« L’utilisation de classes extérieures sur les campus des établissements d’enseignement supérieur représente une solution pour augmenter les activités en présence. Si elles contribuent à augmenter le nombre d’espaces d’enseignement, leur apport est surtout lié à la qualité de l’expérience qu’elles peuvent offrir, qui plus est, dans des environnements d’apprentissage rarement exploités. »
– Ayotte-Beaudet, Beaudry, Bisaillon, Cordeau, juin 2020, p.3
Perspectives SSF s’est entretenu avec le professeur Jean-Philippe Ayotte-Beaudet, du Département de de l’enseignement au préscolaire et au primaire de la Faculté d’éducation, qui assume la coordination pédagogique du projet de classes extérieures. Leur développement survient dans l’éclatement des contextes d’enseignement de ces dernières années. En plus de la formation à distance, de la formation en milieu de travail, on a vu l’avènement des classes d’apprentissage actif, des laboratoires de simulation, des fablabs (comme le Studio de création), etc. comme autant d’alternatives à la salle de classe traditionnelle.
D’après le professeur Ayotte-Beaudet, le fait que l’on soit passé du paradigme de l’enseignement vers le paradigme de l’apprentissage explique en partie tous ces changements : « Du point de vue de la recherche, les sciences de l’éducation sont encore jeunes, mais on se demande de plus en plus ‘Comment les élèves et les personnes étudiantes apprennent le mieux et comment les apprentissages demeurent?’. Il s’agit ensuite de mettre en place les meilleures modalités pour que ça fonctionne. Comme pour d’autres dispositifs, la pédagogie en plein air dépend des intentions d’apprentissage. Ce n’est pas l’unique ressource, mais une alternative parmi une diversité d’autres pour mieux enseigner ce que l’on a à enseigner. »
Il nous relate la genèse du projet : « Avant la pandémie, on prévoyait déjà deux sites extérieurs dans le plan d’aménagement du campus en lien avec le plan de développement durable. Évidemment, la COVID-19 et les mesures de distanciation en ont accéléré le mouvement. L’engouement est bien réel du côté de la direction de l’Université de Sherbrooke. Il y a une volonté que ce soit là pour longtemps. Ce sont eux qui m’ont d’ailleurs approché pour que je coordonne la dimension pédagogique de cette initiative. »
Pour le professeur Ayotte-Beaudet, le plus grand défi de la mise en place de ces classes extérieures cet été a été l’absence de modèle et d’expérience comparable. « C’est certain que l’utilisation de ces nouveaux espaces est déstabilisante pour les personnes enseignantes qui tentent l’expérience pour la première fois. Nous offrons de nouveaux milieux d’apprentissage et des enseignantes et enseignants acceptent de chambouler leurs manières d’enseigner. Ce sont de véritables pionniers au sens où ils n’ont souvent pas connu eux-mêmes de tels environnements en tant qu’étudiantes et étudiants. Ils trouveront certainement la manière de les utiliser selon leurs besoins respectifs. » Sa plus grande fierté par rapport à ce projet? « Des enseignantes et enseignants utilisent les classes extérieures une première fois, une seconde fois, etc. Nous innovons et c’est toujours plein de défis. Les gens semblent avoir assez confiance pour recommencer. Ils en parlent. Ce sont comme des étincelles qui pourraient allumer un brasier… C’est inspirant.»
Enseigner dehors, qu’est-ce que ça donne?
Quelle valeur ajoutée offre les classes extérieures pour la formation des étudiantes et étudiants? Comment les enseignantes et enseignants peuvent-ils les accompagner dans ce nouvel environnement d’apprentissage? Jean-Philippe Ayotte-Beaudet nous explique qu’il importe d’abord de distinguer la pédagogie en plein air (approche) des classes extérieures (infrastructure). Ces dernières rendent possible une transition par étapes, alors que les enseignantes et enseignants sont en mesure de faire des tests dans un environnement parfois similaire et parfois complètement différent des classes intérieures traditionnelles.
La pédagogie en plein air permet d’intégrer des pédagogies plus actives à l’enseignement, des manières d’enseigner qui demandent une plus grande mobilité pour mettre les étudiantes et étudiants en action. « Il existe de la littérature scientifique qui tente de déterminer si le fait de mobiliser de l’énergie physique favoriserait les apprentissages en profondeur. On peut également penser qu’apprendre à l’extérieur peut favoriser les apprentissages signifiants, que cela permettrait d’appliquer et de mobiliser des apprentissages en contexte proche de la pratique », mentionne le professeur Ayotte-Beaudet [nos emphases].
D’après lui, quel que soit l’environnement, il faut que les enseignantes et enseignants soient explicites quand à leurs intentions d’apprentissage et à leurs attentes s’ils veulent que les étudiantes et étudiants perçoivent une amélioration dans leurs apprentissages. « Si j’utilise la classe extérieure, mes étudiantes et étudiants doivent savoir pourquoi je le fais. Ils doivent aussi savoir comment ils sauront s’ils ont appris. Ne pas être préparé fait perdre du temps précieux à tout le monde, peu importe le contexte d’apprentissage… » Dans le même ordre d’idée, le professeur Ayotte-Beaudet convient qu’apprendre à l’extérieur peut comporter des enjeux pour certaines personnes, au niveau de l’attention par exemple. Il appartient alors à l’enseignante et l’enseignant de mettre en place des modalités inclusives qui bénéficieront à tous… et qui pourraient également servir dans une classe intérieure.
« La pédagogie en plein air n’est pas un dogme. C’est une option de plus à considérer, une occasion de réfléchir autrement. Il s’agit de mettre en rapport les avantages qu’elle offre et les inconvénients qu’elle apporte. Aux enseignantes et enseignants de déterminer si ça les sert ou pas. L’important, c’est qu’une professeure, un professeur ou une personne chargée de cours soit toujours en mesure de défendre ses choix pédagogiques, quels qu’ils soient. Par exemple, la pédagogie par projets est fort intéressante, mais elle ne s’applique pas partout… »
De la recherche « terrain »
L’utilisation des classes extérieures offre à Jean-Philippe Ayotte-Beaudet un terrain exceptionnel pour mener différentes recherches sur la pédagogie en plein air. S’il est trop tôt pour des conclusions, il évoque les questions qui l’animent : « D’abord, nous allons vouloir décrire comment les choses se sont passées. Il nous faudra documenter quel genre d’enseignantes et d’enseignants les utilisent. Pour quelles raisons? Quelle est l’expérience d’apprentissage des étudiantes et étudiants? Est-ce qu’ils font les apprentissage? Après tout, c’est le but de toute nouvelle approche pédagogique; il faut que ça serve. »
Avec la professeure Marjorie Desormeaux-Moreau de l’École de réadaptation de la Faculté de médecine et des sciences de la santé, il prépare un sondage destiné aux étudiantes et étudiants, qui vise à rendre compte des expériences de ces derniers dans les classes extérieures. « On sait par la littérature scientifique que les activités sur le terrain, celles qui permettent un contact avec la nature, favorisent la motivation, la coopération et diminuent le stress au primaire et au secondaire. Mobiliser son énergie permet-il de mieux apprendre en enseignement supérieur, chez les adultes? On sait aussi que de rester assis trois heures est difficile cognitivement. L’activité physique favorise l’attention. Quel est le niveau d’attention maintenu? Nos recherches tenteront de le vérifier. » [nos emphases]
Alors qu’ailleurs l’implantation des classes extérieures se fait plutôt de façon ad hoc, l’Université de Sherbrooke a choisi de procéder de façon structurée. C’est sans doute ce qui fait que cette initiative intéresse d’autres universités québécoises, de même que des gens de partout, jusqu’en Europe… Plusieurs disciplines pourraient être intéressées par cette nouvelle approche. Par exemple, un campus universitaire est un véritable laboratoire vivant en histoire, en génie du bâtiment, en sciences politiques, mais aussi en sciences de l’activité physique ou en sciences de l’environnement et de la vie. Les classes extérieures et, plus généralement, la pédagogie en plein air pourraient répondre aux besoins diversifiés de ces différentes filières. À terme, faudra-t-il envisager l’installation de classes extérieures permanentes?
Jean-Philippe Ayotte-Beaudet invite toute personne intéressée par ces questions ou qui veulent s’impliquer dans le déploiement de ces espaces, à le contacter.
Ressources
Ayotte-Beaudet, Jean-Philippe, Marie-Claude Beaudry, Véronique Bisaillon, Patrice Cordeau, Classes extérieures dans l’enseignement supérieur en contexte de Covid-19 au Canada – Guide pour appuyer les directions lors des premières étapes d’implantation, juin 2020, 20 p.
Ayotte-Beaudet, Jean-Philippe, Marie-Claude Beaudry, Véronique Bisaillon, Marianne Dubé, Classes extérieures dans l’enseignement supérieur en contexte de Covid-19 au Canada – Guide pour appuyer les personnes enseignantes, août 2020, 20 p.