[Note : L’autrice et l’auteur tiennent à remercier les membres de l’Assemblée départementale d’informatique de leur ouverture et de leur confiance.]
L’engagement (ou non) des personnes étudiantes dans les travaux d’équipe, la gestion des difficultés interpersonnelles pendant ces travaux et les critiques des personnes étudiantes envers ce mode d’évaluation sont des enjeux vécus dans toutes les facultés et centres. Les travaux d’équipe restent néanmoins une formule fréquemment retrouvée dans les plans de cours. Des membres du Service de soutien à la formation (SSF) ont été interpellés par le personnel enseignant du Département d’informatique de la Faculté de sciences qui souhaitait améliorer ses pratiques enseignantes relativement aux travaux d’équipe.
Contexte, déclencheurs et premières actions

Même si le cinéma et la télé dépeignent souvent un informaticien solitaire devant une myriade d’écrans, il est rare qu’une personne analyste-programmeuse travaille de façon isolée. La rédaction du code informatique, la création des documents de conception et les autres tâches reliées au développement de logiciels sont le plus souvent réalisées de façon coopérative, faisant d’un programme informatique une production collective. En ce sens, l’ensemble des personnes que nous avons rencontrées estime que le travail d’équipe et la collaboration doivent avoir une place dans la formation des analystes-programmeurs. Il n’est donc pas étonnant de retrouver la capacité à travailler en équipe dans la fiche signalétique du programme.
Dans le contexte de la classe, plusieurs personnes enseignantes proposent des travaux d’équipe. Dans les premières années du baccalauréat, ces travaux sont de courts problèmes et devoirs pour lesquels le travail en binômes est suggéré. Plus les personnes étudiantes avancent dans le programme, plus les travaux d’équipe s’allongent et impliquent des équipes de plus en plus nombreuses. Les personnes enseignantes sondées pour notre article voient bien les avantages potentiels du travail d’équipe. C’est ce qu’explique le professeur François Rheault lorsqu’il indique que
« …Le travail d’équipe efficace a le potentiel d’augmenter l’apprentissage. Les personnes étudiantes apprennent beaucoup plus au travers de la pratique et de l’observation qu’à passer deux heures devant un tableau. »
D’un autre côté, ces avantages ne sont pas toujours observés en classe. Alors qu’on avait d’abord supposé que la capacité à travailler en équipe était acquise avant l’entrée à l’université, on doit constater qu’elle varie grandement chez les étudiantes et étudiants inscrits au baccalauréat en informatique. Combiné à des différences culturelles et à des inégalités au niveau des connaissances préalables en informatique, on croit que la méconnaissance de bonnes pratiques de travail d’équipe pourrait avoir mené à des échecs pour plusieurs personnes étudiantes.
Confronté à cette situation, le Département a décidé d’agir. On a d’abord choisi d’imposer la composition des équipes en jumelant une personne jugée plus avancée, avec une personne vivant différents défis (moindre familiarité avec la culture québécoise, parcours plus éloignés de l’informatique, etc.). Cette façon de faire devait favoriser un équilibre dans les équipes et permettre aux personnes ayant des difficultés d’apprendre de leurs partenaires, plus rapides à résoudre les problèmes. Dans les meilleurs cas, « un membre d’un binôme va faire le travail individuellement, pour ensuite le comparer avec son coéquipier et remettre une sommation des deux travaux. », nous raconte Grégoire (nom fictif), un étudiant de première année. Cependant, des enseignants et enseignantes se sont aperçus que les personnes étudiantes les plus avancées se retrouvaient ensemble pour réaliser les travaux. Elles y inscrivaient les noms de leurs partenaires, que cette personne ait participé au travail ou non. Si les personnes étudiantes ayant réalisé les travaux ont pu maintenir des notes élevées, le fossé avec les personnes ayant de la difficulté s’est creusé encore davantage. En effet, les échecs de ces dernières aux examens réalisés de façon individuelle devenaient d’autant plus flagrants.
Face à ces différents constats, le Département d’informatique a choisi d’inviter la conseillère pédagogique déléguée à la Faculté des sciences et le conseiller à la valorisation de la pédagogie, auteurs du présent article, à rencontrer le personnel enseignant lors d’une assemblée départementale en novembre 2024.
Témoignage étudiant« Je crois qu’il y a un moment et un type de travail pour travailler en équipe.
— Coraly, bac en enseignement au secondaire, 2e année, Faculté d’éducation
Les professeurs misent beaucoup sur ces travaux pour nous apprendre à collaborer.
Ils nous mélangent entre profils afin de réunir une multitude de points de vue.
Si le travail le permet, je crois qu’il est bien d’apprendre à collaborer
avec plusieurs types de personne. »
Assemblée départementale : les constats énoncés
Après une revue des objectifs du programme et des fiches signalétiques de certains cours, toutes les personnes présentes s’entendent sur le fait qu’il faut enseigner cette compétence et développer davantage cette dimension de la formation, mais une question demeure : « C’est dans la cour de qui ? ». Toutes les personnes enseignantes manquent de temps dans leurs cours respectifs. On convient que la capacité à travailler en équipe serait en quelque sorte une habileté « méta » développée en parallèle à certains cours, mais qu’il n’y a actuellement pas vraiment d’enseignement formel de cette compétence.
Outre le développement de cette capacité, qui n’est pas clairement réalisé dans le programme, vient la question de l’objectif visé en demandant aux personnes étudiantes de travailler en équipe pour effectuer les travaux à évaluer. Selon Mikaël Fortin, chargé de cours à forfait, « [l]es travaux pratiques en binômes sont la plupart du temps utilisés pour faire apprendre la matière du cours, qui n’est pas elle-même liée aux notions de coopération et de travail en équipe ». Toutefois, comme le soulève Grégoire, « les travaux d’équipe ne sont pas la meilleure façon de déterminer les capacités individuelles des personnes étudiantes ». En fait, François Rheault nous avoue que « la vraie raison pour laquelle autant de travaux en première ou deuxième session se font en équipes, c’est bien souvent pour corriger moins et non pour développer des aptitudes à collaborer. »
Vers la fin du programme, les projets s’approchent davantage de la réalité en emploi et les tâches demandées se complexifient. Le travail d’équipe devient nécessaire, puisque la charge de travail pour la réalisation de projets d’une telle envergure ne pourrait être assumée par une personne seule dans le temps imparti. Mikaël Fortin pense d’ailleurs que collaborer s’apprend mieux en situations professionnelles. Selon lui, « cette compétence est normalement mise en pratique lors des stages. Il y aurait de la place pour la travailler dans certains cours avancés, comme Gestion de projets et Outils de développement ». Mais, même dans ce contexte, la capacité à travailler en équipe n’est que peu ou pas évaluée et il est attendu des personnes étudiantes qu’elles se débrouillent pour se diviser les tâches.
Michel Céré, chargé de cours à forfait, a observé certains enjeux qui vont au-delà de la seule capacité à travailler en équipe, mais qui viennent néanmoins l’influencer. De futures initiatives relatives au travail d’équipe auraient avantage à en tenir compte. – Il note d’abord des obstacles spécifiques au contexte universitaire, comme les conflits d’horaire, le temps d’adaptation à différentes équipes pour les différents cours, la dimension compétitive de l’évaluation qui n’encourage pas la collaboration. – Ensuite, il mentionne les inégalités relatives aux réalités socioculturelles des personnes étudiantes, comme l’accès aux équipements et aux connaissances techniques, les difficultés linguistiques et les différences culturelles. – Finalement, il rappelle que les spécificités individuelles entraînent des disparités entre les personnalités, les styles de leadership (positif ou négatif), les attentes, les niveaux de connaissances et de savoir-faire, l’acuité ou non du sens de l’organisation, les expériences passées (notamment en lien avec les travaux d’équipe), la motivation très inégale… « Paradoxalement, c’est souvent le travail en équipe qui permet d’aider les personnes moins motivées », constate Michel Céré. |
Certaines personnes enseignantes voudraient soutenir les personnes étudiantes dans l’apprentissage du travail d’équipe et seraient intéressées à ce que la collaboration soit évaluée, mais elles ne sont pas certaines d’être aptes à le faire. La professeure Marie-Flavie Auclair-Fortier, directrice du Département, explique :
« D’un côté, je ne suis pas certaine que ce soit notre rôle d’universitaire de faire cette évaluation. Je ne suis pas non plus certaine que nous ayons les outils pour mesurer ces compétences. »
En effet, pour les membres de l’assemblée départementale, il est plus difficile d’enseigner et d’évaluer les compétences transversales (soft skills ), comme le travail d’équipe, que les habiletés et les connaissances disciplinaires pour lesquelles ils ont été formés. Néanmoins, tous s’entendent sur le fait que les personnes étudiantes « ne remettent rien si ce n’est pas évalué ».
Des pistes d’amélioration proposées

Les enseignantes et enseignants du Département d’informatique n’ont pas de solution miracle pour répondre à tous ces défis, mais leurs réflexions vont bon train. Il est clair que plus d’accompagnement par le personnel enseignant serait nécessaire pour favoriser la collaboration lors de travaux d’équipe, surtout en début de programme et dans les projets de plus grande ampleur. Une meilleure concertation des personnes enseignantes quant à leurs façons de faire et à leurs attentes serait aussi un atout pour aider le développement de cette capacité. Cela permettrait au personnel enseignant d’éviter de répéter ou de réinventer la formation et l’évaluation de la collaboration. Pour le moment, on fait de petits pas. Ainsi, le Département envisage contacter le Service de psychologie et d’orientation afin d’offrir aux personnes étudiantes une formation sur la gestion de conflits.
Au Département d’informatique, l’idée d’ajouter une nouvelle activité à la formation pour assurer une mise à niveau des personnes étudiantes par rapport aux compétences relationnelles et aux habilités de bases en informatique fait son chemin dans la tête de plusieurs personnes. Marie-Flavie Auclair-Fortier, directrice du département, se demande : « Est-ce qu’on laissera le soin à chaque enseignant de faire cette intégration ou si on ajoute une activité en présence obligatoire au début du bac? » En plus de s’assurer d’un moment spécifique où le travail d’équipe serait enseigné, cela pourrait contribuer à réduire certains écarts associés aux différents profils des personnes étudiantes entrant dans le programme.
Conclusions et suites

Michel Céré considère qu’une équipe qui fonctionne bien peut se reconnaître par la camaraderie et le soutien entre ses membres, jusqu’à observer une communication tacite, où un coup d’œil, un hochement de tête en disent autant que bien des mots. Si une telle symbiose est rarement atteinte en milieu de travail, elle est encore plus difficile à développer en contexte universitaire. L’équipe enseignante du Département d’informatique en est tout à fait consciente. S’étant entendus sur l’importance du travail en équipe, ses membres se sont demandé comment prendre ce taureau à plusieurs cornes, espérant à terme rendre l’expérience du travail d’équipe plus positive pour les personnes inscrites au baccalauréat. Ils savent qu’une personne enseignante ne peut y parvenir seule et se montrent prêts à affronter ensemble cette « bête noire ». La réflexion amorcée soulève de nombreuses questions, mais l’équipe est allée chercher du soutien afin de s’engager dans un changement de perceptions et de pratiques. Elle n’a pas eu peur d’ouvrir plus largement la discussion. Qu’en est-il dans votre unité ?