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Données probantes en éducation : l’exposé magistral, version 2.0

L’exposé magistral est sur la sellette depuis quelques années. On lui oppose des méthodes pédagogiques où l’étudiant réalise des activités d’apprentissage qui le font s’engager dans un processus plus actif que le cycle de lecture, écoute et prise de notes. Il reste cependant bien des auteurs pour défendre l’exposé magistral. Entre les deux, des chercheurs identifient des approches mitoyennes plus efficaces que l’exposé traditionnel. Bienvenue dans le monde de l’exposé magistral 2.0.

Voici un survol de trois variantes de l’enseignement magistral dont on a prouvé qu’elles étaient plus efficaces que l’exposé traditionnel précédé de lectures. Chacune de ces méthodes a été testée dans des devis expérimentaux rigoureux, s’inscrivant dans le courant de l’evidence-based teaching.

La peer instruction

Cette méthode a été conçue par le professeur de physique Eric Mazur, de l’Université Havard. Face à des classes d’introduction à la physique bondées de centaines d’étudiants, Mazur a cherché à rendre ses exposés plus interactifs et à favoriser un apprentissage plus en profondeur, malgré ce contexte particulier d’enseignement.

La méthode débute avant le cours, par des lectures préalables. Le cours lui-même est ensuite divisé en plusieurs blocs d’explications courts qui couvrent chacun un concept clé.

Un bloc d’explication se déroule en trois étapes.

1. Le professeur explique le concept et termine son exposé avec une mise en situation (souvent illustrée) qui demande aux étudiantes et étudiants d’appliquer le concept pour répondre à une question à choix multiples.

2. Les étudiants soumettent une réponse (les télévoteurs sont très utiles à cette étape), puis discutent de leur réponse avec leur voisin pour expliquer leur raisonnement. Le professeur circule pour écouter les discussions. Au terme des échanges, les étudiantes et étudiants peuvent soumettre une 2 e réponse s’ils ont changé d’idée. Cette étape dure de 2 à 4 minutes.

3. Le professeur prend acte des réponses, explique la bonne réponse et passe au prochain concept. Son explication de la bonne réponse sera influencée par ce qu’il a entendu des discussions entre étudiants et par la répartition des réponses choisies. Il aura ainsi une meilleure idée de ce qui est bien compris et de ce qui demande des explications supplémentaires, pouvant alors concentrer ses efforts là où ils sont le plus utiles. Au besoin, le professeur donnera aussi des explications sur les mauvaises réponses qui ont été choisies par plusieurs étudiants.

La peer instruction a depuis été appliquée avec succès dans une variété de disciplines des sciences pures, appliquées et humaines.

L’interteaching

D’abord élaborée par les professeurs de psychologie Thomas Boyce et Philip Hineline, cette méthode a ensuite été testée rigoureusement par le professeur de psychologie Bryan Saville.

Comme la peer instruction, elle débute par des lectures préalables, mais ce travail préparatoire est plus structuré que dans la peer instruction. Le professeur fournit aux étudiantes et étudiants un guide préparatoire qui consiste en une série de questions visant à orienter les lectures obligatoires.

Le cours commence avec un exposé de clarification qui fait un retour sur les sujets les plus exigeants de la séance précédente.

Après l’exposé, les étudiants se réunissent en paires pour discuter de leurs réponses aux questions du guide préparatoire. Ils «s’enseignent mutuellement» (interteaching) leur compréhension du matériel. Le professeur et ses éventuels assistants circulent parmi les équipes pour répondre aux questions des étudiantes et étudiants et guider les échanges. On veille en même temps à ce que les discussions se fassent en profondeur. Au terme des discussions, les étudiants remplissent une fiche à remettre au professeur sur la teneur des échanges et sur les parties les plus difficiles. À partir de ces fiches et de ce qu’il a pu observer en circulant entre les équipes, le professeur prépare son exposé de clarification pour le cours suivant.

Pour s’assurer d’un niveau d’implication adéquat, la méthode comporte également des mesures incitatives afin de favoriser la collaboration et l’engagement en profondeur dans l’activité, ainsi que des évaluations fréquentes au cours du semestre.

L’étude préalable de cas contrastants

Cette méthode a été développée par les professeurs d’éducation Daniel Schwartz et John Bransford à partir de travaux antérieurs. Ceux-ci observent que les gens ayant déjà un bon bagage de connaissances dans un domaine apprennent plutôt bien d’une présentation magistrale. Par une série d’expériences, Schwartz et Bransford ont caractérisé le type de connaissances qui permet à une personne de tirer profit d’un exposé.

Leur découverte : pour qu’un exposé soit profitable, il faut avoir fait l’expérience des types de problèmes à résoudre et des questions importantes en lien avec le sujet abordé. Les nouvelles informations présentées se greffent alors à une «structure de connaissances» prête à les accueillir. Le défi consiste donc à développer cette structure de connaissances chez les étudiantes et étudiants avant un exposé.

La méthode consiste à faire étudier avant le cours divers cas dit contrastants, avant de présenter en classe un exposé qui expliquera les principes sous-jacents aux différences entre les cas, ainsi que les implications qui en découlent. Les cas sont conçus pour amener l’étudiant à mettre en évidence les ressemblances et les différences significatives entre des situations similaires, ou entre des objets de même type. Les consignes qui guident l’étude font poser des hypothèses à l’étudiante ou à l’étudiant pour expliquer les différences. L’approche est donc inductive.

Par analogie avec les romans policiers, Schwartz et Bransford croient que l’étude de cas contrastants se compare à l’analyse de différentes «scènes de crime», sans que le déroulement des événements ne soit connu des «étudiants-enquêteurs». Pendant le cours, le professeur dénoue l’intrigue par ses explications.

Par exemple, on pourrait présenter des habitations de plusieurs pays avec des toits différents et faire remarquer aux étudiantes et étudiants comment les formes des toits et les matériaux utilisés sont variés, en leur faisant imaginer des explications pour ces différences (climat, etc.). Pendant le cours, le professeur reprendra les différents cas pour donner les explications.

Conclusion

Ces trois méthodes ont en commun d’amener l’étudiante ou l’étudiant à adopter une approche d’apprentissage en profondeur, tout en conservant les repères familiers de l’exposé magistral. Il existe évidemment d’autres façons d’améliorer l’exposé magistral; celles présentées ici sont proposées à titre d’exemples de méthodes éprouvées.

Pour en savoir plus

Chacune de ces méthodes, de même que leurs fondements pédagogiques, est décrite plus en détail dans la sélection de références suivantes.

Peer instruction

Mazur, Eric (1996), Peer Instruction: A User’s Manual, Addison-Wesley, 253 p.

Crouch, Catherine H. et Mazur, Eric (2001), « Peer Instruction: Ten years of experience and results», American Journal of Physics, vol 69, n o 9.

Mazur, Eric (sans date), Site sur la méthode Peer Instruction.

Vidéos

From Questions to Concepts: Interactive Teaching in Physics (2008), YouTube, [vidéo, durée : 2 m 21].

Mazur, Eric (2009), Confessions of a Converted Lecturer: Eric Mazur, YouTube, [vidéo, durée : 1 h 20].

Interteaching

Boyce, Thomas E., et Hineline, Philip N. (2002), «Interteaching: A Strategy for Enhancing the User- Friendliness of Behavioral Arrangements in the College Classroom», The Behavior Analyst, vol. 25, no 2, p. 215-226.

Saville, Bryan K., et Zinn, Tracy E. (2006), «A Comparison of Interteaching and Lecture in the College Classroom», Journal of Applied Behavioral Analysis, vol 39, n o 1, p. 49-61, doi : 10.1901/jaba.2006.42- 05.

Saville, Bryan K., Lambert, Tonya, et Robertson, Stephen (2011), Interteaching: Bringing Behavioral Education Into the 21st Century», The Psychological Record, vol. 61, n o 1, article 10.

Cas contrastants

Schwartz, Daniel L., et Bransford, John D. (1998), «A Time For Telling», Cognition and Instruction, vol. 16, n o 4, p. 475-522, doi : 10.1207/s1532690xci1604_4.

Schwartz, Daniel L., Chase, Catherine C., Oppezzo, Marily A., et Chin, Doris B. (2011), «Practicing versus inventing with contrasting cases: The effects of telling first on learning and transfer», Journal of Educational Psychology, vol. 103, n o 4, p. 759-775, doi : 10.1037/a0025140.

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