À McGill, « presque un étudiant sur trois (30 %) souffre d’anxiété, de dépression ou de stress sévère. En fait, il y a tellement d’étudiants en détresse psychologique que les demandes d’aide ont augmenté de 25 % en 5 ans et que l’Université peine à fournir des ressources sufsantes pour y faire face ». (Dubreuil, 2018) D’après une étude réalisée par la Fédération des associations étudiantes du campus de l’Université de Montréal en 2016 :
[U]n étudiant universitaire sur cinq montre des signes de dépression qui nécessitent une consultation; 8 % ont même eu des pensées suicidaires au cours de la dernière année, trois fois plus que la moyenne de leur groupe d’âge. […] Plusieurs étudiants souffrent d’isolement. Ils subissent une grande pression de performance et ils ont une grande charge de travail…
Fortier 2018
Psychologue depuis plus de 30 ans à l’Université de Sherbrooke, Johanne Bernatchez, directrice du Service de psychologie et d’orientation aux Services à la vie étudiante, peut témoigner de cette évolution : « C’est vrai que l’on constate une hausse des demandes, qui ont doublé depuis 10 ans. Les problèmes qui nous sont présentés sont de plus en plus complexes, incluant souvent des composantes relationnelles, familiales, financières, etc. »
Ces indicateurs doivent-ils préoccuper le milieu universitaire? Quelles sont les conséquences de cette détresse sur la présence, l’attention et la performance en classe?
Vous avez dit « anxieux »?
D’abord, il faut noter que l’on parle davantage de santé mentale en Occident qu’avant. Par exemple, il y a moins de tabous autour du fait d’aller consulter en psychologie. Il est possible que l’augmentation de demandes d’aide provienne surtout de cette libéralisation de la parole (Lipka, 2018).
Dans le cadre d’un numéro du Chronicle of Higher Education consacré à l’anxiété chez les étudiantes et étudiants des colleges, Julian Wylie (2018) a réuni les statistiques américaines suivantes.
- Plus d’un élève sur quatre déclare des symptômes d’anxiété (The Healthy Minds Study, 2016-2017).
- Plus de 4 étudiants de première année sur 10 disent se sentir dépassés par tout ce qu’ils ont à faire, comparativement à moins de 2 sur 10 en 1985 (The American Freshman: National Norms, automne 2016).
- 26 % des étudiants de 1er cycle et 17 % des étudiants diplômés et professionnels déclarent que l’anxiété a eu une incidence sur leur rendement scolaire (American College Health Association National College Health Assessment, printemps 2017).
- Pendant sept années consécutives, l’anxiété a été le principal motif de consultation chez les étudiants demandant des services de santé mentale (Association for University and College Counseling Center Directors Annual Survey, 2015-2016).
- Près de 3 étudiants sur 4 qui ont eu recours aux services de counseling affirment que le fait de le faire a contribué à améliorer leur rendement scolaire (Association for University and College Counseling Center Directors Annual Survey, 2015-2016).
« L’anxiété est un mot qui figure dans environ 75 % des demandes d’aide que nous recevons au Service de psychologie et d’orientation. Plusieurs étudiants qui vivent du stress ou un inconfort émotionnel (tristesse, colère, etc.) ont tendance à désigner ces états comme étant de l’anxiété », précise Johanne Bernatchez. Il est vrai qu’une partie des étudiants présentent des manifestations anxieuses, comme le cœur qui palpite, des pensées craintives qui roulent sans arrêt à leur esprit, des troubles de sommeil, etc. Ce serait le plus souvent le résultat de multiples sources de stress concurrentes et qui, incidemment, disparaissent lors des vacances.
Johanne Bernatchez distingue ces manifestations des véritables troubles anxieux qui concernent une minorité d’étudiants : « Il s’agit alors de psychopathologies qui peuvent se devenir chroniques avec le temps et qui présentent bien souvent une composante biologique et héréditaire. Il existe plusieurs types de troubles anxieux tels que l’anxiété généralisée, le trouble panique ou l’agoraphobie, etc. Les troubles anxieux présentent les mêmes manifestations anxieuses décrites précédemment mais elles sont généralement plus sévères et souffrantes. Elles ne disparaissent pas lorsque les sources de stress sont éliminées. Un traitement pharmacologique peut grandement aider à en atténuer les symptômes. »
Quels impacts sur l’apprentissage?
« On peut présumer que [la détresse étudiante] est une cause majeure d’échec scolaire », dit Guillaume Lecorps, président de l’UEQ [Union étudiante du Québec]… (Fortier, 2018) Radio-Canada rapportait qu’en 2015-2016, à l’Université St-Boniface au Manitoba, 45 % des demandes d’accommodement (davantage de temps pour une évaluation, local séparé, etc.) étaient motivées par des problèmes de santé mentale (anxiété, bipolarité, attaques de panique) et non des troubles cognitifs (TDAH, spectre de l’autisme, etc.). [Lanthier et Bitu Tshikudi, 2018]
« If we could ‘calm down,’ we would, » one student wrote. « Obviously. » Several fear that they are dismissed as lazy. If they don’t come to class, they say, sometimes it’s because they can’t come to class. If they don’t speak in class, they may still be engaged, just terrified. Some worry that anxiety prevents them from reaching their potential, and many feel uncomfortable asking for help — or they don’t know what to say or whom to ask.
Lipka, 2018
Johanne Bernatchez confirme que la personne aux prises avec une psychopathologie, comme un trouble anxieux, éprouvera des difficultés cognitives comme des difficultés d’attention et de concentration, et même de rétention au niveau de la mémoire. Il en va de même lorsqu’il s’agit de manifestations anxieuses dues à trop de stress. Le stress est pourtant une réaction normale à tout évènement externe réel. Bien dosé, il permet une vigilance et une attention accrue qui peuvent être positives, rappelle-t-elle.
Certains moments du parcours étudiant sont particulièrement stressants : la première année d’études où les étudiantes et étudiants font face à de nombreuses adaptations (vie en appartement, gestion d’un budget, nouvelles exigences académiques, etc.), les travaux pratiques, les évaluations (parfois plusieurs la même journée). On peut supposer qu’une étudiante ou qu’un étudiant stressé ou angoissé aura moins d’ouverture aux nouvelles méthodes pédagogiques qui lui demandent de prendre des risques et de s’investir différemment, voire davantage. De même, les dernières étapes du parcours universitaire jusqu’au diplôme suscitent aussi leur lot d’adaptations, alors que les étudiants doivent parfois faire certains deuils d’une carrière idéalisée.
Johanne Bernatchez ne souscrit pas à la thèse d’une « génération fragile » présentée dans plusieurs médias (Henry, 2014; Dubreuil, 2018) : « Ce sont de jeunes adultes qui sont encore à former leur identité, dit-elle. Ils sont souvent très impliqués et tentent de mener une vie équilibrée face aux nombreuses exigences sociales. Ils travaillent presque tous, veulent être en santé, souhaitent réussir sur les plans sentimental et professionnel. Ils ont souvent une perception linéaire des études qui leur donne l’impression qu’ils y jouent leur avenir : ils doivent trouver ′′le bon programme′′ et veulent y performer… Franchement, je les trouve bons de s’en sortir compte tenu des nombreuses sources de stress rencontrées. Ils en mènent large. »
À l’Université de Montréal, Dania Ramirez cible ce même ′′trop′′ qui mène les étudiants à brûler, en quelque sorte, leurs moteurs. ′′On leur en demande beaucoup, dit-elle, en soupirant. Nos étudiants sont souvent hyper performants. Outre leur domaine d’études, ce sont des athlètes, des musiciens, des polyglottes, ils voyagent, etc. Mais à un moment donné, un être humain a des limites.′′
Dubreuil, 2018
Mais les étudiants ne sont pas tous pareils et les étiquettes générationnelles ou autres sont rarement aidantes. Certains discours sont aussi à éviter pour ne pas créer de stress indu. Qu’il s’agisse de l’enseignant qui minimise les difficultés de ses étudiants parce qu’il est « déjà passé par là » ou de celui qui démotive les étudiants qui ont des notes plus faibles parce qu’ils « ne réussiront pas à se placer ».
Les enseignants peuvent-ils aider? Est-ce même leur rôle?
S’il n’est évidemment pas dans le mandat ou la compétence des universités de traiter les étudiantes et étudiants atteints de maladies mentales (Henry, 2014), certains universitaires proposent tout de même des pistes de soutien pour les accompagner. Les services de soutien psychologique comme le Service de psychologie et d’orientation sont au cœur de la solution, mais ils sont parfois débordés. En effet, le ratio psychologue/étudiants peut atteindre 1/3500 dans certaines grandes universités américaines (Diaz et Douglas, 2018).
On suggère aux étudiantes et étudiants de pratiquer la méditation, de maintenir des loisirs malgré la rédaction d’un mémoire ou d’une thèse (Szetela, 2018). Des institutions offrent des ateliers préparatoires avant l’entrée en première année (Stoltzfus, 2015), d’autres forment leur personnel à donner des « premiers soins psychologiques » (Diaz et Douglas, 2018). Un cours sur la joie à l’Université Yale a fait la manchette par sa popularité, réunissant 1200 étudiantes et étudiants, soit le quart de l’effectif de premier cycle (Shimer, 2018).
Du point de vue des étudiants, les professeurs et chargés de cours demeurent des modèles de rôle en termes de réussite et de vie épanouie. Plusieurs étudiantes et étudiants font confiance à ces modèles et se tournent vers eux lorsqu’ils sont désemparés. Johanne Bernatchez suggère que les membres du personnel enseignant prennent d’abord le temps d’accueillir les étudiants en détresse qui viennent vers eux. « Il s’agit simplement d’écouter calmement, ce qui a généralement un effet apaisant, dit-elle. On peut aussi questionner sommairement pour saisir ce que la personne a compris d’une situation donnée (travaux, échec, etc.). Cela permet assez souvent de relativiser, voire de corriger une perception erronée (c’est particulièrement vrai pour les personnes anxieuses). Il sera bien sûr possible d’orienter par la suite l’étudiant vers le Service de psychologie et d’orientation ou le service adéquat. Dans les situations où la personne nécessite une intervention rapide (ce que le Service de psychologie et d’orientation appelle une demande d’aide immédiate), le délai pour rencontrer un psychologue est d’une heure au maximum. »
When someone shows concern, or simply listens, that can make all the difference, students say. […] Being approachable is always salient: « If you are willing to talk to students, » one wrote, « or walk them to a counselor on campus who can, then you may be helping more than you know. »
Lipka, 2018
Malheureusement, l’organisation de la vie universitaire et l’hygiène de vie pratiquée par certains enseignants ne sont peut-être pas toujours recommandables pour une bonne santé mentale. Que l’on pense à la récente étude de l’Association canadienne des professeures et professeurs d’université sur les conditions de travail des chargés de cours canadiens où l’on apprenait que « 87 % des répondants estiment que leur emploi a eu des répercussions négatives sur leur santé mentale, caractérisée notamment par l’anxiété chronique ». Dans une lettre d’opinion, Adam Szetela, un doctorant et chargé de cours en sociologie, montre que la carrière professorale avec sa pression inhérente à produire n’est guère plus reposante :
[…] In academe, the fear that one is not being productive is also rooted in the real possibilities of disaster that permeate the landscape of the ivory tower. Many, if not most, Ph.D. recipients will never get a tenure-track job. If you get a tenure-track job and are not awarded tenure, it can mark the end of your career. Thus, academics are compelled to « publish or perish. » As a consequence, they feel anxiety when they do not do the things that they could do to secure their professional futures.
2018
Un enseignant qui parvient malgré tout à maintenir une vie équilibrée avec des intérêts diversifiés et la possibilité de prendre le temps de converser avec ses étudiantes et étudiants peut néanmoins devenir un modèle de santé mentale. Prêcher par l’exemple demeure une valeur sûre.
Sources
Bhardwa, Seeta. « Student Experience Survey 2018: Keeping mental health in mind », Times Higher Education, 22 mars 2018.
Canadian Association of University Teachers. Shattering myths about contract academic staff, Rapport, septembre 2018.
Diaz, Clemente et Douglas A. Medina. « Universities need a communal approach to mental health », Times Higher Education, 20 septembre 2018.
Dubreuil, Émilie. Nous sommes une génération analphabète sur le plan émotif : le mal-être ravage les campus, Radio-Canada, 26 avril 2018.
Fortier, Marco. « La détresse psychologique préoccupe les étudiants universitaires », Le Devoir, 1er juin 2018.
Henry, Joe. « Campuses cannot be a treatment facility for students under stress », Education – The Globe and Mail, 29 avril 2014.
Lanthier, Sylviane et Bitu Tshikudi, Patricia. Santé mentale : les étudiants plus nombreux à demander des accommodements aux universités, Radio-Canada, 1er février 2018.
Lipka, Sara. « ′′I Didn’t Know How to Ask for Help′′: Stories of Students With Anxiety », The Chronicle of Higher Education, 4 février 2018.
Schmalz, Julia. « Facing Anxiety: Students Share How They Cope and How Campuses Can Help » (vidéo), The Chronicle of Higher Education, 11 décembre 2017 [7 min 23].
Shimer, David. « Yale’s Most Popular Class Ever: Happiness », New York Times, 25 janvier 2018. Stoltzfus, Kate. « Students Who Feel Emotionally Unprepared for College Struggle in the Classroom »,
The Chronicle of Higher Education, 8 octobre 2015.
Szetela, Adam. « Feeling Anxious? You’re Not the Only One », The Chronicle of Higher Education, 13 avril 2018.
Wylie, Julian. « By the Numbers: Students’ Mental Health », The Chronicle of Higher Education, 4 février 2018.