par Véronique Tremblay
Nous remarquons dans la presse spécialisée que les compétences recherchées par les employeurs, tous secteurs confondus, ont évolué ces dernières années, et qu’elles sont appelées à continuer d’évoluer.
En effet, selon le plus récent rapport du World Economic Forum (WEF), The Future of Jobs 2018, la grande majorité des employeurs s’attendent à ce que d’ici 2022 les compétences requises pour accomplir la plupart des emplois aient considérablement changé par rapport à aujourd’hui. Le tableau ci-dessous permet de constater le mouvement de popularité des compétences attendues des employés par les employeurs.
Comme on peut le constater, la capacité d’analyse des informations ainsi que l’esprit d’innovation arrivent en 1re place. Les capacités d’apprendre en continu et de métacognition se positionnent en 2e place. La créativité, l’originalité et l’esprit d’initiative occupent la 3e place. On parle d’employés qui auront la capacité de développer de nouvelles idées et solutions aux problèmes. L’intelligence émotionnelle, le leadership et l’influence sociale ainsi que l’orientation vers les services devraient également connaître une augmentation singulière de la demande par rapport à leur importance actuelle.
Le rapport du WEF souligne également que, selon le secteur d’affaires et la géographie, entre la moitié et les deux tiers des entreprises auront probablement recours à des contractants externes, du personnel temporaire et des pigistes pour combler les lacunes en matière de compétences. Une approche globale de la planification des effectifs, de la requalification et du développement des compétences par le perfectionnement seront les clés d’une gestion positive et proactive de ces tendances.
Au-delà des compétences techniques
Pôle emploi, un établissement public à caractère administratif chargé de l’emploi en France, soulevait que 6 employeurs sur 10 affirment que les compétences comportementales sont plus importantes que les compétences techniques. On entend par compétences comportementales les soft skills, les compétences d’employabilité ou le savoir-être. Les diplômes seraient toutefois davantage pris en compte dans les domaines de l’action sociale, des activités spécialisées, scientifiques et techniques et dans le secteur de l’information et de la communication.
Plus près de nous, des études comme celle de la Banque Royale du Canada (RBC) expliquaient récemment que les candidates et candidats devront présenter des aptitudes « humaines » pour demeurer concurrentiels sur le marché du travail et cela, en dépit de la pénurie de main-d’oeuvre. La demande d’aptitudes comme l’esprit critique, la coordination, la perspicacité sociale, l’écoute active et la résolution de problèmes complexes augmentera dans tous les secteurs d’emploi.
L’intelligence émotionnelle, le leadership et l’influence sociale ainsi que l’orientation vers les services devraient connaître une augmentation singulière de la demande par rapport à leur importance actuelle
Selon cette étude de RBC, certaines habiletés en lien avec le savoir-être gagneront aussi à être cultivées, comme la sensibilité aux autres cultures, la pratique de plusieurs langues et l’adaptabilité. Le discernement et la capacité à prendre une décision seront les deux qualités essentielles pour occuper pratiquement tous les postes de demain. La capacité à gérer du personnel et des ressources sera un incontournable pour plus des deux tiers des emplois de demain. La littératie numérique, soit la capacité de comprendre et d’utiliser les technologies de l’information et des communications, sera nécessaire pour occuper tous les nouveaux emplois.
Pourquoi le savoir-être et les compétences relationnelles sont-ils importants aux yeux des employeurs?
La réponse est simple : de telles compétences viendraient répondre à plusieurs des priorités des entreprises.
Pôle emploi soulevait le fait que l’intérêt des entreprises à valoriser le savoir-être augmente lorsqu’elles déclarent avoir eu des difficultés à garder leur personnel. Or, on sait que pour la majorité des entreprises, le roulement de personnel compte parmi leurs plus grandes préoccupations. Aux États-Unis, une étude réalisée par la Harvard Graduate School of Education explique que les compétences relationnelles réduisent les coûts de coordination, permettant aux travailleurs de se spécialiser et de travailler ensemble plus efficacement. Selon Forbes, les entreprises qui favoriseraient le travail collaboratif seraient plus susceptibles d’être performantes : « 80% des entreprises considèrent que la collaboration est bénéfique pour l’entreprise ».
Il est possible de postuler que le monde du travail se modifiant avec l’automatisation, les compétences relationnelles seraient ce qui distingue les humains des robots et autres machines dotées d’intelligence artificielle. De plus, les nouvelles technologies font émerger de nouvelles compétences qui s’appuient sur de nouvelles tâches. À cet égard, le professeur Kai-Fu Lee, ancien cadre des géants Google et Microsoft, évoquait dans son livre AI Superpowers: China, Silicon Valley, and the New World Order que mettre l’accent sur les habiletés relationnelles serait l’une des façons de se préparer pour le futur.
Le savoir-être est aussi important que le savoir ou le savoir-faire dans le maintien en emploi
Enfin, ce ne serait pas les compétences techniques qui feraient défaut le plus souvent dans le cas d’un congédiement. Le savoir-être est aussi important que le savoir ou le savoir-faire dans le maintien en emploi. L’étude internationale CEO Success de PwC − qui analyse la succession des dirigeants de 2500 sociétés cotées au monde − révélait en 2016 que les congédiements de dirigeants pour manquement à l’éthique ont augmenté de 36 % entre les périodes 2007-2011 et 2012-2016.
L’impact sur le recrutement
L’intérêt des employeurs pour le savoir-être se reflète de plus en plus dans les processus de recrutement et ce, bien que leur identification et leur évaluation ne soient pas évidentes. En effet, le savoir-être se manifeste dans des comportements qu’il n’est pas facile de transcrire dans un curriculum vitae.
Dans son rapport Tendances mondiales du recrutement 2018, LinkedIn soulève que pour 63 % des entreprises, l’entrevue traditionnelle est inefficace pour l’évaluation des compétences relatives au savoir-être. De nombreuses méthodes sont utilisées par les recruteurs pour évaluer la personnalité et le comportement d’un candidat. Les organisations doivent mettre en place des stratégies pour dépister ces compétences lors des entretiens d’embauche. Selon LinkedIn, 5 nouvelles techniques sont de plus en plus utilisées pour pallier les faiblesses de l’entrevue traditionnelle à révéler le savoir-être d’un candidat ou d’une candidate : les tests de compétences interpersonnelles, les auditions de recrutement, les entrevues dans un environnement plus détendu, l’évaluation par réalité virtuelle, les entrevues par vidéo (enregistrées ou en direct).
Force est de constater que les entreprises s’intéressent aux compétences relationnelles dès l’embauche, mais les candidates et candidats doivent aussi apprendre à les développer et à les mettre en valeur lors de leur recherche d’emploi. Dans ce sens, la Chambre de commerce du Canada, dans un rapport en mars 2018 qui examinait l’impact de la technologie et les implications pour les systèmes de formation et le développement des compétences, soulignait l’importance de fournir au plus tôt aux étudiantes et étudiants des renseignements utiles et pertinents sur la demande de compétences dans le marché du travail.
Sources
Humains recherchés − Facteurs de réussite pour les jeunes Canadiens à l’ère des grandes perturbations, Banque Royale du Canada, 2018.
Chamkhi, Amine, Frédéric Lainé, Yang-Min Lim, Murielle Matus et Nicolas Prokovas, Direction des statistiques, des études et de l’évaluation, « Comment les employeurs sélectionnent les candidats qu’ils retiennent dans leur recrutement? », Pôle Emploi, no 23, mars 2018.
Tendances en ressources humaines pour 2019, Morneau Shepell, octobre 2018.
The Growing Importance of Social Skills in the Labor Market, Harvard Graduate School of Education, mai 2017.
Chabal, Audrey, « La collaboration est bénéfique à l’entreprise », Forbes, 3 mai 2018.
Are CEOs less ethical than in the past?, PwC, 2016.
Compétences pour un futur automatisé, Chambre de commerce du Canada, mars 2018.
« L’industrie 4.0 − L’humain au cœur de la transformation numérique », Bulletin d’information Espace Conseils PME, janvier 2018.
Gallo, Carmine, « A Global AI Expert Identifies The Skills You Need To Thrive In The Next 15 Years », Forbes, 4 octobre 2018.
Deloitte Global Human Capital Trends Survey, 2018.
LinkedIn Talent Solutions, Tendances mondiales du recrutement 2018.