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Le travail d’équipe en contexte multiculturel : Défis et conditions gagnantes  

Les autrices sont conseillères en interculturel à USherbrooke International. 

La présence de personnes étudiantes venues de l’international représente un potentiel de richesse pour notre établissement et pour l’ensemble de nos personnes étudiantes puisqu’elles auront à exercer dans un contexte international ou multiculturel. En même temps, cela apporte plusieurs défis récurrents dans la gestion et les dynamiques de classe et tout particulièrement en ce qui concerne les travaux d’équipe. 

En effet, en lien direct avec la thématique du numéro de ce magazine, la recherche de Bérubé et al. (2021, p.162) fait figurer les travaux d’équipe parmi les principaux « facteurs nuisant à la réussite et à la resocialisation » des personnes étudiantes issues de l’international ou de l’immigration (PÉI), en raison d’enjeux de communication, de méfiance et d’exclusion. 

[Les personnes étudiantes locales (PÉL) vivent également des enjeux, mais dans une moindre mesure, car elles connaissent les attentes et codes du système pédagogique québécois. Les approches inclusives comme la pédagogie universelle aident à cibler des mesures adaptatives qui, partant des enjeux d’un groupe, bénéficient à tous.] 

En tant que personne enseignante, il s’avère donc crucial de…  

  1. se questionner sur la pertinence d’intégrer des travaux d’équipe dans des classes multiculturelles, d’autant plus que c’est loin d’être une pratique courante pour les PÉI, comme ça peut l’être pour une grande majorité de PÉL. Il s’agit donc de prendre un pas de recul pour s’assurer que cette modalité est fondamentalement la mieux arrimée avec les objectifs pédagogiques poursuivis. 
  2. donner priorité à mettre en place des conditions pour favoriser des travaux d’équipe inclusifs et efficaces si, à l’issue de la précédente réflexion, il est choisi d’inscrire le travail d’équipe dans sa planification pédagogique. Les sections suivantes fourniront quelques balises en ce sens. 

La littérature sur les contacts inter-groupes (Allport (1954), Pettigrew (1979)i) montre que la simple exposition à la diversité culturelle est loin de suffire pour créer l’ouverture. Faire travailler ensemble des personnes de sociétés et cultures pédagogiques distinctes sans mettre en place des conditions gagnantes risque fort de faire émerger des effets pervers. Les décalages et incompréhensions inévitables peuvent entraîner des expériences négatives qui renforcent alors les stéréotypes, et mènent parfois à une forme de polarisation entre « nous » et « eux ». On constate aussi que la méfiance générée par de mauvaises expériences en contexte multiculturel à l’université se répercute dans le milieu de travail, ancrant les préjugés envers les collègues issus de l’international.  

Nous nous pencherons donc sur quelques défis majeurs en faisant ressortir des clés d’interprétation interculturelle ainsi que quelques pistes d’action afin de mieux accompagner de telles équipes. 

Conditions gagnantes à mettre en place en amont

Exemple de défi récurent #1 : Groupes cloisonnés - étudiants « québécois » d’un côté et « internationaux » de l’autre 
Les PÉI rapportent qu’elles ne se font pas choisir ou se font « tasser », de sorte qu’elles se retrouvent entre elles pour les travaux d’équipe. Les PÉL craignent de devoir trop soutenir les coéquipières et coéquipiers venus d’ailleurs. 

Clefs d’interprétation : Pourquoi c’est différent en équipe multiculturelle? 

  1. Biais d’endogroupe : En conditions non cadrées, l’être humain tend à attribuer des caractéristiques plus positives aux membres de son propre groupe d’appartenance et donc à s’y associer (surtout en contexte de concurrence), par rapport aux personnes considérées comme extérieures à son groupe (Lépine, 2020). 
  1. Système d’évaluation et pression de performance : notre système d’étude récompense la performance avec une évaluation souvent strictement fondée sur le résultat final, et parfois renforcée par la courbe gaussienne. [S’il y a « normalisation » des notes, la personne étudiante doit se situer au-dessus de la moyenne du groupe pour avoir une bonne note.]
    Dans ce contexte compétitif, ce n’est pas forcément que les PÉL ont des pensées ou comportements délibérément discriminants : simplement, la personne venue d’ailleurs ne connaissant pas les codes académiques d’ici, elle représente un risque de baisse d’efficacité et de rapidité qui peut être nuisible pour l’atteinte d’une note optimale pour le groupe.  
  1. Collaboration et orientations culturelles : Si les PÉI ne se font pas choisir d’emblée, elles ne sont pas non plus proactives. En contexte de groupe, les personnes venues de sociétés plus collectivistes auront tendance à ne pas se mettre en avant, à attendre d’être « élues » par le groupe. De plus, dans ce type de socialisation première, la collaboration et la confiance se fondent sur la relation : plusieurs PÉI rapportent qu’elles cherchent à se montrer aimables et « cools » pour être intégrées à un groupe avec lequel elles vont se montrer solidaires en toutes circonstances. Par contraste, les sociétés plus individualistes comme l’Amérique du Nord accordent leur confiance à des collaborateurs qui vont d’abord démontrer leur efficacité sur la tâche (résultat vs processus). Dans ce contexte, des PÉI qui n’ont pas les mêmes cadres de référence pédagogiques peuvent bien paraître sympathiques, mais pas nécessairement porteuses de valeur ajoutée pour le travail d’équipe visé.  [Des PÉI nous ont confié qu’après avoir compris cela, elles se démenaient pour montrer leur potentiel en contexte de performance : exposer leurs feuilles d’examen pour que les autres voient qu’elles ont obtenu une bonne note, rester dans les salles de labo ou d’étude des heures pour prouver leur sérieux, etc.] 

Pistes d’action : Comment intervenir?

1 — Privilégier d’abord la connexion avant le contenu : Instaurer des espaces pour bâtir la connaissance de l’autre en-dehors du contexte formel ou évaluatif : cela permet de faire diminuer le stress lié à l’inconnu et à la performance, tout en bâtissant un lien favorisant la sécurité psychologique. Ce lien permet à chacun de poser des questions et de faire des propositions. Pour ce faire, ces espaces peuvent être instaurés au sein du cours ou, via une approche programme, lors d’un moment pertinent dans le parcours académique (journée d’intégration, cours commun obligatoire…). 

Voici plusieurs exemples de tels espaces:  

  1. Exploiter la présentation du plan de cours : au lieu que la personne enseignante le présente, créer des petits groupes mixtes (PÉI et PÉL) qui vont discuter des attentes face au cours (présent), de leurs expériences en lien avec la matière (bilan), de leurs visions (futur). Cette activité permet à la personne enseignante, lors du retour en grand groupe, de cerner de possibles écarts, de recadrer au besoin et de voir qui pourrait avoir besoin d’un accompagnement plus ciblé.   
  1. Lors de ces discussions, un point clé devrait porter sur l’explicitation des attentes en lien avec le déroulement du travail d’équipe. En effet, selon plusieurs orientations culturelles et pédagogiques, la plupart des étapes se font en groupe : idéation, recherches, écriture. En Amérique du Nord, on répartit très rapidement le travail en tâches assignées individuellement et on ne se réunit souvent qu’à la fin pour arrimer les parties de chacun après révision et réduction de leur hétérogénéité.  
  1. Faire des activités brise-glace pour valoriser les apports différenciés dans l’équipe : Par exemple, faire se placer les étudiants sur une échelle imaginaire (1 à 10) selon leur réponse à une série de questions : nombre de langues parlées, heures de trajet pour voir sa famille, nombre de pays visités, nombre de pays où on a étudié ou travaillé… On peut ainsi « valoriser » la différence des PÉI. Des questions peuvent aussi porter sur les activités extracurriculaires, ce qui amènera chacun à de montrer sous un autre jour plus personnel, tout en faisant ressortir son potentiel (radio/impro/théâtre pour la prise de parole à l’oral, sport pour l’aspect compétitif, compétences développées dans les petits jobs…). D’autres activités brise-glace visant à créer un sentiment d’appartenance faciliteront grandement la formation d’un « nous » commun au-delà des origines, ainsi que l’intégration des PÉI.  

2 — Forcer les équipes mixtes à condition d’en soutenir la légitimité :   

Se pose souvent la question épineuse : doit-on forcer des équipes culturellement mixtes ? Pour se donner des chances de réussite, il est essentiel d’insister sur la légitimité de cette approche, avec son autorité d’enseignant, et faire un lien direct avec les compétences professionnelles visées, notamment la mise en pratique de compétences relationnelles et interculturelles. Cela sera d’autant plus aisé et porteur si ce rationnel fait partie de l’approche du programme.  

3 — Expliciter les « règles du jeu » ici :   

Une condition majeure de succès en contexte d’équipe interculturelle est que la personne enseignante ou le programme consacre un espace pour traduire aux nouveaux arrivants les attentes de la culture pédagogique d’accueil, même si celles-ci paraissent « évidentes » pour qui a toujours baigné dedans. USherbrooke International peut vous soutenir en proposant de courtes activités dédiées aux PÉI, notamment sur certains de ces éléments majeurs à ne pas sous-estimer :  

  1. Gestion du temps : les PÉI doivent s’habituer sans transition à un rythme très rapide (examens intra au bout de sept semaines, ponctualité rigoureuse notamment pour la remise des travaux (ce qui leur paraît exagéré car, comme elles nous l’ont dit, « de toute façon la personne enseignante ne commencera pas la correction à minuit le soir de la remise »). Dans leurs systèmes pédagogiques d’origine, il y a souvent peu de travaux d’équipe et les évaluations se font essentiellement à la fin du trimestre, avec en cas d’échec des sessions de rattrapage.   
  1. Modéliser la conception de l’intégrité intellectuelle et les conséquences d’un manquement : En termes de référencement et d’autoplagiat, les codes sont bien différents en Europe ou en Afrique. Le cumul d’incompréhensions et d’adaptations pour s’ajuster à la nouvelle culture pédagogique (notamment quand on n’a pas le français pour langue maternelle) conduit parfois à des erreurs et des raccourcis (sources mal ou pas citées, usage de l’IA) qui peuvent avoir de graves conséquences sur le parcours des PÉI. Dans ce cadre, il ne suffit pas que les règles figurent sur le plan de cours ou le site web : il s’agit en tant que personnes enseignantes et programme, d’être un relais humain, un « traducteur culturel » pour modéliser ces règles1 et de prévoir des mesures disciplinaires progressives. 

Cette approche permet aussi à l’équipe et aux PÉL de relayer ces codes au lieu de simplement exclure les PÉI par crainte de subir les conséquences de codes enfreints. Une fois explicitées, ces attentes peuvent faire partie d’un contrat d’équipe (tout comme les attentes sur les modalités du fonctionnement d’équipe, de réduction des sources de problèmes et de résolution de conflit). Ce contrat d’équipe devrait idéalement être revu à mi-session pour l’adapter selon la situation propre à chaque équipe (ajout ou retrait d’items pertinents). 

4 — Associer une forme d’évaluation cohérente avec le travail interculturel :  

Il est crucial que « les bottines suivent les babines », donc de dédier un pourcentage de la note, non seulement au résultat final, mais également au processus.  En effet, ce processus fait partie des apprentissages essentiels d’un travail d’équipe multiculturel : efforts de décentration par rapport à ses cadres de référence habituels, essais-erreurs, confrontation des points de vue, prises de conscience et ajustements qui en découlent, réflexivité pour la suite.  Cela peut prendre la forme…  

  1. d’une autoévaluation individuelle et d’équipe avec des dimensions sur les mesures concrètes mises en place pour la prévention et la résolution des différends, sur l’inclusion de nouvelles idées et de façons de faire différentes de la sienne, etc.  
  1. d’une section réflexive sur les acquis de l’expérience, sur ce qui aurait pu être fait différemment dans un processus d’amélioration continue, ainsi que sur le transfert des compétences acquises dans la vie professionnelle et personnelle.  Ces évaluations de réflexion sur le processus et les apprentissages de soft skills devraient avoir lieu à des moments clés de la session, afin de permettre à l’enseignante ou à l’enseignant de prendre le pouls de ses équipes et d’intervenir au moment opportun (plutôt qu’à la fin de la session). 

Conditions gagnantes à mettre en place pendant (gestion des différends et avancement des travaux)

Exemple de défi récurent #2 : Davantage de conflits dans les équipes multiculturelle 
Les PÉI rapportent qu’elles ne se font pas choisir ou se font « tasser », de sorte qu’elles se retrouvent entre elles pour les travaux d’équipe. Les PÉL craignent de devoir trop soutenir les coéquipières et coéquipiers venus d’ailleurs. 

Clefs d’interprétation : Pourquoi c’est différent en équipe multiculturelle? 

Cette phase « normale » de tension dans le cycle de l’équipe, caractérisée par des différends entre les membres lorsqu’ils confrontent des idées, est attendue, mais cette confrontation est exacerbée lorsque les membres de l’équipe ont été socialisés selon des cadres de référence divergents : normes culturelles et pédagogiques (styles de travail et de communication) différents.

  1. Focus sur l’individu et la tâche OU focus sur le lien et la solidarité: En effet, un « bon » coéquipier est d’abord défini en Amérique du Nord par sa capacité d’initiative autonome, sa responsabilisation et sa performance individuelle. Dans ce cadre, un coéquipier qui attend la réflexion, les discussions et le débat en équipe et, finalement, l’approbation du groupe pour avancer sera perçu comme inefficace. Or, pour plusieurs PÉI c’est le rapport au collectif et la solidarité au groupe qui priment dans le travail d’équipe. 

    Exemple : On entend de façon récurrente des situations où les coéquipiers refont la partie initialement assignée à la PÉI juste avant la remise du travail parce qu’ils la jugent inadéquate pour une bonne note (ex : trop long, pas assez sourcé…). Pour la PÉI, le choc est grand.  Elle ne comprend pas pourquoi ses coéquipiers ne lui en ont pas parlé, car pensant bien faire, elle remettait une ébauche sur laquelle elle attendait leur rétroaction pour finaliser. La frustration a toutes les chances d’escalader des deux côtés : la PÉI est accusée d’inefficacité et de ne pas avoir fourni l’effort demandé ; de son côté, elle perçoit un manque de respect, de solidarité et de l’hypocrisie, car elle n’a donc pas pu démontrer ses véritables capacités et s’ajuster grâce à la rétroaction de l’équipe. 
  2. Styles de communication et de rétroaction (Meyer, 2022): Ce confit réside souvent dans les schémas de communication culturellement attendus. D’un côté, en Amérique du Nord, prédomine un style de communication directe, concise, « to the point » en vue de la tâche visée; de l’autre, une communication plus indirecte, longue et détaillée qui valorise le développement du lien avec les membres de l’équipe.  

    En même temps, d’une manière qui peut paraître paradoxale, lorsque vient le temps de faire des rétroactions négatives, c’est fait en Amérique du Nord sur un mode « indirect ». Pensons à la fameuse « rétroaction sandwich » : on va commencer par un commentaire positif, donner rapidement l’élément négatif et clore la remarque avec du positif. On souhaite avant tout préserver une harmonie consensuelle (en surface du moins) et éviter la confrontation.  

    Or, ce type de rétroaction négative indirecte est souvent difficilement intelligible pour des PÉI venant de systèmes ethnoculturels et pédagogiques où l’on ne va pas passer par quatre chemins pour dire ce qui ne va pas et où la grande majorité du message va se focaliser sur « le négatif », c’est-à-dire sur ce qui doit être amélioré. Ces PÉI pourraient bien ne percevoir que les éléments positifs de la « rétroaction sandwich » au détriment des pistes clé d’amélioration.  

Pistes d’action : Comment intervenir ?

L’expérience et la gestion des désaccords font parties intrinsèques du travail d’équipe. Il s’agit donc…

  1. D’utiliser, voire de célébrer ces opportunités pour en faire des espaces d’apprentissage, ce qui peut paraître d’autant plus délicat dans notre société qui évite le débat et vise d’abord le consensus. Si les désaccords sont perçus comme non souhaités et inutiles, les risques d’escalade sont très grands, surtout en contexte multiculturel.   
  1. D’offrir des espaces et outils pour prendre conscience des divergences et les gérer plutôt que les juger : expliciter les cadres de référence divergents en termes de manifestation des valeurs et de styles de communication et de rétroaction. Créer des activités dédiées au développement des compétences de travail d’équipe en contexte interculturel, qui seront de toute façon bénéfiques à l’ensemble des étudiants.  

Favoriser l’actualisation du potentiel de la diversité ethnoculturelle dans nos classes, notamment dans les travaux d’équipe, nécessite de dédier intentionnellement plus d’espace et de temps afin d’offrir davantage d’encadrement. La réussite des PÉI devient ainsi une démarche de communauté, incluant le personnel du programme, ainsi que les conseillers en interculturel de l’USI ou conseillers pédagogiques du Service de soutien à la formation (SSF) qui pourront apporter leur expérience et leur expertise.  En définitive, c’est une valeur ajoutée pour déployer le potentiel de tous, y compris celui des membres de la société d’accueil, qui peuvent y gagner des apprentissages clés pour toutes les sphères de leur vie professionnelle, personnelle et citoyenne. 

Sources

Allport, G.W. (1954), The Nature of Prejudice. Addison-Wesley;  

Bérubé et al. (2021), Les étudiants internationaux dans le réseau des universités du Québec : pour une meilleure connaissance des interactions en contexte interculturel https://constellation.uqac.ca/id/eprint/7827/1/2_rapport-oi-final.pdf

Meyer, E. (2022), La Carte des différences culturelles : 8 clés pour travailler à l’international, N. Éd. Diateino; Hall (1976) Beyond Culture, Anchor book edition, New York 

Lépine, O. (2020). Biais pro-endogroupe. Dans C. Gratton, E. Gagnon-St-Pierre, & E. Muszynski (Eds). Raccourcis : Guide pratique des biais cognitifs Vol. 1. En ligne : www.shortcogs.com 

Pettigrew, A. M. (1979). “On Studying Organizational Cultures.” In Administrative Science Quarterly 24.4 : 570–581. 

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