Bulletin SSF
Ça se passe chez nous

Utiliser la bibliothèque vivante dans son cours pour sensibiliser à la diversité

De nos jours, les diversités sont bien présentes dans la société et sur les campus universitaires. Toutefois, si l’on n’est pas outillé ou sensibilisé à ces réalités, on peut avoir tendance à se polariser ou à éviter ce qui nous est étranger pour ne pas être bousculé ou même par peur de faire un faux-pas. Dans ce contexte, les activités de bibliothèques vivantes, où des « lecteurs » viennent écouter des « livres vivants » partager leur histoire singulière à livre ouvert, parviennent à promouvoir la diversité en action. La preuve, depuis la première bibliothèque vivante en 2000 à Copenhague, l’activité s’est répandue dans 90 pays, sur tous les continents et dans des contextes aussi bien communautaires ou entrepreneuriaux qu’éducatifs.

Perspectives SSF en a discuté avec Françoise Bleys et Bénédicte Thérien, en charge du volet interculturel à USherbrooke international et organisatrices d’une activité bibliothèque vivante à l’UdeS en mai dernier. [Pour plus d’information sur cet événement et sur le fonctionnement d’une bibliothèque vivante, voir l’article de Florence Bessac dans Nouvelles UdeS.]

Une bibliothèque vivante à l’université, ça sert à quoi?

Cette activité aide à mieux connaître et mettre en valeur la diversité présente sur les campus afin de créer une communauté riche de ses divers apports culturels. Elle peut aussi contribuer à renforcer les liens avec la communauté environnante, incluant les réalités au-delà de nos campus.  

Les « livres vivants » sont la plupart du temps des personnes qui font l’objet d’incompréhensions et de préjugés plus ou moins conscients : qu’elles soient immigrées, en situation de handicap, toxicomanes, trans, en retour aux études, ex-détenues, la liste est longue des personnes dont nous n’avons, de prime abord, aucune idée du vécu réel.

Comme membres de groupes minoritaires ou désavantagés socio-économiquement, la plupart de ces « livres » ont peu d’espaces sécuritaires tels que celui-ci pour être entendus, pour échanger directement sur les perceptions et réactions qu’ils suscitent, et aussi pour être valorisés avec le capital d’expériences qu’ils ont à transmettre. C’est donc un levier important pour l’inclusion.  

L’objectif d’une bibliothèque vivante est de réaliser qu’on ne peut pas « juger un livre d’après sa couverture » : en s’aventurant au-delà des apparences, on déjoue nos préconceptions, et on fait de véritables découvertes sur l’autre et sur soi, sur ce qui nous est essentiel et commun.

« Ces rencontres favorisent l’approfondissement de la sensibilité et de l’empathie interculturelles. C’était donc une activité tout indiquée pour notre réseau des personnes alliées de l’interculturel à l’UdeS : l’objectif est que ses membres soient des vecteurs d’influence dans leur milieu pour contribuer à développer une culture institutionnelle ouverte sur le monde », explique Mme Bleys.

Les bibliothèques vivantes comme activités pédagogiques en enseignement supérieur

En Australie, au Japon, en Slovaquie et dans divers pays européens, les bibliothèques vivantes sont utilisées en contexte d’enseignement supérieur.

Les personnes enseignantes les incluent dans leur séquence pédagogique pour enrichir la matière du curriculum sous un angle complémentaire à la perspective plus formelle offerte par les manuels scolaires et les cours. Les « livres vivants » donnent littéralement chair au sujet. Ils constituent des ressources précieuses pour explorer comment ce qu’on apprend en classe est en lien avec ce qui se vit dans la société. Ils permettent aussi de réfléchir à ses propres normes et croyances et, quand les personnes étudiantes participent à les organiser, de s’engager dans le monde.

Par ailleurs, intégrer une activité de bibliothèque vivante dans le cursus, c’est favoriser le développement de l’inclusion et des compétences requises au XXIe siècle pour vivre et travailler dans des contextes mondialisés. Cela peut participer à l’internationalisation du curriculum à domicile pour laquelle les « livres vivants » venus d’autres cultures sont une grande richesse. À ce titre, l’expérience des personnes étudiantes immigrantes et internationales peut être valorisée en leur proposant de devenir elles-mêmes des « livres ».

Dans le contexte de l’UdeS, ce concept de partage authentique pourrait être utilisé non seulement dans des cours de sciences humaines et sociales mais aussi, par exemple, dans ceux touchant la santé globale à la FMSS, ou dans les formations préparatoires à des études ou stages à l’étranger. Cette approche est également transférable aux activités d’intégration des étudiants internationaux : le sentiment d’être inclus et valorisé a un impact positif sur leurs bien-être, rétention et réussite.  Pour les personnes étudiantes « locales », c’est un pas de plus pour l’ouverture et un tremplin vers la mobilité internationale.

Quelles compétences développent les personnes étudiantes qui prennent part à une bibliothèque vivante?

L’apprentissage se fait sur plusieurs plans. Du point de vue cognitif, les « lecteurs » peuvent faire des liens entre les informations habituellement recueillies dans les sources formelles et celles plus informelles qu’apporte le « livre vivant », avec la richesse des dimensions vécues, personnelles et émotionnelles, pour se forger des connaissances approfondies et un point de vue plus éclairé. 

Sur le plan des habiletés interpersonnelles, les « lecteurs » s’appliquent à communiquer et à interagir de façon efficace et adéquate. Le format de la bibliothèque vivante implique l’écoute active : le « lecteur » est assis en face du « livre », porte attention au non-verbal, interagit avec tact.

Au niveau des compétences personnelles, rien que le fait d’être présent à ce type d’activité est un signe d’engagement et d’ouverture car elle déjoue toute forme d’évitement ou de repli dans nos bulles de confort et de connu. La force et l’authenticité du témoignage du « livre vivant » amène les « lecteurs » à se décentrer : on prend conscience de son propre cadre de références et du fait que celui-ci est relatif, qu’il existe d’autres façons d’être. Un processus réflexif s’enclenche, notamment sur les notions de normalité, de pouvoir et de privilège, de majorité et de minorité, sur nos biais inconscients. Cela stimule l’esprit critique. En comprenant mieux l’autre, on dépasse la dichotomie du « nous » versus « eux » : on s’ouvre à plus de tolérance, vers un « nous » plus inclusif et harmonieux.

Les liens entre les bibliothèques vivantes et l’apprentissage expérientiel

En donnant aux personnes étudiantes des rôles dans l’organisation de la bibliothèque, on favorise aussi le développement d’apprentissages expérientiels. Comme « bibliothécaires », elles doivent chercher, choisir et vérifier la disponibilité et la pertinence des « livres vivants » par rapport aux « lecteurs » potentiels. Puis concevoir et déployer des moyens de promotion, et préparer les « livres », ainsi que les « lecteurs », afin que l’échange ait l’impact positif visé. Enfin, il faut organiser les conditions de lecture optimales pour créer et conserver l’atmosphère d’un espace sécuritaire.

Ce rôle sollicite également l’esprit d’initiative, de coopération, d’adaptabilité en lien avec les questions logistiques et le déroulement de l’événement. Les « bibliothécaires » doivent aussi gagner en compétence pour faciliter le dialogue en situation interculturelle.

Certains (Bobovna et al., 2020) soulignent justement que les bibliothèques vivantes contribuent tant au développement de la tête (cognitif), du cœur (affectif/ inspiration) que des mains (actions), en conciliant apprentissages formels et informels. Des gains souvent associés à l’apprentissage expérientiel.

Pour Françoise Bleys, « C’est vraiment un aspect clé : dans une bibliothèque vivante, on n’assiste pas à une conférence : on va à la rencontre de quelqu’un qui nous partage en direct un chapitre de son parcours de vie. Alors la diversité, l’inclusion, les situations interculturelles ne sont plus des sujets abstraits : ils sont incarnés par le livre vivant qui interagit avec nous, ses lecteurs. »

Un tête-à-tête avec un « livre vivant » permet de découvrir des milieux qu’on connaissait mal. Les images fortes, les ressentis qui nous sont partagés ont un impact direct sur nos sens et nos émotions : c’est aussi une expérience de cœur à cœur. La théorie des contacts intergroupes de Allport (1954) tend à montrer que, dans des conditions appropriées, le fait d’adopter la perspective de quelqu’un d’autre en ayant une connexion signifiante avec lui, même brève, produit un changement durable de perspective et d’attitude envers le groupe dont cette personne fait partie (Si, en revanche, on met des groupes en contact sans sensibilisation préalable, on risque un effet inverse de polarisation). « Imaginez la dynamique de classe si une telle activité était organisée pour les personnes étudiantes d’un même programme! », s’exclame Bénédicte Thérien.

Lorsqu’on lui mentionne que ce type d’interactions de personne à personne peut être difficile à appliquer à l’échelle d’un programme, Françoise Bleys a cette réflexion : « Dans plusieurs cursus, certains apprentissages passent par des activités en tout petits groupes afin de créer un impact durable et profond chez la personne apprenante. Si l’on souhaite former des personnes professionnelles et citoyennes en prise avec les évolutions de nos sociétés, ouvertes aux diversités, non pas à un niveau abstrait mais avec celles et ceux qui les vivent, alors ça requiert possiblement d’inclure dans le cursus de telles activités à petite échelle. »

Pour faciliter l’application dans les groupes-classes, Mme Bleys suggère de proposer à certaines personnes étudiantes de jouer le rôle de « livres », ou encore, en mode virtuel, d’utiliser les salles de petits groupes. On peut trouver suffisamment de diversité dans la salle de classe pour maintenir des groupes de taille adéquate. Il y a beaucoup de pistes pédagogiques à exploiter et à créer et « dans notre volet interculturel à USherbrooke international, nous pouvons appuyer les personnes qui souhaitent organiser de telles activités. », mentionne Mme Thérien. 

« La première expérience de bibliothèque vivante à l’UdeS était dédiée à notre Réseau des personnes alliées de l’interculturel, mais le format est pertinent pour toute forme de diversité : livres et lecteurs apprennent à y trouver plus de confort dans l’inconfort face à ce qui leur est étranger. C’est crucial pour l’inclusion et le vivre ensemble. », dit Mme Bleys. Mme Thérien conclut : « Nous projetons d’ailleurs d’organiser une Bibliothèque vivante ouverte à toutes et tous lors de l’année académique 2022-2023. À suivre! »

Références

Bobovona, Ivana et al, « Human Libraries, the power of using stories in education », Proceedings of EDULEARN20 Conference, juillet 2020, pp. 4660-4666.

Kudo, Kazuhiro et al., « Bridging differences through dialogue : Preliminary findings of the outcomes of the Human library in a university setting », 2011 Shanghai International Conference on Social Science, janvier 2011, 7 p.

Pope, Kerry, « You can’t judge a book by its cover! Using Human Libraries in schools to engage, explore, discover and connect », 2013: IASL Conference Proceedings (Bali, Indonesia): Enhancing Students’ Life Skills through the School Library, 2013, 7 p.

Bibliothèque et archives nationales du Québec, L’organisation d’une bibliothèque vivante, Fiche d’information no.9, novembre 2017 (mise à jour: 23 décembre 2021), 3 p.

Human Library Organisation, site web humanlibrary.org, 2019 [page consultée le 20 août 2022]

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1 commentaire

Manon Guay 24 octobre 2022 at 8 h 26 min

Bonjour,
Je vous remercie pour ce texte portant sur les bibliothèques vivantes, les livres vivants et livres ouverts. Dans votre article, vous interpellez l’enseignement à la FMSS. J’aimerais connaître la distinction pédagogique entre les concepts que vous abordez et les notions de patient.es partenaires ou patient.es réel.les régulièrement engagé.es dans la formation des professionnelles de la santé à la FMSS. Est-ce qu’inviter une personne patiente partenaire/réelle à participer aux activités pédagogiques, généralement avec des petits groupes d’étudiant.es, est l’équivalent à avoir recours à un livre vivant?
Cordialement,
M.

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