une nouvelle spécialité disciplinaire, force est maintenant de constater qu’il s’agit en fait d’enjeux transversaux qui influencent un vaste éventail de secteurs d’emploi. Cette tendance s’inscrit dans une économie appelée à considérer toujours davantage ses impacts sociaux et environnementaux. Le Programme des Nations Unies pour l’environnement définit l’économie verte comme «une économie qui entraîne une amélioration du bien-être humain et de l’équité sociale, tout en réduisant de manière significative les risques environnementaux et la pénurie de ressources. [… E]lle se caractérise par un faible taux d’émission de carbone, l’utilisation rationnelle des ressources et l’inclusion sociale» (PNUE, 2011, p. 1). Cette transition de l’économie est déjà en branle. HSBC estimait en 2009 les marchés associés à l’économie verte à 740 milliards de dollars US et prévoit qu’ils pourraient atteindre de 1,5 à 2,7 billons de dollars US d’ici 2020.
Un secteur d’emploi multidisciplinaire et transversal
Eco Canada (2013) , l’organisme canadien dédié au développement des compétences dans le secteur de l’environnement et du développement durable, estime que près d’un million de travailleurs canadiens consacrent jusqu’à 50 % de leur temps de travail à des activités en lien avec l’environnement alors que 730 000 professionnels y consacrent plus de la moitié de leur temps de travail. C’est donc dire que plus de travailleurs canadiens doivent être en mesure de «jongler» dans leur quotidien avec les enjeux d’environnement et de développement durable, sans qu’il s’agisse de leur tâche principale. Du même coup, Eco Canada révèle que les compétences de base liées à l’intégration de pratiques environnementales par des non-spécialistes tendent à devenir de plus en plus communes et reconnues par les employeurs.
Le positionnement qu’a choisi le Québec en regard du développement durable renforce le besoin de compétences de base en développement durable pour l’ensemble des professionnels, au-delà du cercle des spécialistes dans ce domaine
Le contexte québécois
Le Québec est parmi les premiers États à s’être doté d’une Loi sur le développement durable. Celle-ci vise l’instauration d’un nouveau cadre de gestion transversal à l’ensemble des secteurs d’activité. La loi définit le développement durable et ses objectifs et en énonce 16 principes (dont bien sûr la protection de l’environnement et la biodiversité mais aussi l’internalisation des coûts, la santé et qualité de vie, la participation et l’engagement, la production et la consommation responsable, entre autres). La loi se concrétise dans la Stratégie gouvernementale dont la première mouture (2008-2015) a permis aux quelque 120 ministères et organismes gouvernementaux de s’engager et d’élaborer un plan d’action visant essentiellement à intégrer davantage la prise en compte des dimensions écologique, sociale et économique du développement durable dans divers projets et activités (MDDELCC, 2014). Le positionnement qu’a choisi le Québec en regard du développement durable renforce ainsi le besoin de compétences de base en développement durable pour l’ensemble des professionnels, au-delà donc du cercle des spécialistes dans ce domaine.
Le système québécois de plafonnement et d’échange de droits d’émission de gaz à effet de serre (SPEDE) lancé en 2013 par le gouvernement du Québec est également un mécanisme règlementaire qui change également la façon dont sont prises les décisions en plafonnant les émissions permises. Le SPEDE concerne les grands émetteurs de gaz à effet de serre, notamment des alumineries, cimenteries, papetières, minières, fonderies, pétrolières et autres grandes entreprises énergétiques ou industrielles. L’établissement d’un tel marché de carbone devrait à terme changer les critères sur lesquels se basent les entreprises pour prendre des décisions.
Des mutations dans de nombreux secteurs
Dans différents domaines professionnels, les enjeux de développement durable sont de plus en plus considérés et intégrés, que ce soit par les associations professionnelles ou par les professionnels eux- mêmes et ce, à différentes échelles. En voici quelques exemples :
- Administration : On assiste à l’émergence de nombreuses initiatives visant l’appropriation par les gestionnaires des enjeux de développement durable. La norme de gestion du développement durable en entreprise BNQ 21 000 qui traduit les principes de la loi québécoise en des pratiques de gestion couvre l’essentiel des préoccupations d’une entreprise en matière de développement durable. Les Principles for Responsible Management Education (PRME) élaborés en 2007 par une soixantaine de doyens d’écoles de gestion et de facultés rassemblent aujourd’hui 601 écoles de gestion, facultés, universités ou collèges qui en sont signataires autour de la thématique et des pratiques en matière de responsabilité sociale et environnementale des entreprises (PRME, 2015).
- Droit : L’environnement et le développement durable sont parmi les forces affectant la profession d’avocat en pratique privée selon le Barreau du Québec (2011).
- Éducation : Le mouvement des Établissements verts Brundtland rassemble plus de 1400 établissements depuis la création du mouvement en 1993, principalement des écoles primaires et secondaires valorisant l’écologie, le pacifisme, la solidarité et la démocratie.
- Génie : L’une des 12 qualités requises des diplômés par le Bureau canadien d’agrément des programmes de génie (BCAPG) porte notamment sur la capacité à analyser les aspects sociaux et environnementaux des activités liées au génie de même que le concept de développement durable (BCAPG, 2014).
L’émergence de différentes certifications, normes ou codes de conduite en matière de développement durable depuis quelques années change petit à petit les façons de faire dans différents secteurs telles les certifications équitables et biologiques dans de nombreuses filières agricoles et alimentaires, les certifications visant un approvisionnement responsable dans le domaine des pêcheries ou de la foresterie ou la norme québécoise pour la gestion responsable d’événements pour le secteur de l’industrie touristique. Le développement des méthodologies d’analyse sociale et environnementale de cycle de vie permet en outre de mesurer les impacts environnementaux et sociaux de la production des biens et services.
Vers de nouveaux métiers
L’intégration des enjeux de développement durable à la pratique professionnelle est en cours et elle touche un vaste ensemble de domaines professionnels et de disciplines. Par ailleurs, elle favorise l’émergence de nouvelles professions. Dans son numéro hors série annuel 2015 consacré à l’emploi, Terra eco, un magazine français indépendant, rend compte des tendances en développement durable. Le magazine s’attend à une plus grande création d’emplois dans les domaines de l’éolien, de la méthanisation, du bâtiment durable, de la gestion des matières résiduelles, de l’assurance de risques et de la consommation collaborative. Parmi les domaines émergents et moins usités, mentionnons l’autopartage, le marketing vert, l’économie circulaire, l’habitat participatif, la psychologie environnementale et le biomimétisme.
Dans votre champ disciplinaire, comment les questions d’environnement et de développement durable sont prises en compte? Quels sont les métiers d’avenir qui y sont liés?
1. Eco Canada définit le secteur de l’emploi environnemental (environmental employment) comme l’ensemble de trois sous-secteurs que sont 1) la protection de l’environnement; 2) la gestion des ressources; et 3) la durabilité environnementale. Ce dernier sous-secteur se décline en quatre éléments : le développement durable, l’éducation et la formation, la recherche et le développement ainsi que les politiques et la législation. Au Québec, EnviroCompétences a mis sur pied un comité de travail sur la définition des emplois verts dont les travaux seront rendus publics au printemps 2015.
Références
Barreau du Québec, 2011, Les avocats de pratique privée en 2021, 119 p. [En ligne].
BCAPG, 2014, Normes et procédures d’agrément, Ingénieurs Canada, 115 p. [En ligne].
BNQ 21000, Approche BNQ 21 000.
Eco Canada, 2013, Tableau des offres d’emploi ECO, [En ligne] (Page consultée en mars 2015).
Établissement Vert Brundtland, 2015 [En ligne] (page consultée le 2 mars 2015).
HSBC 2010 « Sizing the climate economy: We forecast the low-carbon energy market will triple to