En 2019, lors du forum universitaire sur l’écoresponsabilité dans la formation, la professeure Isabelle Létourneau, nous avait présenté le nouveau cours Moi, gestionnaire socialement responsable, à être offert à l’École de gestion à partir de l’hiver 2020. Ce cours donne aux personnes étudiantes du domaine de la gestion une occasion de réfléchir sur le type de gestionnaire qu’elles aspirent devenir. L’une des composantes importantes du cours est la réalisation d’un mandat dans la communauté de l’Estrie ou de la Montérégie dans le cadre du Programme d’intervention dans la communauté (PIC) du Centre Lemaire en gestion responsable. Après deux ans d’activité de ce cours et du PIC, nous avons voulu savoir où en est cette expérience. La professeure Isabelle Létourneau, responsable du cours, et Sondès Allal, coordonnatrice du PIC, ont accepté de répondre à nos questions à propos de ce projet porteur, avec lequel rien ne se compare dans les écoles de gestion au Québec.
Le cours Moi, Gestionnaire socialement responsable en bref Cible de formation du cours – Permettre à la personne étudiante de poser un regard réflexif rétrospectif sur sa formation et ses expériences scolaires et de poser un regard prospectif sur le type de gestionnaire qu’elle aspire à devenir. Portée – Cours de tronc commun offert aux quelque 500 étudiantes et étudiants du baccalauréat en administration des affaires ayant complété au moins 30 crédits. Typiquement, le cours est suivi à la dernière année du programme. Formules pédagogiques – La réalisation d’un mandat en organisation est centrale au cours (apprentissage expérientiel). Au travers des séances de coaching, des travaux d’équipe, des discussions en groupe, des lectures et des vidéos, le cours vise à rendre les personnes étudiantes responsables de leurs apprentissages. En savoir plus : https://centrelemaire.recherche.usherbrooke.ca/pic/ |
Perspectives SSF (P-SSF) – Parlez-nous de l’ambition et des visées du cours Moi, gestionnaire socialement responsable?
Professeure Isabelle Létourneau (IL) – Le cours Moi, gestionnaire socialement responsable vise à amener toutes les personnes étudiantes du baccalauréat en administration à poser un regard réflexif sur leur formation, leurs expériences universitaires et sur le type de gestionnaire qu’elles veulent devenir. Le cours est très ambitieux à plusieurs égards. D’une part, c’est un cours de tronc commun, donc les quelque 500 étudiants de notre baccalauréat en administration le suivent. D’autre part, il est offert en français et en anglais. La professeure Marie-Luc Arpin est responsable de la version anglophone du cours. Il est offert à Sherbrooke et à Longueuil et il est offert à toutes les sessions. Enfin, il met de l’avant une intervention étudiante dans une organisation sous la forme d’un mandat. Avec ce cours on vise à ce que les étudiants puissent acquérir des expériences autres que dans le domaine privé et qu’ils rencontrent d’autres types d’organisations comme des OBNL, des entreprises d’économie sociale, des municipalités, etc. Concrètement, cela se traduit par le besoin de « trouver » une centaine de mandats par année.
Sondès Allal (SA) – Ma mission à moi, c’est de trouver ces mandats, d’évaluer l’impact des interventions dans le milieu et de faire un état de veille des enjeux de la communauté. Pour trouver 100 mandats année après année, on s’est vite rendu compte qu’on devait se créer un réseau de partenaires et animer cette communauté. Cela s’est fait au travers de la mise sur pied du Programme d’intervention dans la communauté (PIC) qui nous a permis de clarifier notre offre de services pour les collectivités de l’Estrie et de la Montérégie. C’est là qu’on voit aussi tout l’impact du PIC. À environ 100 mandats par année, menés par quelque 500 étudiants, on a une masse critique assez importante pour avoir un impact dans la collectivité.
P-SSF – Comment avez-vous réussi à faire entrer une telle activité dans l’espace du tronc commun du programme?
IL – À la suite de l’évaluation du programme du baccalauréat en administration en 2014-2015, une fenêtre d’opportunité s’est présentée. Par ailleurs, dans la foulée des ateliers de planification stratégique de l’époque, on souhaitait faire une plus grande place à des thématiques importantes et la gestion responsable est apparue incontournable. Jusqu’alors, cette thématique était plutôt « saupoudrée » dans différents cours. C’était intéressant, mais on a senti le besoin d’aller plus loin. Il y avait aussi un cours que mon collègue le professeur Michel Dion et moi avions développé sur l’éthique des affaires, mais il n’était offert que dans la concentration management. Bien sûr, avec cette ambition d’offrir une activité expérientielle terrain à 500 étudiants par année, cela demandait des moyens supplémentaires à ce qu’un prof peut normalement faire dans le cadre de son cours, d’où l’idée d’aller chercher des bailleurs de fonds pour mettre en place ce cours.
P-SSF – En lisant les plans de cours et documents, on voit que la gestion responsable est très ancrée dans l’apprentissage expérientiel par le service à la collectivité. À quel point ce type d’apprentissage est-il essentiel aux objectifs poursuivis par ce cours? Qu’est-ce qui distingue les mandats offerts dans le cadre du cours par rapport à d’autres expériences en organisation qu’acquièrent les étudiants dans le cadre de leur baccalauréat?
SA- Avant d’être gestionnaire responsable, ce qui est l’objectif du cours, il faut d’abord être citoyen conscient des enjeux de sa collectivité et des défis de son environnement. Le PIC provoque une immersion dans la communauté auprès des organisations de première ligne que sont les OBNL et le milieu municipal. Cette immersion développe cette conscience sociale et durable qui s’inscrit, en plus, dans le cadre d’un cours obligatoire du baccalauréat en administration.
IL – Les personnes étudiantes au baccalauréat en administration ont l’occasion d’acquérir plusieurs expériences pratiques au travers des stages et de diverses activités dans le cadre de cours ou à l’extérieur des cours. Le PIC apporte une dimension complémentaire de différentes façons. D’abord, les mandats du PIC menés dans le cours se déroulent en milieu OBNL, de l’économie sociale ou coopérative, ou dans le milieu municipal essentiellement. Cela amène les étudiantes et étudiants à découvrir des réalités et d’éventuels milieux de travail qui tranchent avec le milieu des affaires plus traditionnel (de la PME à la grande entreprise). Un autre élément, c’est que les équipes étudiantes doivent mener un mandat défini, ce qui représente une première expérience de ce type pour plusieurs. Typiquement, lorsqu’elles suivent le cours Moi, Gestionnaire socialement responsable, les personnes étudiantes ont fait trois stages, donc ont acquis des expériences professionnelles comme employé mais pas nécessairement sous la forme de mandat ou de projet en équipe à réaliser avec de vraies organisations. Les mandats du PIC amènent les étudiantes et étudiants à se découvrir sous un nouveau jour, celui de consultants ou de partenaires.
P-SSF – Parlez-nous un peu plus du cours et de l’arrimage avec le PIC?
IL – La responsabilité sociale des organisations et le développement durable constituent le fil rouge du cours. Le cours est divisé en quatre grandes parties. La première, « Imagine un mode dans lequel il fait bon vivre », expose les personnes étudiantes aux défis du monde actuel au travers, par exemple, les objectifs de développement durable de l’ONU. On y questionne la viabilité du modèle actuel de développement de nos sociétés tout en présentant et en discutant des modèles émergents. La seconde partie du cours se consacre à « Imagine[r] les organisations contribuant à ce monde », au travers du concept de responsabilité sociale des organisations et les méthodes et normes qui y sont associées, tout en mettant de l’avant des exemples concrets d’entreprises. La troisième et la quatrième parties s’intéressent au rôle des gestionnaires dans ces organisations qui contribuent à définir ce nouveau monde en invitant les personnes étudiantes à mettre en œuvre leur vision du ou de la gestionnaire responsable qu’elles aspirent devenir. Dès la deuxième semaine de cours, la classe est répartie en équipes auxquelles les mandats sont assignés. Des séances de coaching ponctuent la session pour soutenir les équipes étudiantes qui ont aussi plusieurs activités d’évaluation liées au mandat. En amont de la première rencontre avec le mandataire, les équipes mènent un travail préparatoire visant à connaître l’organisation et à interagir de façon efficace avec le mandataire pour bien comprendre le mandat. Le mandat comme tel peut prendre des formes très variées : étude de besoins, étude comparative, diagnostic et recommandations, animation d’ateliers ou organisation d’événement, évaluation de l’impact de l’organisation, etc. Une fois le mandat complété, les personnes étudiantes partagent leurs expériences en classe sous forme de présentations orales en équipes. S’en suivent une autoévaluation individuelle et une évaluation par les pairs.
P-SSF – Dans ce type de collaboration, chacun a son propre besoin : les étudiants sont centrés sur leur réussite, les organisations ont des enjeux et les enseignants ont un cours à donner. Comment faites- vous pour concilier tous ces besoins, d’autant que cette formule sort des sentiers battus?
IL- L’implantation du cours a nécessité au départ un certain coaching auprès des personnes chargées de cours afin qu’elles s’approprient le cours et qu’elles deviennent de bons coachs pour les personnes étudiantes. On a, année après année, environ huit enseignants impliqués répartis en 11 ou 12 groupes-cours. On tente de répartir les mandats selon les spécialités des chargés de cours. Les chargés de cours peuvent avoir jusqu’à 9 mandats à superviser pour un groupe, donc cela leur demande beaucoup d’agilité. Après le premier été, on a senti le besoin de développer des outils pour assurer le succès des mandats et, jusqu’à un certain point, la satisfaction des objectifs de chacun. On a conçu des guides pour la réussite des mandats : un à l’intention des personnes enseignantes, un à l’intention des équipes étudiantes et un à l’intention des personnes-ressources en organisation. Par exemple, du côté étudiant, on y trouve des pistes très concrètes d’action pour les outiller en matière de communication et de clarification des objectifs avec le mandataire, notamment.
SA- Mon travail est à la jonction de toutes les parties prenantes et me permet donc de recueillir tous les commentaires et observations. Durant chaque session sont effectués des suivis et une évaluation formelle au terme desquels je fais des recommandations d’ajustement de la procédure d’arrimage et de partenariat à Isabelle qui s’assure de mettre en place celles qui s’harmonisent au cours et à ses objectifs pédagogiques.
P-SSF – Quels retours avez-vous des personnes étudiantes et des organisations partenaires au terme de ces deux années de développement du PIC?
SA – Au terme de la première année d’activités du PIC, on a mesuré que 94 % des partenaires estimaient que l’intervention étudiante avait eu un impact ou des bénéfices positifs dans leur organisations. Le PIC a réalisé un docu-témoignages où les personnes étudiantes et partenaires partagent leur appréciation, leurs expériences et les apprentissages à la suite de leur participation au PIC.
Et en images…
Le programme d’intervention dans la communauté, Docu-témoignages des partenaires et personnes étudiantes PIC 2020(vidéo), YouTube, 17 novembre 2020, durée : 9 min 49
Le programme d’intervention dans la communauté, Bande-annonce du Docu-témoignages des partenaires et personnes étudiantes(vidéo), YouTube, 12 novembre 2020, durée : 2 min 22
P-SSF – Comment voyez-vous le PIC dans cinq ans?
IL- De façon très concrète, on souhaite, bien sûr, assurer la pérennité à long terme du programme, qui passe par un bon soutien des bailleurs de fonds. On veut développer des relations « gagnantes-gagnantes » et durables avec le milieu et étendre le développement et le rayonnement de l’UdeS. Le développement de partenariats en Montérégie est à poursuivre. On voit le PIC comme une véritable initiative d’innovation sociale.
SA – Nos équipes étudiantes interviennent autant en amont qu’en aval des enjeux et, souvent aussi, leurs interventions répondent à des urgences dans lesquelles leurs expertises sont plus que bienvenues.
IL et SA – Le PIC permet vraiment de positionner l’UdeS comme contributrice à ses communautés locales. Il est clair pour nous que PIC est une solution nécessaire pour le milieu et qu’il peut encore se développer pour atteindre son plein potentiel. À cet égard, nous souhaitons aussi mieux étudier les freins et facilitateurs de l’écosystème « cours, PIC et organisations partenaires ». Différentes discussions avec des partenaires du milieu sont en cours pour évaluer les options d’ancrage et d’impact amplifiés dans le milieu.
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